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Pardaillan, selon son habitude, attaqua par une série de coups droits foudroyants. Le messager ne dut son salut qu’à une marche en arrière. Mais tout en rompant, il se défendait avec un courage et une habileté qui pendant quelques secondes tinrent l’assaillant en respect…

– Monsieur, dit tout à coup Pardaillan, vous me paraissez homme de cœur, et je vous dois mes excuses…

– De quoi? fit le comte Luigi.

– De vous avoir prié de me remettre votre lettre. J’aurais dû prévoir qu’un homme comme vous peut être vaincu par la fortune, mais qu’il ne courbe pas volontairement la tête…

– Merci, monsieur, dit le messager en parant vivement une nouvelle attaque.

– Recevez donc, acheva Pardaillan, toutes mes excuses pour la proposition incongrue que je vous ai faite, et tous mes regrets d’être forcé de vous traiter en ennemi…

En même temps, il se fendit à fond. Le messager jeta un cri rauque, laissa échapper son épée, tourna sur lui-même et s’abattit…

– Holà! grommela Pardaillan, aurais-je vraiment été assez maladroit pour le tuer…

Il s’agenouilla, défit le pourpoint du comte toscan et examina la blessure en hochant la tête. À ce moment, le blessé ouvrit les yeux.

– Monsieur, dit Pardaillan, je suis maître du champ. Je puis donc vous prendre la missive que vous portez. Mais je serais au désespoir de vous quitter en ennemi, car vous êtes un brave… Voulez-vous, de bonne volonté, me remettre cette lettre?… Voulez-vous que nous nous séparions amis?…

Le blessé fit péniblement un geste de la main pour désigner une poche intérieure de son pourpoint.

– La lettre est là? dit Pardaillan.

– Oui, répondit le messager par un signe de tête.

Pardaillan la prit. Les yeux du blessé indiquèrent un profond désespoir.

– Voyons, dit Pardaillan ému de pitié, qu’est-ce que cela peut vous faire, au bout du compte?… Vous ne craignez pas, je suppose, que j’use de cette lettre comme d’une arme contre la signorita Fausta?

– Je le crains, murmura le blessé d’une voix à peine intelligible… Vous allez… porter… cette lettre… au roi de France… je suis un homme… déshonoré… car je suis cause… des malheurs qui vont arriver…

– Vraiment, dit Pardaillan, vous craignez cela?…

– Oui! fit nettement le blessé.

– Et vous ne redoutez que cela?

– Oui!…

– Et si je vous prouve que vous vous trompez? que je ne rendrai nullement cette missive à Valois?…

– Pas de preuve… possible! murmura le blessé.

– Si! il y en a une, dit Pardaillan. Et la voici!

À ces mots, sans l’ouvrir, sans la décacheter, sans jeter un coup d’œil sur la suscription, Pardaillan se mit à déchirer la lettre en petits morceaux. Lorsque elle eut été ainsi réduite en miettes certainement illisibles, ces fragments minuscules, il les jeta en l’air. Le vent qui balayait la falaise les saisit et les emporta d’une seule rafale dans la mer…

Pendant cette opération, le comte Luigi avait tenu attachés sur Pardaillan ses yeux pleins de stupéfaction. Puis l’étonnement fit place à une sorte d’admiration. Et d’un ton qui traduisit toute sa reconnaissance, il murmura:

– Merci, monsieur!…

Pardaillan haussa les épaules.

– Je vous ai prévenu que j’avais seulement l’intention de jouer un tour à votre Fausta. C’est fait. Quant à me servir d’une lettre tombée en mon pouvoir pour faire assassiner une femme, ce n’est pas dans mes habitudes. Cette lettre détruite n’existe plus même dans mon souvenir. Êtes-vous rassuré?…

– Oui, monsieur… et je vous bénis… de m’avoir donné… une pareille assurance… avant de mourir…

– Eh! mordieu, vous ne mourrez pas!

Le blessé secoua tristement la tête. Puis, épuisé par les efforts qu’il venait de faire, il s’évanouit.

Pardaillan alla à son cheval et fouilla vivement l’une des fontes. Là, sous le pistolet, il y avait des bandages, de la charpie, enfin tout ce qu’il faut à un homme pour panser provisoirement une blessure.

Il ne faut pas louer Pardaillan de cette précaution. Elle était commune à tous les routiers et aventuriers de cette époque qui, exposés à en découdre tous les jours, emportaient généralement dans leur bagage de quoi se soigner en cas de blessure non mortelle.

Pardaillan, donc, se mit à dégringoler la falaise par un sentier presque à pic, mouilla dans l’eau de mer un fort tampon de charpie, remonta au pas de charge, lava la blessure, y appliqua de la charpie et banda le tout le plus proprement du monde.

Le blessé, soulagé par ces soins et par la fraîcheur, revint à lui.

– C’est de l’eau salée, dit Pardaillan. Cela pique. Mais ce n’est que meilleur. Maintenant, monsieur, attention. Je vais vous soulever et vous placer sur mon cheval… mais pourquoi diable ne m’avez-vous pas remis la lettre avant d’en arriver à ces extrémités?…

Pardaillan se baissa, plaça ses mains sous les reins du blessé et, agissant à la fois avec douceur et avec force, le souleva et l’assit sur le cheval.

– Pouvez-vous tenir ainsi jusqu’à Gravelines? dit-il.

– Je le crois…

– En route donc. Si vous vous affaiblissez, appelez-moi…

Et traînant son cheval par la bride, se retournant tous les deux pas pour examiner son blessé, Pardaillan se mit en chemin au petit pas. Vingt minutes plus tard, il atteignait les premières maisons du village.

Gravelines ne se composait que d’une trentaine de cabanes de pêcheurs. Mais l’entrée de ce cheval ramenant un blessé avait attiré autour de Pardaillan quelques bonnes femmes et une bande effarée de marmots.

– L’auberge? demanda Pardaillan.

– Il n’y a pas d’auberge! fit l’une des femmes.

– Qui d’entre vous veut gagner dix écus? reprit alors Pardaillan.

– Moi, dit la femme qui venait de parler. Si c’est pour loger et soigner ce cavalier, je m’en charge.

– Où demeurez-vous, ma brave femme?

– Là! dit-elle en désignant la chaumière devant laquelle le groupe était arrêté.

Le blessé fut descendu, transporté devant la chaumière, couché sur un matelas de varech.

– Y a-t-il un chirurgien? un médecin? demanda Pardaillan.

– Non, mais nous avons le sorcier.

– Le sorcier?…

– Oui. Un vieux qui sait tout, qui guérit les fièvres, redresse les foulures, et sait l’art de soigner les blessures tant des armes à feu que des armes blanches…

À ce moment, celui que dans le village on appelait le sorcier, prévenu sans doute de l’événement, faisait son entrée dans la chaumière. C’était un vieillard à physionomie intelligente, à l’œil vif et malicieux. Sans rien dire, il s’agenouilla près du blessé et défit les bandages, puis se mit à examiner la plaie.

À l’adresse que déploya cet homme, Pardaillan vit bien qu’il était expert en la matière. Au bout de dix minutes d’examen pendant lesquelles le blessé perdit de nouveau connaissance, le sorcier remit le bandage en place et se releva.

– Qu’en dites-vous, monsieur? demanda Pardaillan.

– Je dis que c’est fort grave. Mais il en reviendra.

– Ah! fit Pardaillan avec un soupir de soulagement.

Mais aussitôt une pensée se fit jour dans sa tête. Si le blessé en revenait, il irait trouver Farnèse, et lui raconterait ce qui s’était passé en lui donnant oralement le contenu de la lettre. Alors tout ce qu’avait fait Pardaillan devenait inutile! Il attira le sorcier dans son coin.

– Vous êtes sûr, fit-il, qu’il en reviendra?

– Très sûr!

– Mais c’est que je voudrais bien que mon ami puisse continuer son voyage…

Le sorcier secoua la tête:

– S’il bouge de ce matelas avant huit jours, il meurt, dit-il. S’il essaye de marcher avant un mois, tout sera remis en question. S’il monte à cheval avant deux mois, je ne réponds de rien!…

Deux mois!…

C’était plus de temps qu’il n’en fallait à Pardaillan. Il tendit un écu au sorcier, qui refusa d’un geste en disant:

– Je n’ai pas besoin d’argent. Pour que je les soigne dans leurs maladies, les pêcheurs me donnent des poissons et du pain. Pour que je guérisse leurs blessures, les bûcherons me donnent du bois l’hiver. Pour que je ne jette pas un sort aux barques de leurs maris, les femmes me donnent du cidre et des légumes…

– Voilà un singulier homme, dit Pardaillan qui remit son écu dans sa bourse.

Quoi qu’il en soit, le sorcier fit si bien qu’au bout de quatre jours, il put positivement déclarer le blessé hors de tout danger. Ces quatre jours, Pardaillan les avait passés dans la chaumière. Ce ne fut que lorsqu’il eut vu son blessé en voie de guérison que Pardaillan partit de Gravelines.

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