L’œil de Guise étincela.
– Ah! s’écria-t-il, tout cela je l’accomplirai, madame! Roi de France, avec l’instrument que vous me donnez, animé de l’esprit que soufflent vos ardentes paroles, je me sens de taille à soulever un monde…
Fausta laissa déborder cet enthousiasme qu’elle venait de provoquer. Et tout à coup, elle reprit doucement:
– Et moi, duc, qu’elle sera ma part?…
– Ceci n’est-il pas convenu aussi? Ne vous ai-je pas juré que vous seriez reine dans ce royaume dont je serai roi, impératrice dans ce vaste empire que votre cœur intrépide a osé concevoir!… En un mot, ne devons-nous pas nous unir dans les liens sacrés du mariage?…
– C’est vrai, duc… mais quand?…
– Quand? fit le duc assombri. Dès que, roi de France, j’aurai répudié Catherine de Clèves.
– C’est bien loin, duc!… Et puis, tenez, vous connaissez ma franchise. J’ai peur… vous pouvez m’oublier…
– J’ai juré! dit le duc.
– Et moi, fit la Fausta dans un grondement terrible, je ne crois pas aux serments des princes… Oh! ne pâlissez pas inutilement. Dites-vous seulement que j’ai appris à lire dans le cœur des hommes…
– Et qu’avez-vous lu dans le mien? bégaya le duc avec un livide sourire.
– Que le poignard qui va frapper Valois peut aussi bien frapper Fausta!…
– Madame…
– Que l’instrument peut être brisé quand il a servi!… Que ma part peut vous sembler trop belle quand je vous aurai couvert de la pourpre! Que vous êtes aujourd’hui à ma hauteur et que vous me voyez face à face, mais que vos regards passeront par-dessus moi quand je vous aurai hissé sur le trône! Alors, vous n’aurez qu’un geste à faire pour me noyer dans ce sang d’où émergera le trône sur lequel vous serez aussi! Voilà ce que j’ai lu dans votre cœur!…
– Madame… je vous écoute et n’en crois pas mes sens…
– Pourtant, c’est la vérité qui frappe vos oreilles. Duc, la minute est effroyable pour vous. Je puis d’un mot vous rejeter à l’abîme. Valois, si je veux, sera prévenu dans une heure… et demain, duc, ce n’est pas sur le trône que vous montez, c’est sur l’échafaud…
– Par le sang du Christ! rugit le duc partagé entre la fureur, l’étonnement et l’épouvante. Que vous faut-il donc?…
– Ma part, dit simplement Fausta. Et toute ma part, à moi, tient dans ce mot: Oui ou non, suis-je dès cet instant duchesse de Guise?…
– Ceci est insensé, madame! Catherine de Clèves est vivante encore!
– Oui… mais si vous le voulez, Catherine de Clèves n’est plus votre femme. Duc, voici la bulle de divorce qui casse votre mariage: c’est le cadeau de noces que me fait, à moi, mon vieil ami Sixte Quint, pape par la grâce de Dieu!…
En même temps, Fausta ouvrit l’étui, en tira le parchemin, le déploya et le tendit au duc de Guise. Celui-ci le saisit d’une main tremblante, rapprocha violemment un flambeau et se mit à lire. Quand il eut achevé sa lecture, quand il eut constaté que le parchemin aux armes pontificales était parfaitement authentique, il le laissa tomber sur la table et baissa la tête dans un morne silence. Le coup était terrible.
Mais ce qui paralysait le duc à ce moment, ce qui le faisait trembler, ce qui mettait sur son visage cette pâleur mortelle, c’était un prodigieux étonnement. Devant cette femme il se sentait faible et impuissant. Une telle audace, une telle promptitude, une telle profondeur dans la conception, une si effrayante rapidité dans l’action lui paraissaient inconcevables, impossibles… Et pourtant, cela était!…
Fausta, sur la table, prit une plume, et la présenta au duc de Guise, qui la saisit machinalement. Puis posant son doigt à l’endroit du parchemin réservé pour la signature de Guise, elle dit:
– Signez!…
Le Balafré la considéra un instant avec des yeux hagards. Il était en proie à une de ces rages froides qui, lorsqu’elles éclatent, tuent. Non qu’il regrettât de répudier Catherine de Clèves qui le trompait et faisait de lui le mari le plus ridicule de France, mais il se voyait deviné par la terrible Fausta, et il était dès lors en son pouvoir.
Le regard qu’il jeta à Fausta fut tel que celle-ci vit clairement que la corde était tendue à se rompre, et que le Balafré était sur le point de lui sauter à la gorge. Mais elle était de ces intrépides joueuses qui risquent le tout pour le tout. Mourir ou s’assurer de la puissance! Elle appuya plus rudement son doigt sur le parchemin et répéta:
– Signez!… Signez, duc. Dans quelques minutes, il sera trop tard! Le Balafré grinça les dents. Il se courba lentement sur la table, et de sa grosse écriture violente signa!… Alors Fausta alla ouvrir la porte du grand salon à double battant. Et le salon immense apparut, vivement éclairé.
Aux yeux de Guise, alors, un spectacle étrange se montra. Au fond du salon, un autel avait été dressé… ce n’était plus un salon, c’était une chapelle!… Sur l’autel, près du tabernacle, le vieux cardinal de Bourbon attendait, prêt à célébrer la messe.
Le cardinal de Guise, le duc de Mayenne, la duchesse de Nemours, la duchesse de Montpensier étaient assis dans des fauteuils et semblaient attendre une cérémonie qu’ils connaissaient d’avance. Alors, Fausta se tourna vers le Balafré, atterré de ce qu’il voyait et devinait, et elle dit:
– Duc, donnez la main à votre fiancée et conduisez-la à l’autel!…
Le duc eut un mouvement de recul, avec un soupir, une sorte de râle furieux. Une fois encore, son regard de meurtre se posa sur Fausta… Mais, comme tout à l’heure, cette résistance se brisa sous le regard noir, flamboyant et dominateur de Fausta. Et livide, la rage au cœur, il tendit sa main à Fausta…
Ils marchèrent à l’autel.
Le premier geste de Fausta fut de tendre au cardinal de Bourbon la bulle de divorce. Et alors la messe commença… la messe de mariage qui unissait Fausta au duc de Guise!…
«Maintenant, gronda-t-elle en elle-même, maintenant, je suis reine de France! Maintenant, je tiens le pouvoir! Maintenant, le monde va connaître la conquérante. Maintenant, nulle puissance ne peut m’empêcher de devenir la suprême impératrice dans l’empire de Charlemagne reconstitué par moi!…»