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Alors… après avoir gradué, en habile comédienne, les manifestations de sa douleur, elle se tut complètement; et, tout en évitant avec soin le moindre bruit, elle s’engagea dans la trappe, atteignit avec une adresse infinie l’une des larges palettes de la roue du moulin; puis, avec une crânerie effarante, elle piqua une tête dans le fleuve, et, nageant entre deux eaux, elle gagna l’autre berge… où elle se cacha parmi les roseaux.

… En constatant la fuite de Diana, Judex avait d’abord dirigé son regard soupçonneux vers Moralès… Mais celui-ci, désignant au milieu de la pièce les vêtements et les bottines de l’aventurière, s’écria:

– Elle s’est jetée à l’eau.

– C’est évident, reconnaissait Judex.

Avec un accent de franchise qui acheva de convaincre le justicier, le fils de Kerjean poursuivait:

– Je n’aurais jamais pensé cela… Quelle terrible femme!… Il va falloir veiller, monsieur… car elle est capable de tout… Et dites-vous bien que vous allez avoir désormais en elle une ennemie qui ne reculera devant rien pour se défendre, et au besoin pour vous abattre.

Alors Judex mettant simplement la main sur l’épaule de Robert dit au vieux Kerjean:

– Vous voyez que j’avais raison de vous dire d’espérer. Ce garçon me semble sincère…

– Je le suis, monsieur, je vous le jure, interrompit vivement Moralès… Je n’ai qu’un désir: rencontrer l’occasion de le prouver à mon père ainsi qu’à vous, monsieur.

– Peut-être, fit énigmatiquement l’homme à la cape noire, oui, peut-être cette occasion se présentera-t-elle plus tôt que vous ne le pensez. En attendant, je vous remets à votre père… Vous allez pouvoir nous accompagner… Mais retenez bien ceci: Judex n’oublie pas plus ceux qui le servent que ceux qui le trahissent. Il sait punir aussi implacablement qu’il sait grandement récompenser.

– Monsieur, affirmait Moralès avec un profond respect, soyez sûr que vous aurez en moi le plus fidèle et le plus dévoué des serviteurs.

– Je l’espère.

– Et moi, fit le vieux Kerjean, je m’en porte garant… car si jamais mon fils manquait à son serment, ce n’est pas vous, monsieur, qui auriez à le châtier, ce serait moi!

– Père… vous n’aurez pas ce triste devoir, fit Robert en prenant les mains du vieillard et en les portant à ses lèvres.

Judex, qui était revenu à Jacqueline et l’avait enveloppée dans son manteau, l’emportait jusqu’à son canot… suivi de Kerjean et de son fils.

Avec mille précautions, il installait dans l’embarcation la jeune femme qui, maintenant, semblait doucement reposer… et bientôt… tandis que le soleil commençait à décroître à l’horizon, le canot s’éloigna rapidement dans la direction de Château-Rouge… à travers ce sublime décor de nature… dans la paix reposante d’une de ces fins de journées lumineuses qui semblent lancer à leur déclin sur les êtres et sur les choses une part du bonheur rayonnant dont elles étaient magnifiquement parées.

Bientôt, le frêle esquif ne fut plus qu’un point noir là-bas… puis, plus rien.

Alors Diana Monti reparut d’entre les roseaux… À nouveau, elle s’élança à la nage… regagna le moulin tragique… et se rhabilla tranquillement dans le grenier… Puis revenant à la fenêtre d’où l’on pouvait contempler le splendide panorama de la Seine et fixant obstinément de son regard de flamme la direction que la barque avait prise, elle murmura, d’une voix sifflante:

– Diana Monti n’a pas dit son dernier mot!

SIXIÈME ÉPISODE Le môme Réglisse

I OÙ LE VOILE SE DÉCHIRE

Devant une table-coiffeuse élégamment et minutieusement garnie, une jeune femme, délicieusement jolie, dont les traits légèrement tirés et le teint encore pâle révélaient une récente maladie, achevait de procéder à sa toilette… lorsqu’une gentille camériste, au regard plein de malice, souleva une portière, demandant sur un ton plein de sympathie respectueuse:

– Madame n’a besoin de rien?

– Mon Dieu non, Mariette, répondit Jacqueline Aubry qui, avec un accent plein de douceur et de bienveillance, ajouta aussitôt:

– À moins que vous ne vous décidiez enfin à me dire où je suis?

– Madame ne tardera pas à le savoir.

– Alors, pourquoi tout ce mystère?

– Je ne puis rien dire à madame.

Et, mettant un doigt mystérieux sur ses lèvres, Mariette disparut… avec un sourire énigmatique.

Jacqueline, très intriguée, se mit à récapituler tous les événements des jours précédents et dont elle avait gardé le souvenir.

Tout d’abord, elle se rappelait très nettement qu’ayant reçu un télégramme lui annonçant que son petit garçon était très malade… elle s’était empressée de prendre le train pour Loisy… et qu’au milieu du pont qui traverse la Seine, elle avait été assaillie par deux malandrins et précipitée par eux dans le fleuve.

À partir de ce moment, ses souvenirs devenaient extrêmement confus… Il lui semblait bien qu’elle s’était retrouvée chez les Bontemps… étendue sur un lit… que son petit garçon, à genoux près d’elle l’avait embrassée… et qu’ensuite elle avait perdu connaissance… Elle croyait également se rappeler qu’on l’avait emmenée dans une voiture très rapide… puis qu’auprès d’elle on criait, on se disputait… on se battait… sans qu’elle pût faire un mouvement… lancer un appel… figée dans une sorte de torpeur dont rien n’aurait pu la tirer.

Tout à coup, elle avait la sensation fulgurante d’un retour à la vie… Près d’elle se tenait un homme vêtu de noir… dont elle ne pouvait distinguer les traits… et dont elle apercevait seulement les deux grands yeux qui la considéraient dans un véritable rayonnement de bonté infinie et de profonde pitié.

Puis, la nuit s’était faite de nouveau en elle… Elle était retombée dans ce sommeil de plomb qui ressemble tant à la mort…

Lorsqu’elle avait repris connaissance, elle se trouvait dans une chambre élégante et claire… Mais les objets qui l’entouraient, elle ne les avait jamais vus… Aussi, dès qu’elle eut la force d’articuler quelques mots, demanda-t-elle à Mariette qui s’était installée à son chevet:

– Où suis-je?

– Chez des amis qui ont juré de vous sauver, et vous sauveront, répondit la femme de chambre.

– Et mon fils?

– Vous le verrez bientôt. Mais ne parlez pas… Reposez-vous… Ne vous inquiétez de rien… Laissez-vous soigner… Laissez-vous guérir… Vous saurez alors toute la vérité, et je crois, madame, que ce sera pour vous un bien beau jour!

Jacqueline, encore très faible, avait obéi à sa garde-malade, qui lui témoignait de plus en plus de dévouement.

Chaque jour, c’étaient de nouvelles et délicates attentions. Un matin, Jacqueline avait trouvé sur sa table de nuit le portrait de son Jeannot bien-aimé… Une autre fois ce fut une petite lettre:

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