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Cette litière était entourée par une douzaine de cavaliers qui jetaient sur quiconque approchait un regard si menaçant que les plus curieux ou les plus audacieux s’écartaient à l’instant même. Dans cette litière se trouvaient deux femmes: Fausta et Marie de Montpensier.

– L’homme? demanda Fausta au moment où nous rejoignons la litière.

– Confondu dans la foule des pénitents, il chemine en silence, débattant sans doute avec lui-même comment il parviendra jusqu’à Hérodes.

– Vous êtes bien sûre que ce moine se trouve dans la procession? insistait Fausta.

– Je l’ai vu, répondit la duchesse, vu de mes yeux.

Fausta soupira et murmura:

– Pardaillan m’avait dit vrai. Jacques Clément, libre, marche à sa destinée. Allons! Valois est condamné. Rien ne peut le sauver maintenant…

– Que dites-vous, ma belle souveraine? Il me semble que vous avez prononcé un nom… celui du sire de Pardaillan…

– Oui! dit Fausta en regardant fixement la duchesse.

– C’est que ce nom, mon frère et ses gentilshommes le prononcent bien souvent depuis trois ou quatre jours…

– Eh bien! si vous voulez que votre frère ne prononce plus ce nom…

– Moi? Cela m’est égal, je vous jure!… fit Marie en riant.

Elle était très gaie, la jolie duchesse. Elle gazouillait, fredonnait, jouait avec ses ciseaux d’or et, somme toute, marchait à l’assassinat d’Henri III comme à une fête. En revanche, Fausta, dont le visage ne témoignait d’ordinaire d’aucune agitation, paraissait bien sombre.

– Oui, reprit-elle, cela vous est égal, à vous. Mais il est nécessaire que le duc de Guise ait l’esprit libre pour ce qui va être entrepris. Et pour qu’il ait l’esprit libre, il faut qu’il n’ait plus ce nom de Pardaillan sur les lèvres. Et pour qu’il ne le prononce plus…

– Eh bien? demanda Marie.

– Dites-lui, faites-lui savoir, dès que nous serons entrés dans Chartres, que Pardaillan est mort!… Et afin qu’il n’ait point de doute, dites-lui que c’est moi qui l’ai tué…

Ayant ainsi parlé, Fausta baissa la tête et ferma les yeux comme pour indiquer qu’elle voulait se renfermer dans ses pensées. Et ces pensées devaient être funèbres, car son visage, dans son immobilité, semblait refléter la mort…

Nos personnages sont donc ainsi disposés: en tête de ce long serpent de foule qui se déroule sur la route, un groupe de cavaliers: Guise, ses frères, ses gentilshommes. Près de lui, Maineville insoucieux et Maurevert inquiet, le regard sans cesse en alarme. Quant à Bussi-Leclerc, il s’intéresse à la procession, sans doute, car il en parcourt les rangs, et on le voit tantôt sur un point, tantôt sur un autre.

Puis, derrière cette bande de seigneurs, à une certaine distance, commence la procession, la théorie des moines et des prêtres escortés de ligueurs, flanqués de mendiants.

Puis viennent les apôtres et Joyeuse qui continue à crier que les huguenots le meurtrissent. Puis, presque sur les talons de Jésus, marchent Loignes, Sainte-Maline, Chalabre et Montsery, déguisés en pénitents.

Puis, presque à la queue de la colonne, un moine marche seul, le capuchon sur la figure, et ses mains croisées serrent avec ferveur contre sa poitrine une dague solide: c’est Jacques Clément.

Enfin, très en arrière, c’était la litière de Fausta.

De ce peuple en marche montait une sourde rumeur composée de prières, de cris, d’éclats de rire, de chants bachiques et de cantiques religieux. Et cette rumeur attirait les gens des hameaux et des villages. De toutes parts, les manants accouraient pour voir ce spectacle extraordinaire.

Nous ne suivrons pas la procession sur tout le chemin qu’elle parcourut dans ces quatre journées de marche; disons seulement que le quatrième jour, vers onze heures du matin, elle apparut devant la porte Guillaume après avoir contourné une partie des murailles de Chartres. Mais avant de l’y rejoindre, signalons un événement qui se passa la veille.

Le troisième jour, la procession se reposa dans le village de Latrape l’un des gîtes d’étape organisés par le sieur Crucé, promu au rang de maréchal des logis de cet exode. Les pénitents y étaient arrivés vers quatre heures, et aussitôt s’étaient mis à table, c’est-à-dire qu’ils avaient envahi une immense prairie où ils s’étaient assis dans l’herbe.

Naturellement, Guise et sa suite avaient pris leurs logis dans les meilleures maisons du village.

Dans la prairie, les gens de Latrape allaient et venaient, empressés à faire bon accueil aux pénitents. Ces braves gens avaient fait cuire d’innombrables fournées de pain, avaient mis en perce une trentaine de tonneaux de cidre ou de vin, et avaient allumé de grands feux dans la prairie. Devant ces feux rôtissaient des moutons entiers, des quartiers de bœuf suspendus à des cordes, des cochons qui, accrochés à des perches en faisceau, tournoyaient lentement au-dessus des flammes, et enfin un régiment de dindons et de poules.

Après cette énorme ripaille que nous regrettons de n’avoir pas le temps de décrire, chacun s’enveloppa de son manteau et chercha un coin pour dormir. La nuit était venue en effet, et c’était à la lueur des torches qu’on avait vidé les derniers brocs, poussé les derniers cris de: «Mort aux huguenots! À bas d’Épernon! Sus aux Ordinaires d’Hérode…» Puis les dernières torches s’éteignirent. Dix heures sonnèrent au petit clocher du village.

À ce moment, dans l’avant-dernière maison en allant vers Chartres, deux hommes dormaient côte à côte, étendus sur des bottes de paille de la grange.

Ou du moins, si l’un de ces deux hommes, en proie à quelque insomnie, soupirait et se retournait sur la paille, l’autre dormait pour deux, et comme on dit, à poings fermés…

Dans cette même maison, non plus dans la grange ni sur la paille, mais dans une chambre assez convenable du rez-de-chaussée et sur un bon lit, dormait un autre personnage. Celui-ci ronflait à rendre des points au roi Henri de Navarre qui, comme chacun sait, était le plus terrible ronfleur de son époque. Et qui se fût approché de cet enragé dormeur, pour qui le sommeil était une façon de musique à outrance, eût reconnu l’un des plus fidèles, des plus solides et des plus brillants gentilshommes du duc de Guise, c’est-à-dire messire de Bussi-Leclerc en personne.

Comme dix heures venaient de tinter lentement au clocher, quatre hommes s’approchèrent de la maison que nous venons de signaler: c’étaient les quatre fidèles d’Henri III qui, profitant de la procession pour rejoindre le roi sans danger d’arrestation, avaient jusque-là voyagé avec elle. C’étaient Montsery, Sainte-Maline, Chalabre et Loignes qui guettaient depuis le premier jour l’occasion d’exercer leurs talents de spadassins sur la poitrine du sire de Bussi-Leclerc. Et comme Bussi-Leclerc était considéré à bon droit comme la première lame du royaume, il leur semblait qu’ils n’étaient pas trop de quatre pour mener à bonne fin leur entreprise, maintenant que l’occasion attendue semblait enfin se présenter.

Ainsi que nous l’avons dit, la maison où Bussi-Leclerc avait trouvé un gîte était l’avant-dernière, sur la grand-route. Elle était assez éloignée du reste du village pour qu’on ne pût entendre le bruit d’une lutte, si lutte il y avait. Les quatre spadassins marchèrent résolument à la maison.

– Tu es sûr que c’est là? demanda Sainte-Maline.

– Je ne l’ai pas perdu de vue, répondit Chalabre. Sûrement, nous allons trouver le sanglier dans sa bauge.

Ils s’arrêtèrent devant la chaumière et tinrent conseil à voix basse.

– Comment allons-nous procéder? demanda Montsery.

– Moi, je veux me battre avec lui, dit Sainte-Maline. Je m’en charge.

– Et s’il te tue?

– Vous me vengerez…

– C’est cela! firent Chalabre et Montsery, bataille!…

– Messieurs, dit Loignes, je crois que vous perdez la tête. Il s’agit bien de duel et de combat! Il s’agit bien de faire ici les mignons! Parce que ce maroufle vous a injuriés de son mieux, quand il vous tenait à la Bastille, vous voulez, par-dessus le marché, qu’il nous étripe l’un après l’autre…

Loignes était le plus âgé des quatre; c’était un homme sérieux et positif, exerçant en conscience son métier d’assassin royal; on l’eût bien surpris en lui parlant de pitié ou de loyauté; la ruse la mieux ourdie, le coup de poignard le plus sûr, voilà les garanties morales qu’il prisait par-dessus tout.

Les trois autres, tout jeunes, comme nous avons dit, avaient encore quelques préjugés. Certes, ils pouvaient se vanter déjà de plus d’un coup de dague doucement administré à quelque détour de ruelle, dans le dos de quelque ennemi de Sa Majesté, mais ils n’étaient pas au degré de perfection atteint par le comte de Loignes. Devant les sages observations de leur aîné – leur maître en guet-apens – ils baissèrent donc la tête.

– Que faut-il faire? demandèrent-ils.

– C’est bien simple. Nous allons l’appeler comme si son duc le mandait à l’instant. Nous aurons nos dagues à la main. Et quand il sortira, nous le larderons proprement jusqu’à ce qu’il rende sa belle âme au diable.

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