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– Monsieur, interrompit la fille du banquier, je ne vous accuse nullement; je vous remercie, au contraire, de votre si parfaite loyauté. Mais vous comprendrez que je sois bouleversée à la pensée que la mémoire de mon père puisse être un instant suspectée… Aussi, je tiens avant tout à éclaircir cette affaire.

– Vous avez raison, madame.

– Et si j’ai besoin de vos services?…

– Vous pourrez entièrement compter sur moi, promit le directeur de l’Agence Céléritas qui se retira après avoir salué Mme Aubry jusqu’à terre.

Demeurée seule, Jacqueline relut d’abord la première sommation.

Non content de ruiner et de déshonorer les gens, il faut encore que vous les assassiniez. Je vous donne l’ordre, pour expier vos crimes, de verser la moitié de votre fortune à l’Assistance publique. Vous avez jusqu’à demain soir, dix heures, pour vous exécuter.

JUDEX!

Puis, ce fut l’autre, véritable glas d’avertissement suprême:

Si avant dix heures, vous n’avez pas versé à l’Assistance publique la moitié de votre fortune mal acquise, ensuite, il sera trop tard. Vous serez impitoyablement châtié.

JUDEX!

Et la jeune femme, envahie par une terreur indicible, songeait que c’était précisément lorsque dix heures sonnaient à l’horloge de la salle à manger, que le banquier était tombé foudroyé.

– Plus de doute! s’écria-t-elle en un sanglot déchirant… Mon père a été victime d’un complot tramé dans l’ombre. Mon père a été assassiné!

Jacqueline qui, jusqu’à ce jour, n’avait jamais soupçonné l’intégrité du financier, traitant, comme tant d’autres, de mensonges odieux et de calomnies stupides les rares et vagues accusations qu’elle avait entendu çà et là porter contre lui, se demanda, avec un sentiment de sourde terreur si ces rumeurs ne reposaient pas sur un fond de vérité.

Aussitôt, elle se révolta contre elle-même.

– Mon père un voleur, un assassin! Certes, il aimait l’argent… il était âpre au gain, et impitoyable envers ceux qui se jetaient en travers de ses projets. Mais de là à commettre des crimes aussi épouvantables… Non, non, c’est impossible!… Père, père chéri, pardonne-moi d’avoir pu effleurer ta mémoire d’un pareil soupçon!…

Tout en s’efforçant de redevenir maîtresse d’elle-même, Jacqueline sonna un domestique.

– Bontemps, interrogea-t-elle, M. le marquis de la Rochefontaine a-t-il quitté le château?

– Oui, madame. Il est parti pour Paris, en auto, il y a environ un quart d’heure.

– Alors, dites à M. Vallières que je désire lui parler.

Quelques instants après, le secrétaire de Favraux se présentait devant Jacqueline.

Pâle, silencieuse, la fille du banquier le considéra d’un de ces longs et profonds regards qui expriment: «Êtes-vous vraiment un ami?»

L’expression de bonté sincère et même attendrie qui se lisait sur les traits de Vallières la rassura aussitôt; car tout de suite, elle fit sur un ton plein d’énergie:

– Monsieur Vallières, mon père avait pour vous beaucoup d’estime. La veille de sa mort, il me disait encore combien il était reconnaissant à son ami William Simpson – de New York – de vous avoir adressé à lui.

Comme Vallières s’inclinait d’un air grave, ému, Jacqueline continua:

– Je sais donc que l’on peut avoir entièrement confiance en vous.

Et, lui tendant les deux lettres de Judex, elle ajouta:

– Voici ce qu’un agent d’affaires vient de m’apporter… Lisez…

– M. Favraux m’avait mis au courant, répliqua le secrétaire, en reconnaissant les deux messages.

– Ah! vous saviez?

– Oui, madame, et je dois ajouter que Monsieur votre père n’avait prêté à ces lettres qu’une très médiocre importance.

– Et pourtant, s’écria Jacqueline, il a succombé juste à l’heure indiquée par elles!

– C’est exact!

– Voilà pourquoi je ne puis rester dans une aussi terrible incertitude… Je vous demanderai donc de m’accompagner à la Préfecture de police.

Vallières, considérant Jacqueline d’un air de douloureuse sympathie, reprenait:

– Voulez-vous, madame, me permettre de vous donner un respectueux conseil?

– Je vous en prie.

– N’allez pas à la Préfecture.

– Pourquoi?

– Ne me forcez pas à préciser.

– Au contraire, reprenait Jacqueline, je veux tout savoir.

– Contentez-vous de pleurer votre père, sans chercher à savoir ce que fut son passé.

– Son passé! fit Jacqueline en un cri de terrible angoisse. Son passé! Les accusations contenues dans ces lettres seraient donc vraies? Alors pourquoi déjà m’avoir caché l’existence de ces deux messages? Oui, pourquoi ces réticences et tout ce mystère?… Monsieur Vallières, au nom du ciel, parlez!…

– Madame…, hésitait encore le secrétaire tout tremblant d’émotion.

– Vous ne voyez donc pas que vous me torturez affreusement…, s’écria Jacqueline en éclatant en sanglots. Oh! je vous en supplie, dites-moi que mon père est innocent! Au nom de mon fils, je vous en conjure, affirmez-moi, jurez-moi qu’il n’y a pas un mot de vrai dans cette histoire!

Tout en inclinant tristement le front, Vallières articula d’une voix dans laquelle il y avait des larmes:

– Hélas! madame… C’est la vérité!

VI LE DOSSIER RÉVÉLATEUR

Jacqueline, fléchissant sous le poids de cette nouvelle douleur, s’était laissée tomber sur un canapé, prête à s’évanouir.

– Ah! madame! s’écria Vallières sur un ton de respectueux reproche… Pourquoi m’avez-vous forcé à vous révéler ces choses?

La jeune femme, faisant appel à toute son énergie, répliqua:

– Non! laissez… je serai forte! Ne vous excusez pas, monsieur Vallières. Vous avez bien fait… oui, très bien fait de me prévenir. Maintenant, achevez! Je vous répète que je veux tout connaître… C’est à la fois mon droit et mon devoir!

– En ce cas, madame, veuillez me suivre, invita Vallières en offrant son bras à Jacqueline et en la conduisant jusqu’au cabinet de travail du banquier.

Tandis que la jeune femme s’asseyait devant le bureau de son père, Vallières s’approcha d’une boiserie sculptée qui ornait un angle de la muraille et fit jouer un ressort secret. Un panneau se déplaça, laissant apparaître une excavation pratiquée dans la muraille.

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