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JUDEX!

Cocantin crut devoir souligner en un sourire gouailleur:

– La plaisanterie continue.

– Mais moi, gronda le banquier en fronçant les sourcils, je trouve qu’elle a suffisamment duré!…

– Ne vous fâchez pas… monsieur Favraux…, suppliait Cocantin… Le coupable est peut-être plus près d’ici que nous le pensons. Je vais me livrer tout de suite à une inspection très sérieuse de votre maison et de ses alentours. Et je ne doute pas un seul instant que ce sinistre farceur ne tombe bientôt en mon pouvoir.

Cocantin, qui avait placé la seconde missive de Judex dans son portefeuille, à côté de la première, s’écria, en regardant d’un air protecteur le grand financier dont les yeux brillaient d’une flamme sombre:

– Rassurez-vous, monsieur… je veille!

Demeuré seul, le banquier se laissa tomber sur son fauteuil comme s’il eût été frappé d’un mal soudain ou saisi d’une profonde épouvante.

C’est que depuis un moment, il voyait devant ses yeux, et sans pouvoir s’en débarrasser, l’énigmatique signature, les lettres rouges, le mot terrible… Judex!… Judex!… que suivait le point d’exclamation sanglant et si ressemblant à une étrange et lancinante menace!

Le financier évoquait toutes les ruines qu’il avait accumulées autour de lui, tous les désastres qui avaient marqué chacune de ses ascensions vers la fortune, tous les cadavres qu’il avait laissés sur son chemin!

En proie à une terreur irrésistible, il se sentait envahi par l’intuitif pressentiment qu’il ne s’agissait plus, ainsi qu’il l’avait cru d’abord, d’une de ces farces stupides, comme en inventent les envieux ou les mauvais plaisants… mais d’un danger terrible qui l’enveloppait peu à peu d’une atmosphère de mystère et de mort…

Et cette question angoissante, terrible, se posa à son esprit:

– Si c’était vrai?… Si réellement, parmi mes victimes, l’une d’elles se relevait… furieusement, implacablement révoltée… et me déclarait dans l’ombre une guerre atroce et sans merci? La moitié de ma fortune! songeait Favraux, dans le désarroi de tout son être… La moitié de ma fortune!… Si je cède, je suis perdu! Tout le reste y passera!… Non, non! c’est impossible… Je ne veux pas!… Et pourtant!…

Alors il eut l’impression affreuse qu’une main invisible le serrait à la gorge cherchant à l’étouffer, à l’étrangler…

Un cri rauque lui échappa:

– Marie!

L’image de la jeune institutrice aux yeux noirs, d’un noir d’enfer venait de lui apparaître en une vision de volupté indicible.

À la pensée de la femme tant désirée, il se ressaisit.

– Céder à une pareille injonction, se dit-il, ce serait une lâcheté, une folie! Si vraiment cet ennemi existe… mieux vaut l’attendre de pied ferme… accepter le défi… engager la bataille.

Galvanisé par sa passion pour Marie Verdier, brave de toutes ses luttes passées, audacieux de tous les crimes impunis, conscient de la force indomptable que lui donnaient à la fois sa puissance acquise et sa volonté victorieuse, il s’écria:

– Maintenant, je ne te crains plus et j’accepte la lutte!… Eh bien, à nous deux, Judex!… Qui que tu sois, nous verrons bien si tu es de taille à m’abattre.

IV ET LORSQUE DIX HEURES SONNÈRENT

Les salons du château des Sablons, ornés à profusion des fleurs les plus belles, tout étincelants de lumière et d’or, regorgeaient de l’élégante cohue que le marchand d’or avait cru devoir inviter aux fiançailles de sa fille.

Amaury de la Rochefontaine, superbe, magnifique et rayonnant de bonheur, ne quittait pas sa fiancée.

Jacqueline, qui ne songeait qu’à son fils adoré, écoutait d’une oreille distraite les paroles toutes de tendresse enveloppante que lui prodiguait le beau marquis.

Quant au banquier, il allait d’un groupe à l’autre, recevant les félicitations de ses invités, plastronnant suivant son habitude, lançant de temps en temps un coup d’œil rapide vers Mlle Verdier à laquelle il avait dû faire doucement violence pour qu’elle assistât au dîner.

La jeune institutrice se tenait modestement à l’écart, comme si elle s’effrayait de se trouver au milieu d’un monde trop brillant pour elle…

Favraux semblait avoir complètement oublié les menaces de Judex, lorsque Cocantin, qui, impeccable dans son frac de soirée, s’était mêlé aux invités, s’approcha du banquier.

Prenant un air solennel, il lui murmura à l’oreille, sur un ton d’énigmatique importance:

– Tout va bien!

La vérité était que le détective avait en vain fouillé le château de la cave au grenier, exploré les communs et les dépendances, sondé les buissons les plus épais du parc; il n’avait absolument rien trouvé… sauf Favraux… qui, à l’abri d’un épais berceau de verdure, échangeait avec Mlle Marie les plus tendres propos.

Cocantin n’eut d’ailleurs pas le temps de bluffer davantage.

Une porte s’ouvrait à deux battants, laissant apercevoir un majestueux maître d’hôtel, qui lança d’une voix sonore:

– Monsieur est servi!

Les convives pénétrèrent dans la superbe salle à manger du château où les attendait une table merveilleusement décorée.

Dans cette atmosphère toute de plaisir et de bonne chère, promptement la conversation devint brillante, animée…

Par instants, un éclat de rire féminin, sonore comme un choc de cristal, dominait le ronronnement actif des bavardages emmêlés…

Compliments, potins, critiques, médisances allaient leur train habituel…

Dans un salon voisin un orchestre égrenait en sourdine tout un chapelet de valses lentes… lorsque Favraux se leva, la coupe à la main, pour porter le toast d’usage.

La pendule monumentale fixée à l’un des panneaux de la salle marquait exactement dix heures moins deux minutes.

Le silence s’établit non sans peine.

Puis, d’une voix quelque peu altérée, et dont les circonstances expliquaient l’émotion, Favraux commença:

– Mesdames, messieurs, permettez-moi de vous proposer la santé de ma fille, Mme Jacqueline Aubry, et du marquis Amaury de la Rochefontaine.

Un murmure approbateur circula dans l’assemblée.

Favraux continuait:

– C’est avec une joie d’autant plus grande qu’elle se manifeste au milieu de vieux amis, que je vous exprime, mon cher Amaury, ainsi qu’à toi ma chère enfant, tous les vœux de bonheur que je forme…

Soudain, le banquier s’arrêta comme si la parole lui manquait.

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