Литмир - Электронная Библиотека
A
A

– Vous, dit Catherine, écoutez: il entrera ici, ne trouvant pas le roi dans le salon, et il vous demandera: «Où est Sa Majesté?…» Vous répondrez: «Sa Majesté est dans son cabinet, monseigneur.» Alors il entrera dans le cabinet. Si on vous appelle à l’aide, vous entrerez dans le cabinet, et vous achèverez l’homme. Si on ne vous appelle pas, vous resterez ici. Au cas où ceux du salon seraient attaqués, vous barricadez la porte et vous mourez jusqu’au dernier avant qu’on ne puisse atteindre la porte du roi… Jurez!…

– Nous jurons, répondirent les sept.

– Allez donc, et que Dieu vous tienne en sa sainte garde!…

Alors, lente et toute raide dans ses voiles de deuil, la vieille reine passe dans le grand cabinet où attendent Chalabre, Montsery et Sainte-Maline.

– Vous, dit-elle, je vous ai choisis entre tous. Le duc vous a embastillés. Le duc vous a menacés de mort. Est-ce vrai?

Les trois s’inclinèrent.

– À telles enseignes, dit Montsery, que le jour de notre exécution était décidé.

– Et que nous nous confessâmes l’un à l’autre, ajouta Chalabre.

– Et qu’il fallut un vrai miracle pour que nous soyons ici aujourd’hui à faire notre révérence à Sa Majesté, acheva Sainte-Maline.

– Quoi qu’il en soit, dit Catherine, vous avez été choisis parce qu’on a supposé qu’à votre dévouement pour le roi se joignait en vous une haine naturelle contre celui qui a voulu vous mettre à mort. Eh bien, il va venir. Le salon est gardé. L’antichambre est gardée. La chambre du roi est gardée. Le duc doit aboutir ici… Il ne faut pas qu’il en sorte vivant…

Les trois se regardèrent, les yeux flamboyants, les lèvres crispées par ces sourires terribles qu’on a dans les moments suprêmes. Catherine les vit décidés. Elle demanda:

– Le roi, messieurs, peut-il compter sur vous?

Ils tirèrent leurs dagues d’un mouvement spontané.

– Si le duc entre ici, il est mort, dirent-ils.

– C’est bien, dit Catherine. Attendez donc… car il va venir! Adieu, messieurs. Moi, je vais prier Dieu pour le roi et pour vous…

Elle passa devant les trois gentilshommes inclinés, et disparut dans le petit escalier intérieur. Arrivée à son oratoire, elle trouva Ruggieri qui l’attendait.

– Majesté, dit l’astrologue, on a mis des gardes partout excepté à votre appartement. S’il y a bataille, qui donc vous gardera, vous?…

Catherine leva lentement son doigt vers le Christ d’ivoire qui, dans le sombre oratoire, faisait sur le mur une tache livide… Et, s’agenouillant sur le prie-dieu, elle parut s’abîmer dans une méditation profonde. Elle ne bougeait plus. Il n’y avait pas un frisson dans les plis de son voile noir…

Elle écoutait!… Toutes ses forces, toute son énergie étaient concentrées dans le sens de l’ouïe… Elle écoutait ce qui allait se passer en haut, au-dessus de sa tête… car l’oratoire était au rez-de-chaussée la pièce correspondant au cabinet du premier étage, au cabinet où on allait tuer Guise!…

Là-haut, dans le cabinet, Chalabre, Sainte-Maline et Montsery prenaient leurs dispositions – ce qu’on pourrait appeler le branle-bas de l’assassinat. Ils poussèrent la table contre la fenêtre. Ils entassèrent chaises et fauteuils dans un angle, de façon que la pièce fut entièrement libre, et que Guise ne trouvât rien derrière quoi s’abriter et se défendre. Alors ils convinrent de leurs gestes. Sainte-Maline, le plus hardi des trois, prit naturellement la direction du combat.

– Moi, dit-il, j’ouvre la porte quand il arrive. Toi, Chalabre, tu te tiens ici, au milieu du cabinet. Toi, Montsery, tu te places ici contre la porte. J’ouvre donc et je dis: Entrez, monseigneur. Et je recule. Il entre. Alors toi, Montsery, tu pousses la porte, et tu mets le verrou. Chalabre et moi, nous l’attaquons par devant. Et toi, tu sautes sur lui par derrière. Est-ce convenu?

– Convenu…

– Chacun à notre place, donc, et ne bougeons plus.

Chalabre se posta au milieu du cabinet. Montsery contre la porte de façon à être masqué quand elle s’ouvrirait. Sainte-Maline devant la porte, prêt à ouvrir. Et pâles, la main à leurs poignards, ils attendirent.

– Diable! fit tout à coup Montsery, et la porte du petit escalier?

– Il n’y a qu’à pousser le verrou, dit Sainte-Maline. Vas-y, Chalabre, et reprends ta place.

Chalabre se dirigea vivement vers la porte de l’escalier. Comme il mettait la main sur le verrou, la porte s’ouvrit et un homme entra en disant:

– Bonjour, messieurs!… Comment vous portez-vous depuis la Bastille?…

– Pardaillan! s’écria sourdement Chalabre en reculant.

– Pardaillan! répétèrent les deux autres.

Pardaillan était entré. Il avait, fermé la porte, tranquillement.

– Monsieur, dit Sainte-Maline d’une voix qui tremblait d’impatience, sortez à l’instant, quoi que vous ayez à nous dire, il nous est impossible de vous écouter en ce moment.

– Bah! fit Pardaillan, avant que le Balafré n’entre ici, nous avons bien quelques minutes. Vous m’écouterez…

– Oh! gronda furieusement Chalabre, vous savez donc…

– Que vous êtes ici pour tuer le duc de Guise, oui, messieurs!…

Les trois hommes échangèrent un regard de rage folle.

– Messieurs, dit Pardaillan, laissez vos poignards tranquilles. Si vous m’attaquez, je suis capable de vous tuer tous les trois, et alors, vous ne pourrez pas tuer le duc. De plus je vous préviens que si je n’arrive pas à vous tuer, je pourrai toujours ouvrir cette fenêtre, et jeter un cri qui sera entendu parce qu’il est attendu. Et alors, messieurs, celui qui entendra ce cri se précipitera au devant du Balafré et lui criera: «N’entrez pas au château, car on veut vous tuer…» Et rien, messieurs, ne pourra empêcher mon ami de prévenir le duc, car mon ami est à Blois pour sauver le duc et tuer le roi… vous le connaissez! Vous l’avez vu à Chartres! Il s’appelle Jacques Clément!…

Les trois devinrent livides. Jacques Clément qu’ils avaient juré de tuer! Jacques Clément qu’ils avaient affirmé mort sous leurs coups… En mettant les choses au mieux, en supposant que le roi ne serait pas tué, Henri III ou Catherine apprendrait que Jacques Clément vivait. C’était pour eux la potence ou l’échafaud!

– Parlez donc! dit Chalabre en grinçant des dents. Que voulez-vous?

– Messieurs, dit Pardaillan, vous me devez encore une vie. Je viens vous réclamer le paiement immédiat de votre dette. Je viens vous demander cette vie.

– La vie de qui! rugit Sainte-Maline fou de désespoir devant ce qu’il entrevoyait.

– La vie d’Henri de Guise, répondit simplement Pardaillan.

Sainte-Maline baissa la tête et pleura.

Chalabre dit à Montsery:

– Si nous tuons le duc malgré notre dette, nous sommes déshonorés. Si nous ne le tuons pas, nous sommes perdus. Montsery, rends-moi le service de me poignarder.

– Et moi, dit Montsery, qui me poignardera. Tiens! tu es bon, toi!… Sainte-Maline pleurait.

– Messieurs, dit Pardaillan, je vois que vous êtes décidés à payer. Mais je vois aussi que c’est trop vous demander. Je vais donc vous proposer un arrangement.

Ils se rapprochèrent, une flamme d’espoir dans les yeux.

– Monsieur, dit Sainte-Maline d’une voix qui était comme un râle, si vous nous abandonnez Guise, nous faisons serment de mettre nos trois existences à votre disposition…

– Je n’accepte pas, dit Pardaillan. Voici ce que je vous propose. Au lieu de vous réclamer la vie de Guise, je me contente de ne vous demander que dix minutes de cette vie.

Ils le regardèrent, hagards, sans comprendre.

– Eh oui, reprit Pardaillan. Je veux dire quelques mots au duc de Guise. Cet entretien durera dix minutes. Après quoi, je vous tiendrai quittes. Écoutez-moi. Le duc va entrer ici, n’est-ce pas?

– Oui, firent-ils haletants.

– Vous admettez qu’une fois entré, il ne peut plus sortir par l’antichambre?

– Oui! mais il peut sortir par le petit escalier!…

– Eh bien, justement. Vous allez vous placer tous les trois dans le petit escalier. Donc, toute retraite est coupée… et…

À ce moment un grand bruit de chevaux, d’épées qui se heurtent, de cliquetis d’éperons se fit entendre.

– C’est lui! dit froidement Pardaillan. Messieurs, sortez!… À la dixième minute, au plus tard, Guise vous appartient… Mais pendant ces dix minutes, il est à moi… Sortez!

Pardaillan s’était redressé. Et il y avait une telle flamme dans son regard, une si sombre et si violente volonté sur sa physionomie, une telle autorité dans son geste et sa parole qu’ils comprirent que l’attitude du chevalier cachait quelque secret terrible; et que cet entretien qu’il voulait avoir avec le duc était un entretien de vie ou de mort; et que Pardaillan, dans cette minute suprême, n’était plus un homme, mais une incarnation de la fatalité, un de ces météores qui ne se révèlent, comme la foudre, que lorsqu’ils frappent…

115
{"b":"88983","o":1}