Aux jours obscurs de Boris Godounov, Dans la brume du morne pays Russe Des hordes erraient sans toit, — Et dans les nuits, deux lunes montaient au ciel… Deux soleils se tenaient aux cieux des matins, Avec férocité couvant le monde qui dévale. Et un glapissement prolongé: «Du pain! du pain! du pain!» De la ténèbre des bois irruait jusqu'au Tsar. Dans les rues, les êtres squelettiques Broutaient avidement l'herbe maigre, Brutes et nus, — comme un bétail. Et les rêves s'accomplissaient en réalité. Alourdis de pourriture, les cercueils Aux vivants donnaient, fétide et infernale, une nourriture. Entre les dents des morts l'on trouvait du foin! Et devenait toute maison, un lugubre bouge… Les tempêtes et leurs tournements abattaient les tours, Et les cieux, dérobés de triples nues, Transparaissaient soudain d'une rouge lueur Et de batailles entre surnaturels guerriers! Jamais vus, des oiseaux arrivaient. Les aigles planèrent sur Moscou. Aux carrefours, des vieillards, en silence, attendaient, Qui hochaient leurs têtes chenues… La Mort et la Haine rôdaient parmi l'humanité. Et la Terre tressaillit de la vue d'une comète. Et dans ces jours, Dmitri se leva de sa tombe Pour incarner au corps d'Otrépiev, son esprit! Traduit par Alexandra de Holstein et René Ghil
Я люблю далекий след — от весла…/J'aime de mon aviron le sillon… Я люблю далекий след — от весла, Мне отрадно подойти — вплоть до зла, И его не совершив — посмотреть, Как костер, вдали, за мной — будет тлеть. Если я в мечте поджог — города, Пламя зарева со мной — навсегда. О, мой брат! Поэт и царь — сжегший Рим! Мы сжигаем, как и ты — и горим! J'aime de mon aviron le sillon, J'aime mon chemin fatal — jusqu au mal, Jusqu'au mal inaccompli — où pâlit Du bûcher le feu lointain — qui s'éteint. Et je porte les reflets — et les flammes Des pays que j'ai brûlés — en mon âme. Chantre et Souverain Néron — ô mon frère! Nous brûlons et nous mourons — incendiaires. Traduit par Ludmila Savitzky Можно жить с закрытыми глазами…/On peut vivre en fermant sur son destin les yeux… Можно жить с закрытыми глазами, Не желая в мире ничего, И навек проститься с небесами, И понять, что все кругом мертво. Можно жить, безмолвно холодея, Не считая гаснущих минут, Как живет осенний лес, редея, Как мечты поблекшие живут. Можно все заветное покинуть, Можно все бесследно разлюбить. Но нельзя к минувшему остынуть, Но нельзя о прошлом позабыть! On peut vivre en fermant sur son destin les yeux, Sans aucun rêve et sans douce espérance; L'on pourrait dire au ciel un éternel adieu, Sentir de tout le néant, l'inconstance. On peut vivre muet, se glaçant lentement, Sans regretter le temps qui nous entraîne. Les bois vivent ainsi, pour l'hiver s'endormant, Les rêves vains, dont notre âme est si pleine. Ce qui nous tient au cœur, nous pourrions l'en bannir, On peut d'amour se passer dans la vie, Mais on ne pourrait pas rayer un souvenir, Et le passé, jamais on ne l'oublie! Traduit par Olga Lanceray И плыли они/Et ils naviguaient… И плыли они без конца, без конца, Во мраке, но с жаждою света. И ужас внезапный объял их сердца, Когда дождалися ответа. Огонь появился пред взорами их В обрыве лазури туманной. И был он прекрасен, и ровен, и тих, Но ужас объял их нежданный. Как тени слепые, закрывши глаза, Сидели они, засыпая. Хоть спали — не спали, им снилась гроза, Глухая гроза и слепая. Закрытые веки дрожали едва, Но свет им был виден сквозь веки. И вечность раздвинулась, грозно-мертва: Все реки, безмолвные реки. На лоне растущих чернеющих вод Зажегся пожар беспредельный. Но спящие призраки плыли вперед, Дорогой прямой и бесцельной. И каждый, как дремлющий дух мертвеца, Качался в сверкающем дыме, И плыли они без конца, без конца, И путь свой свершили — слепыми. Et ils naviguaient sans fin, sans fin Dans la ténèbre, mais si avides de lumière… Et une horreur soudaine envahit leurs cœurs Quand ils eurent une Réponse! Une flamme, à leurs regards apparut Dans l'espace à pic de l'azur brumeux: Elle était belle, égale, tranquille, Mais ils étaient envahis de la terreur inattendue. Comme des ombres aveugles, les yeux fermés, Ils étaient assis et s'endormaient… Ils dormaient sans dormir et rêvaient d'une tempête, D'une sourde, d'une aveugle tempête. Les paupières closes tremblaient а peine, Mais la lumière leur était visible а travers les paupières. Et l'éternité s'écarta, menaçante et morte: Des rivières, des rivières en silence… Dans le giron des eaux noirement grandissantes Un incendie infini s'alluma. Mais les fantômes endormis naviguaient de l'avant Par une route droite et sans but. Et chacun, comme l'esprit sommeillant d'un cadavre Oscillait dans la fumée éclatante, Et ils naviguaient sans fin, sans fin, Et ils accomplissaient leur route, — aveugles… |