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XXIII BLOIS

Pendant que Pardaillan courait sur la route de Dunkerque et s’emparait de la lettre destinée à Farnèse [11] , le duc de Guise, au milieu d’une imposante escorte, s’avançait vers Blois où, de tous les points de la France, accouraient les députés de la noblesse, du clergé et du tiers-état pour cette suprême conférence à laquelle Henri III avait convié son peuple et qu’on appelle les états généraux de Blois.

La sécurité de Guise était absolue. Maurevert lui avait rendu un compte exact des forces dont Henri III pouvait disposer.

Ces forces étaient considérables et, de plus, elles étaient sous la main d’un hardi capitaine qui avait fait ses preuves sur plus d’un champ de bataille, tant comme courage que comme stratégie… C’était le brave Crillon. Les troupes de Crillon occupaient le château et la ville. Évitant de disséminer ses soldats aux environs et de tenir campagne, Crillon avait fait de Blois une formidable caserne, et, comme un jour la reine mère lui demandait si le roi était en parfaite sûreté, il avait répondu:

– Madame, si je n’étais là, il faudrait vingt mille hommes pour atteindre le roi; mais comme je suis là, il en faut quarante mille.

Catherine avait souri comme elle savait sourire, et elle-même avait ajouté:

– Je suis là, moi aussi! Et je commande à une petite armée de flacons qui vaut bien à elle seule les quarante mille hommes dont parle le brave Crillon!

Le roi était donc défendu, bien défendu. Il pouvait même tenter quelque coup de force si cela lui plaisait. Malgré cela, nous l’avons dit, la sécurité de Guise était complète.

Il savait en effet que chacun des cent cinquante gentilshommes qui l’accompagnaient avait mis en lui toutes ses espérances et toute sa fortune future. Il n’en était donc pas un qui ne fût prêt à se faire massacrer pour sauver le chef. Il savait en outre qu’une fois arrivé à Blois, il allait trouver les députés des trois ordres, et que parmi ces députés, seigneurs, bourgeois, prêtres, il n’en était pas un qui ne lui fût dévoué corps et âme. En réalité, donc, il allait être le véritable maître aux états généraux. Valois n’avait pour lui que les soldats, quantité négligeable si on parvenait à s’emparer de Crillon… les soldats dont la paye était d’ailleurs fort arriérée, et qui, selon le rapport de Maurevert, avaient déjà failli se mutiner.

C’est de ces diverses choses que causait Guise pendant sa dernière journée de marche. Il était entouré à ce moment de huit ou dix de ses plus intimes qui formant peloton marchaient en avant du gros de l’escorte. Et peu à peu, dans ce groupe d’intimes, une sélection s’était faite, en sorte que le duc avait fini par se trouver en avant, entre Bussi-Leclerc et Maineville ses inséparables, ceux pour qui il n’avait rien de caché.

Le gros duc de Mayenne venait vers le milieu de l’escorte, et s’enquerrait déjà des gîtes qu’on pouvait trouver à Blois et de la possibilité de faire bonne chère. Le cardinal était en queue, causant avec les plus intelligents de la bande. Ainsi, des trois frères, l’un occupait les soudards, l’autre intéressait les goinfres, et le troisième réunissait autour de lui les politiques.

Dans le petit clan que formaient le duc et ses deux fidèles agents, il était tout naturellement question de Pardaillan.

– Enfin, disait Maineville, nous voilà débarrassés du quidam. Mais pour mon compte, j’en éprouve quelque regret. La noyade fut trop douce pour lui…

– C’est vrai, renchérit Bussi-Leclerc, et quant à moi, j’eusse éprouvé quelque plaisir à lui rendre…

– La leçon d’escrime qu’il te donna? fit Maineville en riant.

– Non, pardieu! Cela, je le lui ai rendu… Ne te rappelles-tu pas que je le désarmai dans la Bastille?

– Je n’y étais pas… ainsi…

– Mais Maurevert y était!… Est-ce vrai, Maurevert?

– Parfaitement vrai, fit Maurevert qui marchait derrière Guise. Tu lui fis sauter l’épée des mains par trois fois, et le truand dut s’avouer vaincu…

Bussi-Leclerc eut un geste de vive satisfaction et remercia Maurevert d’un regard.

«Bon! pensa Maurevert, en voilà un qui pourra me servir mieux qu’il ne pense!»

On arrivait au village de Villerbon…

– Allons, messieurs, dit Guise d’une voix sombre, ne parlons plus des morts…

Il songeait à Violetta… Un soupir étouffé gonfla sa poitrine. Puis, secouant la tête comme pour vraiment ne plus songer aux morts:

– Bussi, pique donc un galop jusqu’à ces cavaliers que tu vois là-bas, et sache ce qu’ils veulent.

Sur la place de l’Église dans le village, une soixantaine de cavaliers, en effet, étaient arrêtés… mais Bussi-Leclerc n’eut pas le temps d’exécuter l’ordre qu’il venait de recevoir. Les cavaliers venaient d’apercevoir la troupe de Guise et galopaient à sa rencontre. Un instant Guise se troubla et sa main descendit jusqu’à la poignée de fer de sa rapière. L’idée qu’Henri III lui avait ménagé un guet-apens passa dans son esprit comme un éclair. Mais il se rassura aussitôt. Les cavaliers étaient sur lui et criaient:

– Monseigneur, vous êtes le bienvenu!…

C’était une troupe de gentilshommes députée par les seigneurs assemblés dans Blois pour aller à sa rencontre, le saluer et l’assurer de toute fidélité… Guise rayonna, et comme ces gentilshommes se mêlaient à ceux de son escorte, il leur rendit salut pour salut et s’écria:

– Maintenant, messieurs, j’ai une escorte royale…

Le mot était peut-être dit sans intention. Mais il courut de bouche en bouche jusqu’aux derniers rangs de la cavalcade, et chacun y vit clairement les intentions secrètes du duc… Quoi qu’il en soit, ce fut donc à la tête de cette compagnie ainsi renforcée que le Balafré traversa Villerbon. Il prit alors un trot allongé, et comme midi sonnait, toute cette cavalcade parut en vue de Blois.

À ce moment, le roi de France, pâle et nerveux, se trouvait dans l’appartement qu’il occupait au premier étage du château, appartement que nous aurons à décrire bientôt. Pour le moment, disons seulement qu’il y avait là un vaste salon qui s’ouvrait sur un grand escalier. Cet escalier lui-même donnait sur une terrasse qui s’appelait la Perche aux Bretons.

Henri III, avec une agitation qui contrastait avec son indolence habituelle, allait et venait, s’approchait souvent d’une fenêtre d’où il pouvait voir la cour carrée et le porche majestueux du château.

Henri III attendait le duc de Guise!…

Sur la terrasse de la Perche aux Bretons, il y avait cinquante gentilshommes armés en guerre. Une compagnie de suisses occupait la cour carrée. Le grand escalier était plein de seigneurs royalistes dont le sombre visage annonçait qu’ils n’attendaient rien de bon de l’arrivée du duc. Toutes les autres cours et les autres escaliers du château étaient occupés par des gens d’armes, archers, arquebusiers et mousquetaires. Enfin, toutes les précautions avaient été prises pour «recevoir dignement notre aimé et féal cousin de Lorraine», avait dit Catherine de Médicis.

Dans le salon lui-même, une vingtaine de gentilshommes attendaient, silencieux et les yeux fixés sur le roi. Dans un coin, Catherine de Médicis, causant avec son confesseur, contrastait par sa sérénité et sa gaieté avec toute cette sombre impatience.

– Où est Biron? est-il de retour? fit tout à coup Henri III, après avoir jeté pour la vingtième fois un regard par cette fenêtre d’où il apercevait le porche et, au-delà du porche grand ouvert, une belle place où Crillon, en ce moment, achevait de ranger trois compagnies de gardes.

– Sire, me voici, fit le maréchal de Biron.

Armand de Gontaut, baron de Biron, était alors âgé de soixante-quatre ans: mais il portait encore la cuirasse avec une facilité que lui enviaient de plus jeunes.

Il avait mieux que la force: il avait la fierté paisible d’un honnête homme. Catholique, il avait fait partie de cette faible minorité de vaillants qui avaient essayé de s’opposer aux massacres de la Saint-Barthélémy. C ’est ainsi qu’en sa qualité de grand maître de l’artillerie, il avait pu soustraire, à l’Arsenal où il était logé, une quarantaine de malheureux huguenots à l’horrible soif des buveurs de sang.

– Ah! te voilà, mon vieux brave! dit Henri III. Je craignais que tu ne fusses pas ici aujourd’hui, car je t’avais donné congé pour huit jours…

– Oui, mais j’ai appris l’arrivée de M. le duc. Peste, sire, je n’aurais eu garde de manquer une si belle occasion de lui présenter mes respects!… Je suis revenu d’Amboise tout d’une traite…

Le roi se mit à rire, les gentilshommes éclatèrent, et Catherine murmura à son confesseur:

– Allons, voici l’enfant qui reprend courage!

– Et, sire, vous voyez que je suis arrivé à temps…

En effet, à ce moment même, une rumeur montait de la cour carrée: c’était un bruit de chevaux qui passaient sous le porche, un cliquetis d’armes et d’éperons de cavaliers mettant pied à terre… Henri III pâlit. Mais on peut dire que c’était la rage contenue plus encore que la crainte.

[11] Alexandre Farnèse, c’est prouvé, était prêt à entrer en France et se tenait sur le qui-vive. Qui sait ce qui serait arrivé et quels changements eussent été apportés à l’histoire de France s’il avait reçu cette lettre, et s’il avait marché avec son armée pour se joindre au duc de Guise? (Note de M. Zévaco.)


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