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XXVI PARDAILLAN AU COUVENT

Nous laisserons Catherine de Médicis à sa rêverie, nous réservant de raconter plus tard ce qui advint de la trahison de Maurevert. Passons donc, avec la magique rapidité de la pensée, de Blois à Paris.

Quelques jours se sont passés depuis le départ du duc de Guise. Paris est inquiet.

Au palais Fausta, une douzaine de jours après le départ des Lorrains, un mouvement se produit. Fausta a lu la lettre que Guise lui a fait remettre par Maurevert. Fausta a pris la résolution de rejoindre le duc à Blois. Elle y voit un double avantage: d’abord, surveiller de près celui qui va devenir le roi de France, le pousser, surchauffer cet esprit si mobile quand il ne se trouve pas jeté dans l’action immédiate et violente; ensuite, cacher au duc cette sorte de faiblesse où elle se trouve depuis la trahison de Rovenni…

Tout est donc prêt pour le voyage. Une litière attend devant la porte. Douze hommes d’armes recrutés depuis peu lui serviront d’escorte. Depuis quatre jours, deux domestiques de confiance sont partis à Blois pour préparer les logis de la souveraine. Fausta monte dans la litière avec ses deux suivantes. Myrthis et Léa sont heureuses de ce voyage et enchantées de quitter, ne fût-ce que pour quelques jours, la sombre demeure.

Au moment du départ, Fausta jette un long regard sur ce palais où elle a pensé, aimé, souffert, calculé, combiné la plus formidable des conspirations. L’image de Pardaillan passe dans son esprit assombri. Mais elle secoue la tête… Il est mort… elle est délivrée!…

Enfin, elle donne le signal de départ, détourne ses yeux de ce palais où tant de choses se sont passées, et le cœur serré par un vague pressentiment, elle laisse tomber la ridelle de la litière. Une heure plus tard, Fausta et son escorte sont sur la route de Blois.

Or, à l’heure même où Fausta sortait de Paris par la porte Notre-Dame-des-Champs après une courte station au couvent des jacobins situé dans le voisinage de cette porte, le chevalier de Pardaillan rentrait dans la ville par la porte Saint-Denis, c’est-à-dire par l’extrémité opposée.

Il s’en était venu à petites journées de Gravelines qu’il n’avait quitté qu’après s’être assuré de la prochaine guérison du messager à qui il avait fourni un si joli coup d’épée. À Amiens, Pardaillan s’était arrêté deux jours. Il éprouvait une certaine lassitude, non pas de la route ou des batailles auxquelles sa destinée, disait-il, le mêlait malgré lui, mais de cette solitude où il se trouvait. Solitude d’âme et de corps… Il était seul dans la vie…

En somme, il s’intéressait à deux choses: d’abord frapper Maurevert, car c’eût été pour lui la pire et la plus affreuse défaite que de disparaître ou de mourir sans avoir écrasé cette vipère. Ensuite, faire rentrer dans la gorge du duc, moyennant sa bonne rapière, les insultes que Guise avait proférées contre lui, le jour où, pour sauver Huguette, le chevalier s’était rendu.

C’était donc surtout dans un moment d’indécision, que Pardaillan s’était arrêté à Amiens. Étendu sur le lit d’une pauvre chambre d’auberge, les bras croisés, les yeux fixes, il songeait.

«Supposons, dit-il, que je terrasse Maurevert, et Guise et Fausta. Que ferai-je après?»

Voilà où était la question… Que faire de sa vie?… Et la question était effroyable car Pardaillan ne savait que faire de sa vie!…

Il s’ennuyait et s’ennuyait tout simplement parce que la vieille cicatrice de son cœur n’était pas fermée encore, et parce qu’il ne savait où aller quand il aurait enfin réglé ses comptes – s’il y arrivait.

«Que ferai-je… Où irai-je? Demanderai-je l’hospitalité au petit duc, et me laisserai-je vieillir dans l’espoir d’enseigner les mystères du contre de sixte [12] aux enfants de Violetta? Hum?… Perspective peu attrayante. Et puis les gens heureux sont assommants… M’en irai-je donc vieillir auprès d’Huguette?»

Longtemps, Pardaillan s’arrêta sur cette pensée avec un inexprimable attendrissement, qui adoucissait la fixité désespérée de son regard, à ce moment dardé sur une toile d’araignée du plafond.

«Après tout, finit-il par se dire, il y a encore des grandes routes en France et ailleurs. Il y aura toujours des arbres le long de ces routes, du soleil dans l’air, à moins que ce ne soit de la pluie…»

Il s’arrêta encore là-dessus. Et, à vrai dire, la pensée de reprendre le harnais, de s’en aller au hasard, frottant les insolents, donnant la main au pauvre diable, allant et venant à sa guise, sans maître, sans obligation d’aucune sorte, c’était cette pensée seule qui ramenait un sourire sur ses lèvres.

Lorsque Pardaillan reprit son chemin vers Paris, il n’avait en somme décidé qu’une chose: c’est qu’il surveillerait de près les faits et gestes de M. de Guise. Aussi, en arrivant à peu près à la même heure où Fausta sortait de Paris, lorsqu’il eut appris par le premier bourgeois venu que le duc de Guise était à Blois, Pardaillan se dit:

– Eh bien, je continue ma route jusqu’à Blois.

Mais sans doute une réflexion qui traversa son esprit le fit changer d’idée. Seulement, il évita de passer par la rue Saint-Denis; il ne voulait pas s’arrêter à la Devinière , peut-être dans la crainte d’être retenu par Huguette.

Parvenu à la Seine, Pardaillan traversa le pont Notre-Dame, longea la rue de la Juiverie, puis par le Petit-Pont, aboutit directement à la rue Saint-Jacques qui traversait toute l’Université. Tout en haut de la rue Saint-Jacques et près des remparts, il arrêta son cheval devant le porche du couvent des jacobins, mit pied à terre, et attacha sa monture à un anneau de fer, comme il y en avait à tous les murs à cette époque où il y avait autant de cavaliers dans la rue que de piétons. Alors, il heurta le marteau de la porte.

Un judas s’entrouvrit, à travers lequel le frère portier lui demanda ce qu’il voulait, l’informant aussitôt qu’on ne recevait ni pèlerins, ni voyageurs dans ce couvent – ce qui était vrai.

Mais Pardaillan ayant répondu qu’il ne venait ni faire une neuvaine ni demander l’hospitalité, mais qu’il venait simplement faire visite à un révérend père, le portier l’informa alors qu’il était interdit aux moines de communiquer avec les laïcs – ce qui n’était pas vrai. Enfin, Pardaillan d’abord désappointé ayant fini par prononcer le nom de frère Jacques Clément, le portier, avec un empressement qui parut bizarre à Pardaillan, ouvrit la porte et le pria d’entrer.

– Et mon cheval? demanda Pardaillan.

– N’en ayez souci. Cette digne bête va être conduite à l’écurie de notre très révérend prieur où elle se trouvera en bonne et sainte compagnie.

– Amen! fit le chevalier en éclatant de rire.

– Veuillez attendre dans ce parloir, reprit le moine ébahi. Notre bon frère Clément va être prévenu.

Et le frère portier partit en toute hâte, laissant le visiteur sous la surveillance d’un frater ad succurrendum qui l’aidait dans ses fonctions. Seulement, ce ne fut pas vers la cellule de Jacques Clément qu’il se dirigea, mais vers l’appartement du prieur Bourgoing à qui il raconta qu’un laïc, un homme de guerre, voulait voir le frère Clément.

Bourgoing ne douta pas un instant que ce visiteur ne fût un Homme envoyé dans le but de s’aboucher avec Jacques Clément en vue du grand œuvre, c’est-à-dire l’assassinat d’Henri III. Il donna donc l’ordre non pas de faire venir frère Jacques au parloir, mais bien de conduire le visiteur à la cellule du révérend. Le digne prieur se promettait bien d’ailleurs d’aller examiner de près cet inconnu, et d’assister sans se faire voir à l’entretien qu’il aurait avec Clément.

Il faut ajouter que ces allées et venues avaient peu surpris Pardaillan, et qu’il n’y avait prêté qu’une médiocre attention. Lorsque le frère portier revint donc lui annoncer qu’il était autorisé à pénétrer dans le couvent et allait être conduit à la cellule du révérend, il se contenta donc de remercier d’un signe de tête et se mit à suivre le moine qui le conduisait. Après de nombreux tours et détours, ce moine s’arrêta devant la porte entrebâillée d’une cellule et dit:

– C’est ici, vous pouvez entrer, mon frère…

Pardaillan poussa la porte, entra, et vit Jacques Clément qui, assis à une petite table, écrivait. Jacques Clément comme nous l’avons dit, jouissait de faveurs et de libertés qui n’étaient pas accordées aux autres moines. Il pouvait notamment écrire à sa guise et avoir dans sa cellule de l’encre et du papier.

Lorsque le chevalier entra, le moine se retourna, l’aperçut, cacha précipitamment sous un livre ce qu’il écrivait, et une vive rougeur envahit ses joues pâles. Il se leva et s’avança vers Pardaillan les mains tendues.

– Que Dieu soit loué, dit-il de cette voix de profonde sensibilité comme en ont les gens que mine quelque maladie et dont la nervosité est surexcitée par une idée fixe.

– Mordieu! fit Pardaillan qui serra les mains du moine, qu’on a donc du mal à parvenir jusqu’à vous!… Ouf! vous permettez que je m’installe?

Il dégrafa son épée, s’assit sur le bord du lit, et jetant un regard autour de lui:

– Comment pouvez-vous vivre ici? fit-il avec un frisson. C’est le tombeau anticipé… pour des gens comme vous qui prennent les choses trop à cœur. Que n’imitez-vous votre digne confrère le portier?… À la bonne heure! En voilà un qui vous a une figure enluminée à donner envie de s’enterrer vif dans un couvent!

[12] Le contre de sixte: figure d’escrime.


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