Et Catherine les lèvres serrées, les sourcils contractés, la physionomie devenue soudain terrible, acheva d’écrire:
«Payable à Paris, le LENDEMAIN DE LA MORT DE M. LE DUC DE GUISE.»
– Catherine, dit Ruggieri en employant pour prononcer ces mots une sorte de patois à demi-italien qui n’était compris que d’elle et de lui, Catherine, êtes-vous folle? Songez-vous que cet homme peut porter ce papier au duc qui le payera un million et qui ameutera toute la seigneurie contre votre fils!
– Oui, si cet homme ne voulait que de l’argent. Mais il veut de l’argent et la vengeance. Et même, pour la vengeance, il laisserait l’argent. Je vois qu’il en veut mortellement au duc. Tais-toi. Je le connais…
Catherine ne se trompait pas. Dans cette affaire, Maurevert cherchait deux choses: d’abord une somme d’argent suffisante pour s’expatrier et échapper tout à fait à Pardaillan au cas où celui-ci ne serait pas mort. Or, cette somme, il se l’était fixée à lui-même à deux cent mille livres. Il en avait demandé trois cents. On lui en offrait cinq cents!… Ensuite, Maurevert voulait réellement se venger de Guise.
Guise l’avait humilié. Guise, dans la période où il recherchait Violetta, avait eu pour Maurevert cette attitude insolente, cette défiance outrageante, ces précautions soupçonneuses qui accumulent dans un cœur de formidables rancunes. La reine l’avait donc admirablement jugé.
Maurevert lut sans surprise les mots que Catherine venait d’écrire. Il prit le bon, le plia froidement, le fit disparaître dans une poche de son pourpoint, et dit:
– Je remercie Votre Majesté. La date qu’elle indique me convient parfaitement.
– Cette date est donc bien rapprochée? demanda la reine palpitante.
– Oh! cela ne dépend pas de moi, madame! Car moi, je ne suis ni Dieu pour décréter la mort de monseigneur de Guise… ni le roi… pour l’envoyer à l’échafaud…
– L’échafaud! dit sourdement Catherine qui se redressa livide…
Ruggieri considérait ardemment Maurevert.
– Expliquez-vous nettement, dit à son tour l’astrologue… il ne s’agit donc pas…
– D’une arquebusade dans le genre de celle que j’envoyai à Coligny? fit Maurevert. Nullement. Aussi, au lieu d’écrire «Payable au lendemain de la mort», Votre Majesté eût plus justement écrit «Payable le lendemain de l’exécution de M. de Guise.»
– Maurevert, dit la vieille reine haletante, tu aurais donc vraiment le moyen de porter quelque terrible accusation contre le duc?… Parle, mon ami!… Je t’ai oublié jadis, c’est vrai… Mais si tu rendais un pareil service à mon fils… ce n’est pas cinq cent mille livres que tu pourrais espérer… entends-tu?…
– J’entends, Majesté. Mais je me contenterai de ce que vous avez bien voulu m’offrir, dit Maurevert. Il me reste donc à vous remettre papier pour papier… Vous m’avez donné un bon pour cinq cent mille livres. Je vais vous donner un bon pour une tête… Lisez ceci, madame…
À ces mots, en effet, il tira de sa poche une lettre qu’il remit à la reine. Catherine y jeta un avide regard et murmura:
– L’écriture de Guise…
Catherine et Ruggieri se penchèrent en même temps sur la lettre posée sur la table. Leurs deux têtes, qui se touchaient presque, formaient dans la pénombre un de ces tableaux que Rembrandt seul eût été capable de traduire. Il se dégageait une puissante et pénible impression, une sorte de poésie farouche, de ces deux têtes vieillies, ridées, d’une pâleur de marbre, mais où éclatait une joie funeste et terrible. Et ce spectacle eût impressionné tout autre que Maurevert… Voici ce que contenait la lettre:
«Madame,
Vous m’avez si bien, convaincu que je ne veux pas attendre une minute pour commencer l’exécution de l’admirable plan que vous m’avez développé. Ce n’est donc ni dans un mois ni dans huit jours que je me rendrai à Blois. J’y vais tout de ce pas. C’est donc à Blois même que j’aurai l’honneur de vous attendre afin de hâter ces deux événements que je souhaite avec une égale ardeur: la mort de qui vous savez, et l’union des deux puissances que vous connaissez.
«Henri, duc de Guise… pour le moment.»
Cette lettre, c’était celle-là même que Guise avait remise à Maurevert pour Fausta. Maurevert avait copié la lettre, remis la copie parfaitement imitée à Fausta et gardé l’original pour lui. La signature «Henri, duc de Guise… POUR LE MOMENT» constituait l’aveu échappé à la prudence du duc. Ce mot éclairait la lettre. «Qui vous savez», c’était le roi!…
Lorsque Catherine eut lu et relu cette lettre non pour en découvrir le sens, car ce sens lui apparaissait très clair, à elle, mais pour y chercher la possibilité d’accabler le duc sous une accusation capitale, elle demanda:
– À qui était adressée cette lettre?
– À la princesse Fausta… dit Maurevert.
– Donc, elle ne l’a pas reçue?…
– Pardon, madame. La princesse Fausta a reçu la lettre… ou une copie de la lettre.
Catherine le regarda avec une certaine admiration.
– Vous êtes sûr que nul autre que vous n’a vu cette lettre? reprit-elle.
– Parfaitement sûr, madame!…
Catherine appuya son coude sur la table, sa tête sur sa main, et les yeux fixés sur le papier, se plongea en une profonde rêverie.
– La princesse Fausta! murmura-t-elle enfin.
À quoi songeait-elle donc en prononçant ce nom?…