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– Comte de Loignes, dit-il d’une voix altérée, voyez donc ce qui se passe dans la cour.

Il le savait très bien. Il devinait que c’était Guise qui arrivait. Et avant d’avoir reçu aucune réponse, il se dirigea vers un grand fauteuil placé sur une estrade et formant trône. Il s’y assit et, d’un geste rageur, enfonça son chapeau sur son front.

– Sire, s’écria Chalabre qui s’était précipité à la fenêtre en même temps que Loignes, c’est M. le duc de Guise, que Dieu le tienne en sa garde!

– À moins que le diable ne l’emporte! murmura Montsery près du roi.

– Ah! fit Henri III d’un ton d’indifférence si parfaitement jouée qu’il stupéfia jusqu’à sa mère… Tiens! le duc de Guise?… Et que peut-il venir faire céans?…

– Nous allons le savoir, sire, car le voici qui monte le grand escalier…

C’était vrai. Dans le grand escalier, on entendait la rumeur confuse d’une foule qui monte. Cette foule, c’était toute l’escorte du duc qui l’accompagnait jusqu’à la porte du roi… Il y avait là une menace qui n’échappa point à Crillon… Celui-ci donc s’était mis à marcher devant le duc de Guise, sous prétexte de lui faire honneur. Arrivé devant la porte du salon, il se tourna vers les gentilshommes guisards et dit:

– Monseigneur, monsieur le duc de Mayenne, monsieur le cardinal, le roi m’a chargé de vous faire savoir qu’il vous accorde audience. Quant à vous, messieurs, veuillez attendre…

– Quoi! gronda Bussi-Leclerc, sur l’escalier!…

– Où vous voudrez! fit Crillon en fronçant les sourcils.

– La paix, Bussi! dit le duc de Guise. Messieurs, veuillez m’attendre… Monsieur de Crillon, puisque Sa Majesté daigne nous recevoir, nous sommes prêts à vous suivre.

L’escorte demeura donc échelonnée dans l’escalier. Et comme cet escalier était déjà occupé par un grand nombre de seigneurs royalistes et de gens d’armes, il en résultat qu’il se trouva plein de gens qui se regardaient de travers et qui, sur un mot, sur un signe, se fussent rués les uns sur les autres. Cependant, tous observaient le plus grand silence non seulement par respect, mais pour tâcher d’entendre quelque éclat de voix qui leur apprendrait la tournure que prenait l’audience.

Crillon avait ouvert la porte, fait entrer MM. de Lorraine et soigneusement refermé lui-même la porte.

Les trois frères s’avancèrent vers le fauteuil où Henri III, le chapeau sur la tête, le coude sur le bras du trône, le menton dans la main, les regardait venir sans un geste, sans un tressaillement de la physionomie. Le duc marchait le premier. Mayenne et le cardinal venaient ensuite sur la même ligne, Mayenne roulant de gros yeux, et au fond de lui-même envoyant la politique et l’ambition de ses frères à tous les diables; le cardinal, la tête haute, la main à la garde de l’épée, son regard noir fixé sur le roi.

Le duc de Guise, moins habile qu’Henri III à dissimuler ses sentiments, n’avait pu s’empêcher de pâlir devant la réception hautaine et glaciale qui lui était faite. Il s’arrêta à trois pas du trône et s’inclina profondément, ainsi que ses frères. Puis, se relevant, il attendit que le roi lui adressât la parole.

Il y eut un instant de silence terrible et tragique où l’on eût entendu voler une mouche dans ce salon rempli de gentilshommes. Enfin le roi abaissa son regard sur le duc, et de sa voix légèrement nasillante, d’une rare impertinence quand il le voulait, il demanda:

– C’est vous, monsieur le duc?… Qu’avez-vous à nous dire?…

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