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– Non, madame, car je savais que mon intelligence était depuis longtemps connue de Votre Majesté…

– Que voulez-vous donc? Parlez. Je ne vous recommande pas la hardiesse, car vous me semblez ce soir étrangement hardi. Au moins puis-je vous ordonner la franchise…

– J’attendais cet ordre de Votre Majesté, dit Maurevert. Voici donc, madame, ce que je suis venu vous dire. Lorsque nous exterminâmes les huguenots, lorsque pour vous, pour vous seule, je risquai mon sang, ma vie, non pas une fois, mais dix fois, sans compter, Votre Majesté m’a fait certaines promesses… J’en ai attendu l’exécution pendant six ans. Un jour je me mis sur votre passage, et votre regard me fit comprendre que j’étais oublié… J’ai tenu à vous dire, madame, pourquoi je me suis jeté dans le parti de la Ligue, pourquoi j’ai tout fait pour soutenir les prétentions avouées ou secrètes de M. de Guise, pourquoi enfin je suis devenu un ennemi de la fortune des Valois…

– Vraiment, monsieur, vous avez tenu à me dire cela? gronda Catherine.

– Oui, madame, fit Maurevert avec calme. Et maintenant que je me suis soulagé, Votre Majesté peut appeler son capitaine des gardes et me faire arrêter… Mais vous saurez que si je vous ai trahie, c’est que vous m’avez trompé, vous! Que si je vous ai fait du mal, plus de mal que vous ne croyez, c’est que vous avez oublié, vous! de payer le fidèle et loyal serviteur que je fus jadis…

– Ah! vipère! murmura sourdement la reine. Il faut bien que votre Guise soit redoutable pour que vous osiez parler ainsi à votre reine! Il faut bien que vous lui ayez rendu de rudes services pour être aussi sûr qu’il vous délivrera si je vous fais arrêter… Je ne vous fais donc pas arrêter… mais je vous chasse! Vous parlez comme un laquais; je vous traite comme un laquais… sortez!…

La vieille reine, livide de se voir si faible après avoir été si puissante, eut cependant un de ces gestes de majestueuse dignité comme elle en avait autrefois. Mais Maurevert, après avoir fait un profond salut, demeura à sa place.

– Eh quoi, monsieur! gronda la reine avec un éclat de voix qui devait sûrement attirer du monde, n’avez-vous pas entendu que je vous chasse?… Faut-il appeler nos gens pour vous bâtonner?…

À ce moment une voix à la fois grave, humble et caressante se fit entendre:

– Madame et reine vénérée, pardonnez-moi si j’ose m’interposer entre votre auguste colère et ce gentilhomme. Restez, monsieur de Maurevert. La reine vous y autorise…

C’était Ruggieri! Il avait tout vu et tout entendu de son cabinet… Il fit un signe rapide à Catherine de Médicis. Et la reine, changeant de ton et de visage avec cette admirable facilité qui prouvait combien toujours elle était maîtresse de ses passions, prononça:

– Monsieur de Maurevert, je vous pardonne ce que votre attitude et vos paroles ont pu avoir d’étrange…

Maurevert mit un genou à terre et dit:

– Je crois maintenant que je puis dire à la reine tout ce que j’étais venu lui dire.

Et il se releva. La reine étonnée, hésitante, comprenant à l’attitude de l’astrologue qu’elle se trouvait en présence d’un mystère, reprit avec un charmant sourire:

– Vous avez donc encore quelque chose sur le cœur, mon cher monsieur de Maurevert?…

– Eh! s’écria Ruggieri, c’est bien simple. Il a sur le cœur de ne pas avoir été récompensé selon son mérite.

La reine regarda Maurevert qui s’inclina.

– Et il faut le récompenser, ce digne gentilhomme, reprit Ruggieri. N’est-ce pas, monsieur?…

Maurevert s’inclina encore.

– Et sans doute que pour être plus sûr d’obtenir une récompense digne de vous, continua l’astrologue, sans doute que vous apportez quelque chose à la reine?…

– En effet, monsieur… j’apporte quelque chose à Sa Majesté… Je lui apporte… ce que je lui apportai jadis au Louvre, le dimanche soir de Saint Barthélémy…

– Quoi donc? fit Ruggieri, tandis que la reine pâlissait.

– Une tête, répondit Maurevert.

Un flot de joie sinistre monta à la tête de Catherine, qui en elle-même gronda: «Une tête!… La tête de Guise!… Oh! je vieillis, puisque je n’ai pas compris tout de suite que si Maurevert se risquait en ma présence, c’était pour trahir son maître!»

– Monsieur, continua-t-elle à haute voix, veuillez me suivre. Et toi aussi, mon bon Ruggieri. Tu ne seras pas de trop pour ce qui va se dire…

La reine traversa la salle à manger, puis le salon où le roi, dans la journée, avait reçu les Guise; puis elle descendit non par le grand escalier qui donnait sur la cour carrée, mais par un escalier dérobé qui donnait sur son appartement. Cet appartement, situé au rez-de-chaussée, se trouvait juste au-dessous de l’appartement du roi, et en reproduisait la disposition.

Seulement, au lieu qu’elle dormît dans la chambre qui correspondait à la chambre à coucher de son fils, elle avait fait établir son lit dans une pièce qui était placée au-dessous d’un petit salon qui précédait la chambre royale. Ces détails sont utiles pour la suite de notre récit.

Catherine de Médicis fit entrer Ruggieri et Maurevert dans un petit oratoire et, ayant renvoyé ses suivantes, s’étant assurée qu’on ne pouvait ni les voir ni les entendre, prit place dans un fauteuil, tandis que les deux hommes demeuraient debout.

– Que voulez-vous? dit la vieille reine en fixant son regard sur Maurevert.

– Pardon, Madame, intervint Ruggieri, Votre Majesté veut-elle me permettre de placer ici un mot?

– Parle, mon brave et fidèle ami… parle… tes paroles sont généralement l’écho de ma pensée.

– Eh bien, fit l’astrologue, il me semble qu’avant de demander à ce gentilhomme ce qu’il veut, nous devons lui demander ce qu’il donne…

Catherine secoua la tête. Là, elle reprenait toute l’ampleur de sa pensée. Elle devenait supérieure à Ruggieri.

– Que voulez-vous? répéta-t-elle à Maurevert.

– Peu de chose, madame, dit Maurevert. Je me contenterai de trois cent mille livres.

– C’est peu, en effet, dit Catherine pensive.

– Cela me suffit pourtant!…

Et il ajouta:

– Ce que j’apporte vaut en effet un million. Et ne demandant que trois cent mille livres, j’estime donc à sept cent mille livres le plaisir que j’ai à servir les intérêts de Votre Majesté…

«Bon! pensa la reine prompte à comprendre. Il paraît que tu as une rude dent contre le Guise, et qu’au besoin tu le trahirais pour rien!…»

– Ruggieri, ajouta-t-elle tout haut, fouille dans ce meuble… là… le troisième tiroir… et donne-moi l’un de ces parchemins que tu vois…

Ruggieri obéit et plaça sur la table, devant la reine, un des parchemins demandés. Ces parchemins, c’étaient des bons sur la cassette royale tout préparés d’avance, scellés du sceau d’Henri III et signés de sa main. La reine le remplit, et la feuille se trouva alors ainsi libellée:

– «Bon pour la somme de cinq cent mille livres que notre trésorier versera, au vu des présentes, ès main du sire de Maurevert, pour services particuliers rendus à nous…»

Catherine tendit le bon à Maurevert qui n’eut pas un tressaillement, bien qu’il eût aussitôt remarqué la majoration énorme de la somme qu’il avait indiqué lui-même.

– Votre Majesté est la générosité même, se contenta-t-il de dire. Mais comme il disait ces mots, il eut un frémissement. En effet, le libellé du bon portait au bas cette formule écrite d’avance:

«Ladite somme payable à… le…»

Ni le nom de la ville ni la date n’avaient été remplis par Catherine de Médicis. Dès lors, le bon n’avait aucune valeur. Catherine qui, des yeux, suivait attentivement la physionomie de Maurevert, sourit et dit:

– Rendez-moi ce bon, monsieur; je crois que j’ai oublié…

– En effet, dit Maurevert en replaçant le parchemin sur la table, Votre Majesté a omis la date et le lieu du paiement…

Ruggieri qui connaissait le tréfonds de Catherine et savait toutes les ressources de cet esprit astucieux, assistait à cette scène avec l’impassibilité d’un spectateur qui connaît déjà le dénouement de la comédie qu’on lui joue.

– Où voulez-vous être payé, mon cher monsieur de Maurevert? demanda la reine avec un charmant sourire.

– Mais à Paris, s’il plaît à Votre Majesté… répondit Maurevert.

– À Paris. Bien. Vous voyez, j’écris: Payable à Paris… Reste la date… Quand voulez-vous être payé?…

– Le plus tôt possible, fit Maurevert en riant. J’avoue à Votre Majesté que j’attends avec impatience…

– Le plus tôt possible, dit la reine. Très bien. Voyez: j’indique la date la plus rapprochée possible, c’est-à-dire le jour même où le roi pourra disposer à son gré de ses finances… c’est-à-dire…

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