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Cette fois c’était la ruine!

Le comte, à cent lieues de soupçonner les menées ténébreuses de Favraut, se crut la victime de la fatalité.

Dans une scène déchirante, il révéla à sa femme toute la vérité, concluant par ces mots:

– Un seul homme, s’il le voulait, pourrait encore nous sauver, c’est Favraut. Je lui ai déjà demandé son concours… il me l’a refusé… Mais peut-être aujourd’hui, en acceptant toutes ses conditions, pourrai-je me tirer d’affaire ou tout au moins ne pas connaître les affres d’une liquidation judiciaire ou la honte du failli. Sans Favraut… nous sommes perdus… et je ne vous le cache pas, ma chère Julia, je me demande si j’aurai le courage de survivre à un écroulement pareil!

Le nom de Favraut avait été pour Mme de Trémeuse la lueur de vérité.

Maintenant, elle comprenait tout.

C’était ce misérable qui, avec une habileté infernale, et ne reculant devant rien pour accomplir son ignoble tâche, se vengeait de son méprisant dédain en ruinant son mari et ses enfants…

Cachant soigneusement à l’époux adoré les sentiments qui s’agitaient en elle…, elle répondit avec un accent d’incomparable tendresse en même temps que de calme sublime:

– Mon ami… vous avez bien fait de me dire la vérité… Maintenant que je connais la situation, je puis vous être d’une aide beaucoup plus efficace.

– Que comptez-vous faire? interrogea de Trémeuse tout vibrant d’admiration et d’amour pour cette noble femme qui acceptait sans la moindre défaillance le coup terrible qui la frappait.

Avec une dignité magnifique, Mme de Trémeuse déclarait:

– Vous avez eu assez de confiance en moi pour ne rien me cacher de la catastrophe qui nous menace. Je vous en sais un gré infini. Maintenant, laissez-moi faire, et peut-être serai-je assez heureuse pour vous sauver.

– Puis-je vous demander ce que vous comptez faire?

Alors, sans la moindre hésitation, avec une flamme d’héroïsme dans le regard, la comtesse répliqua:

– C’est moi qui verrai le banquier Favraut!

II LA MÈRE

En prenant une aussi grave décision, la fière descendante des Orsini n’avait nullement cédé à la crainte… Elle obéissait au contraire à une voix intérieure qui lui conseillait:

– Va trouver cet homme… Loin de t’humilier devant lui, présente-toi la tête haute, non pas en timide suppliante, mais en grande dame qui vient demander des comptes à un homme qui l’a outragée… Fais-le rougir de son indignité. Force-le à te demander pardon, et à réparer le mal qu’il a causé… Et si vraiment ce Favraut n’est pas un monstre, s’il garde en lui un restant d’honneur, une parcelle de pitié, il reconnaîtra certainement qu’il n’a pas le droit, parce qu’une femme l’a dédaigné, de causer le malheur de plusieurs innocents!

Mme de Trémeuse, née Orsini, qui se faisait de l’idée de vengeance une conception si haute, quelque chose comme un de ces dogmes traditionnels qui ne souffrent point d’être diminués par la plus petite mesquinerie et encore moins salis par une hypocrite lâcheté, comptait qu’elle serait assez forte pour faire rentrer en lui-même le banquier, en lui démontrant tout l’odieux de sa conduite.

Sûre d’elle comme elle ne l’avait jamais été, prête à combattre jusqu’au bout, armée d’une énergie sans limites, forte de l’amour de son mari et de ses fils, elle se présentait le lendemain chez Favraut qui, troublé par l’annonce d’une visite qu’il n’eût jamais espérée, s’empressa de recevoir la comtesse.

Tout en lui témoignant la plus respectueuse politesse, il la conduisit jusqu’à un fauteuil placé à la droite de son bureau; et, avec une correction déférente qui pouvait faire croire qu’il avait renoncé à ses odieux projets, il questionna:

– Quel heureux événement… me procure, madame la comtesse, le grand honneur de votre visite?

– Vous ne vous en doutez pas?… répliquait aussitôt Mme de Trémeuse…

– Nullement, madame.

– Vous n’ignorez pas que mon mari se trouve depuis quelque temps dans une situation difficile.

– Je le sais.

– Je suis venue à vous pour vous demander de nous aider.

– M. de Trémeuse ne vous a donc pas dit qu’il avait déjà sollicité mon appui… et qu’à mon vif regret, j’avais dû le lui refuser?

– Il me l’a dit.

Favraut, qui faisait tous ses efforts pour dissimuler la passion ardente que n’avait pas cessé de lui inspirer la belle Corse, posa d’une voix sournoise:

– Madame la comtesse, quel que soit mon désir d’être agréable à M. de Trémeuse, ainsi qu’à vous-même, il m’est absolument impossible de revenir sur ma décision. En ce moment, toutes mes disponibilités sont engagées… L’Europe traverse une crise financière très grave… Les capitaux se cachent… et je ne vois pas… d’ici un temps assez éloigné, moyen pour moi de vous obliger… Je le regrette d’autant plus qu’il m’eût été tout particulièrement agréable de vous prouver toute ma profonde sympathie!

– Alors…, fit Mme de Trémeuse, mon mari est perdu… mes enfants sont ruinés!…

Le banquier eut un geste évasif.

Tout à fait grande… et incapable de dissimuler davantage sa pensée, Mme de Trémeuse s’écria:

– Allons, monsieur Favraut, vous ne trouvez donc pas que vous vous êtes suffisamment vengé en me voyant, moi, après ce qui s’est passé entre nous, franchir le seuil de votre bureau?

– Comtesse, je ne comprends rien à ce que vous me dites.

– Vous le comprenez d’autant mieux que l’auteur responsable de la catastrophe qui est à la veille de fondre sur nous… c’est vous!

– Moi!

– Oui, monsieur Favraut… c’est vous qui êtes l’instigateur de cette campagne odieuse dirigée contre mon mari… C’est vous qui, par vos menées souterraines, après avoir compromis son crédit, avez organisé les grèves… soudoyé des gens pour inonder les mines… Oui, c’est vous, en un mot, qui avez tout mis en œuvre pour le briser… et cela, parce qu’un jour que vous osiez m’insulter d’une déclaration d’amour, je vous avais chassé de ma maison…

«Ne cherchez pas à nier… Ne vous dérobez pas… La preuve de ce que j’avance, c’est vous-même qui venez de me la donner… Je la lis dans vos yeux… Tenez, vous tremblez, monsieur Favraut, vous pâlissez… Ah! si c’était de remords… comme je vous pardonnerais!…

Transfigurée par la beauté de la cause qu’elle défendait avec toute son ardeur de mère sublime et d’épouse immaculée, Mme de Trémeuse poursuivit:

– Avez-vous mesuré, monsieur, toute l’étendue des conséquences que pouvait avoir votre geste? Je ne le crois pas; car si vous aviez réfléchi aux douleurs imméritées qu’il entraînerait, je suis convaincue que vous n’auriez pas eu l’atroce courage d’entreprendre une pareille œuvre de haine et de mort!

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