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Immobilisée… serrée comme dans un étau… incapable de réagir, entièrement dominée, annihilée par la valeureuse Daisy, qui redoublait d’efforts, l’ex-institutrice des Sablons avait promptement senti ses forces s’épuiser… et, tandis qu’un dernier cri de rage infernale s’échappait de ses lèvres, elle avait perdu connaissance, ne laissant plus entre les mains de la nageuse triomphante qu’une sorte de loque humaine que la mer ne demandait qu’à engloutir.

Mais Daisy Torp, toujours intrépide, avait résolu de ramener sa prisonnière à bord de l’Aiglon.

Elle voulait que son succès fût complet, décisif.

Et, tout en soutenant d’un bras, hors de l’eau, la tête de la misérable, elle nagea vers le navire qu’elle apercevait au loin, et qui commençait sa manœuvre de retour. Mais bientôt elle s’aperçut qu’elle avait trop présumé d’elle.

Contrariée, gênée par les courants qui, sans présenter aucun danger, n’en étaient pas moins une entrave fatigante… en la forçant à chaque instant à modifier sa route et, tout en ralentissant son allure, l’écartaient sensiblement de l’Aiglon, la fiancée de Cocantin comprit bientôt qu’il serait plus que téméraire de persévérer dans son projet… et qu’elle devait assurer, avant tout, son propre salut.

Lâchant Diana Monti, qui n’avait pas repris ses sens et disparut aussitôt sous les flots, elle résolut de retourner seule à bord.

Mais comme elle s’orientait… une exclamation lui échappa.

L’Aiglon, toutes voiles dehors, s’éloignait rapidement vers Sainte-Maxime.

Quant à la barque que Judex avait envoyée au secours de la nageuse, soit qu’elle se fût trompée de route, soit que Daisy, au cours de sa poursuite et de sa lutte, eût été entraînée dans une autre direction, elle avait disparu.

Il ne restait plus à miss Torp, comme dernière ressource, que de gagner la terre à la nage.

En aurait-elle le pouvoir?…

En tout cas, elle allait l’essayer avec l’énergie indomptable qui la caractérisait.

Ainsi qu’on l’a vu plus haut, fort heureusement pour elle, Cocantin était arrivé au moment où, malgré son indomptable courage et ses facultés physiques prodigieuses, elle allait couler à pic…

Et comme, au moment où la barque qui l’avait recueillie entrait dans le port, elle rouvrait les yeux, apercevant le môme Réglisse qui la regardait avec une expression d’admiration profonde et d’irrésistible sympathie, elle demanda d’une voix encore un peu dolente:

– Quel est cet enfant?

– C’est mon fils…, répliqua gravement l’excellent Cocantin en attirant le brave petit contre lui…

– Alors, sourit la gracieuse ondine, ce sera aussi le mien.

– Mince de luxe! s’exclama le môme Réglisse en embrassant la nageuse. Un papa… une maman… tout ça dans la même journée. Il ne me manque plus maintenant que de faire un héritage.

Et il ajouta en prenant un air de comique importance:

– Ce que c’est, tout de même, que d’avoir eu toujours une bonne conduite!

V L’ABSOLUTION

Cédant tout de suite à la demande du banquier, Judex avait conduit celui-ci auprès de sa mère.

Mme de Trémeuse se trouvait dans son salon… avec son fils Roger, en train de consoler le petit Jean… qui, après avoir réclamé sa maman et son grand-papa, s’était enfin laissé convaincre et calmer par les paroles pleines de bonté que lui adressait la comtesse.

En apercevant Jacqueline, qui avait suivi son père, Jeannot s’évada des bras de Mme de Trémeuse et courut se jeter dans ceux de sa mère…

Comme la jeune femme, voulant éviter à son fils le spectacle douloureux qui s’annonçait, se préparait à l’emmener au-dehors, Favraut fit… avec un accent de volonté que tempérait à présent beaucoup de douceur:

– Reste, ma fille… Reste avec le petit… Il faut que lui… comme toi… soit présent à ce qui va se passer ici… Il faut que le souvenir en demeure à jamais en son esprit comme en son cœur. Je veux qu’il s’en pénètre intimement, absolument. Je veux qu’il soit le témoin de mes remords! Car si jamais, ce qui n’arrivera pas… il subissait l’entraînement des tentations mauvaises, en se rappelant ce qu’il m’aura entendu dire et vu faire aujourd’hui, il comprendra qu’ici-bas, il n’y a qu’une seule vraie route à suivre: celle de la droiture, de la justice et de l’honneur!

En entendant ces mots, Mme de Trémeuse s’était levée en un mouvement d’indicible surprise.

C’était ce criminel sans scrupule qui parlait de la sorte!…

C’était ce bandit qui, après avoir impitoyablement broyé tous ceux qu’il considérait comme un obstacle à son ambition effrénée, après avoir semé autour de lui le deuil, la honte et la misère, désuni, brisé, dispersé tant de foyers, désespéré tant d’âmes, assassiné tant de cœurs, reconnaissait enfin ses torts… en une attitude prouvant qu’il était prêt à toutes les expiations, décidé à tous les repentirs!

Comme il était transformé!…

Ce n’était plus le marchand d’or arrogant, cruel, impitoyable, qui, avec ses millions, prétendait en imposer à tous, acheter toutes les consciences, venir à bout de toutes les honnêtetés, flétrir les pudeurs les plus nobles, avilir les sentiments les plus élevés.

À présent, Mme de Trémeuse avait devant elle un homme, un pauvre homme, profondément meurtri, humilié sans bassesse, ne souffrant plus que de regrets, bien décidé à tous les sacrifices, prêt à subir toutes les souffrances, les réclamant même… mais avant tout, par-dessus tout, assoiffé de pardon, non pas tant pour lui que pour ces deux êtres de grâce et d’innocence qui, rien que par la force divine de bonté et d’amour dont ils rayonnaient, avaient enfin rouvert ses yeux à la lumière.

Ah! combien en ce moment il était sincère!… Combien il eût voulu, au prix de chaque goutte de son sang, racheter tous les crimes qu’il avait commis et dont il venait seulement de comprendre la hideur!

Et, tombant aux genoux de Mme de Trémeuse, Favraut s’écria:

– Madame! pendant de longues années j’ai été un misérable. Je me suis conduit envers vous comme le dernier des lâches. J’ai brisé votre bonheur!… C’est abominable! Je le reconnais humblement, douloureusement. Je vous en demande pardon, madame… oh! oui, pardon, de tout ce qui me reste de forces. Je voudrais pouvoir, comme le faisaient jadis les premiers chrétiens de l’Église, me confesser devant tous, en public. Mais une telle manifestation entraînerait le déshonneur des miens. Je ne dois pas faire supporter à deux innocents le poids de mes fautes. Le banquier Favraut est mort… Il ne revivra pas… il ne profitera pas de votre clémence pour reprendre dans ce monde une place à laquelle il n’a plus droit, pour réclamer des droits dont il se déclare à jamais déchu… Il disparaîtra… il se refera une autre existence… et s’efforcera de procurer, honnêtement cette fois, à sa fille et à son petit-fils… par un labeur acharné, la large aisance qu’ils méritent.

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