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XXXIV L’EFFONDREMENT

La chambre du roi donnait sur la cour carrée. En avant, il y avait une antichambre. Et en avant de cette antichambre, c’était le salon dans lequel nous avons introduit le lecteur. Ainsi donc, après avoir franchi le porche du château de Blois et monté le grand escalier, on arrivait à ce salon. Nos lecteurs n’ont pas oublié que lorsque le roi tenait conseil dans le salon, les gentilshommes de Guise l’attendaient sur l’escalier, ou sur la terrasse de la Perche aux Bretons, ou enfin dans la cour carrée.

En entrant dans le salon et en allant chercher la porte du fond à droite, on se trouvait dans l’antichambre du roi. C’est cette antichambre qui devient en ce moment le centre de notre scène. Il s’y ouvrait trois portes. L’une par laquelle nous venons d’entrer et qui ouvrait sur le salon. La deuxième en face, qui ouvrait sur la chambre à coucher du roi. La troisième, à gauche, qui ouvrait sur un cabinet donnant sur une cour intérieure.

À la suite de ce cabinet, qui était vaste et spacieux, il y avait une autre pièce qui donnait sur un escalier d’intérieur. Cet escalier aboutissait en haut aux combles du château, et en bas à l’appartement de Catherine de Médicis.

Maintenant, retenez ceci: lorsque Guise, ayant monté l’escalier, trouvait le roi dans le salon, il s’arrêtait là, naturellement, et laissait dans l’escalier la formidable escorte qu’il amenait toujours avec lui. Mais lorsque le conseil privé ne se tenait pas dans le salon, le Balafré gagnait l’antichambre royale après avoir fait entrer son escorte dans le salon.

Dans l’antichambre, voici ce qui se passait régulièrement. Il y avait là toujours des courtisans, et Guise demandait:

– Où est Sa Majesté?

Alors quelqu’un montrait toujours du doigt, soit la porte de la chambre à coucher, soit la porte du cabinet de travail. Selon l’une ou l’autre indication, le Balafré traversait l’antichambre, soit droit devant lui pour aller à la chambre du roi, soit en obliquant à gauche pour gagner le cabinet. Et il entrait familièrement, car le roi le lui avait commandé une fois pour toutes, en lui disant que pour son féal cousin de Lorraine, la nuit ou le jour, il serait toujours là.

Ce matin-là, comme de coutume, les postes furent relevés et changés par le capitaine Larchant. Seulement, on ne plaça que des postes simples. Au grand porche, notamment, où il y avait toujours quarante hommes de garde, il n’y en eut que dix. Il en fut de même à tous les autres postes. En sorte que le château semblait dégarni de ses ordinaires défenses.

Seulement, celui qui eût jeté un coup d’œil sur cette cour intérieure que l’on voyait par la fenêtre du cabinet de travail, eût aperçu là trois cents hommes d’armes immobiles et silencieux. Tous étaient armés d’arquebuses.

Seulement, aussi, celui qui eût pu entrer dans une vaste salle située près du corps de garde et qui servait ordinairement de magasin d’armes, eût aperçu là quatre couleuvrines de campagne montées sur leurs affûts. Les couleuvrines étaient chargées. Autour de chacune d’elles, les quatre servants étaient à leur poste, et huit hommes attelés à des cordes étaient prêts, dès que la grande porte du magasin s’ouvrirait, à traîner chaque couleuvrine dans la cour et à l’y mettre en batterie.

Dans la cour carrée, Crillon allait et venait en sacrant sourdement et en mordant sa moustache avec fureur. De-ci, de-là, quelques officiers désœuvrés, quelques sentinelles nonchalantes, quelques gentilshommes causant chasse à courre. Dans le grand escalier, comme à l’habitude, des courtisans montant et descendant. Dans le salon, personne, si ce n’est quelque laquais, rapide et silencieux. Au total, les abords de l’appartement royal avaient leur aspect ordinaire.

Traversons maintenant le salon et pénétrons dans cette antichambre que nous avons dit être le centre de la scène que nous essayons de mettre en place. Là, une trentaine de gentilshommes attendent, – de ceux que le roi appelait ses ordinaires… de ceux que le peuple appelait les Quarante-Cinq assassins. Ils sont vêtus comme d’habitude. Mais sous le pourpoint de soie ou de velours, tous ont endossé la cuirasse de cuir ou la cotte de mailles.

Entrons dans la chambre du roi. Comme le soir où les grandes décisions ont été prises, Henri III est assis près du feu vers lequel il tend ses mains pâles. Debout près de lui, Catherine de Médicis, pareille à un spectre noir, Catherine livide sous ses voiles de deuil, Catherine affreusement malade, mais debout à son poste par un terrible effort de son énergie agonisante.

Dehors, il fait un froid noir. Un ciel d’une infinie tristesse, un large silence pesant sur toutes choses. Au loin, ce silence et cette solitude du ciel sont parfois rompus par des vols de corneilles ou de corbeaux qui passent en bandes en secouant lourdement leurs ailes funèbres, comme s’ils jetaient sur la terre des pensées de mort.

Catherine de Médicis et le roi – deux fantômes – se parlent. Ils se parlent à voix basse et lente. Ils se disent les choses irrévocables.

– C’est le jour, dit Catherine, le grand jour…

– Le jour du meurtre, dit sourdement le roi.

– Le jour de votre délivrance, mon fils. Ce soir, à dix heures, comme une bande de loups rués dans les ténèbres, les gens de Guise doivent se précipiter sur ce château dont ils ont les clefs. Ce soir, à dix heures, leur troupe altérée de sang royal doit se glisser le long de cet escalier. Ce soir, à dix heures, on égorgera tout ce qui tentera de s’opposer à la marche des assassins… on enfoncera la porte de cette chambre… on poignardera le roi dans son lit…

Henri III frissonne. Une sorte de gémissement râle dans sa gorge. Et il lève sur sa mère des yeux d’épouvante.

– Ce soir, continua Catherine de Médicis, ce soir le roi de France sera égorgé… si…

Elle s’arrête sur ce si, avec un sourire qui ferait reculer dix hommes d’armes, et elle achève:

– Si la mère du roi ne veillait!… Mais elle veille!… Venez, messieurs les égorgeurs, et vous allez voir de quoi la vieille est capable!… Me tuer mon fils!…

Elle éclate de rire… d’un rire silencieux et fantastique sur cette figure livide de spectre.

– Henri, reprend-elle, es-tu prêt, mon fils?…

– Oui, ma mère! répond le roi d’une voix tragique.

– Eh bien, embrasse-moi! Puis, taisons-nous et donnons la parole à Dieu!…

Pâle et chancelant, Henri III se lève. Sa mère le prend dans ses bras, et longuement, frénétiquement, d’une sauvage étreinte où éclata la seule passion sincère de sa vie, elle le serre sur sa poitrine.

– Tu ne bougeras pas d’ici, murmure Catherine. Tu entends?

– Oui, ma mère, balbutie Henri III.

– Il suffit que d’un mot tu donnes l’ordre suprême à ces gentilshommes qui attendent là… le reste me regarde!…

Alors, elle desserre son étreinte. Lentement, elle va ouvrir la porte. Les trente qui attendent dans l’antichambre frémissent. Le roi s’avance jusqu’à la porte et dit:

– Messieurs, je vous commande d’obéir à la reine mère dans tout ce qu’elle vous dira…

Puis, il recule jusqu’à la fenêtre de sa chambre en frissonnant, soulève les rideaux, et se met à regarder dans la cour carrée, les yeux fixés sur le porche du château. Catherine de Médicis passe en revue d’un regard rapide les gentilshommes de l’antichambre. Elle en touche un à la poitrine, puis un autre… elle en touche dix. Et à ces dix, elle dit:

– Votre poste est dans la chambre du roi. L’épée et la dague à la main, messieurs!

Les dix obéissent.

– Dans la chambre, continua Catherine, barricadez-vous. Quoi que vous entendiez, ne bougez pas. Et s’il arrive un malheur, mourez jusqu’au dernier avant qu’on ne touche au roi. Jurez!…

– Nous jurons! répondent les dix d’une voix sourde.

– Entrez!… Et que Dieu vous tienne en sa sainte garde!…

Les dix pénètrent dans la chambre royale, l’épée et la dague à la main. Un instant plus tard, on les entend qui, à l’intérieur, barricadent la porte. Catherine pousse un profond soupir. Alors Catherine recommence son inspection. Elle touche un gentilhomme à la poitrine, puis un autre, elle en touche dix.

– Vous, dit-elle, dans le salon. Dès qu’il sera dans l’antichambre, fermez la porte et placez-vous devant, l’épée et la dague à la main. Si on essaye de forcer la porte de l’antichambre, si le salon est envahi, mourez jusqu’au dernier avant qu’on ne puisse ouvrir… Jurez!…

– Nous jurons! répondent les dix.

– Allez donc prendre votre poste dans le salon, et que Dieu vous tienne en sa sainte garde!…

Les dix passent dans le salon, et tout aussitôt s’y disposent par petits groupes, riant et causant de choses indifférentes. Alors, Catherine touche trois des gentilshommes restant dans l’antichambre. Ce sont Chalabre, Sainte-Maline et Montsery.

– Vous, dit-elle, entrez dans le cabinet et attendez-moi.

Sainte-Maline, Chalabre et Montsery obéissent aussitôt et passent dans le grand cabinet de travail. Dans l’antichambre, il ne reste plus que sept gentilshommes, parmi lesquels Déseffrenat et le comte de Loignes.

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