Mais remarquant la pâleur de son complice, elle s’écria:
– Qu’est-ce que tu as encore?
– Diana, fit le misérable, pourquoi m’as-tu conduit dans ce moulin?
Brutalement, l’aventurière répliquait:
– Parce que… je l’avais remarqué lorsque j’étais institutrice au château des Sablons. Je comptais m’en servir plus tard pour supprimer Favraut quand le moment en serait venu. J’ai pensé qu’il nous serait très utile pour nous débarrasser de sa fille… Je ne vois donc pas pourquoi tu fais en ce moment une tête pareille… Tu es plus blanc, qu’un linge… C’est à se demander vraiment si tu as du sang dans les veines!
– Songe à tout ce que me rappelle cette maison, reprenait le fils de Kerjean… Mes parents… mon enfance… On était heureux chez nous…
– Une romance… Oh! non, très peu, mon petit Mora… tu devrais savoir que je n’aime pas ce genre de musique-là!
– Diana!
– Fiche-moi la paix… Nous ne sommes pas ici pour nous attendrir sur le passé… mais pour veiller au présent. Cette femme nous gêne… finissons-en avec elle une bonne fois pour toutes!
En un geste tout de barbarie cynique infâme, la Monti, s’emparant d’un couteau à virole qu’elle tenait caché dans son corsage, l’arma au cran d’arrêt et le passa à Moralès en lançant cette affreuse parole:
– Travaille!
Mais Moralès, en un sursaut de révolte, repoussa la main de Diana qui ordonna sur un ton impérieux dominateur… avec lequel, souvent, elle était venue à bout des scrupules de son associé:
– Allons, frappe!… Nous nous débarrasserons du corps en le jetant par la trappe! Voyons… c’est simple comme bonjour. Qu’est-ce que tu attends?
Moralès hésitait toujours.
Cédant à la violente colère qui, depuis un moment bouillonnait en elle, la Monti s’écria:
– Toi, si tu flanches… prends garde!
Tout à coup, le fils de Pierre Kerjean se transforma. Une flamme d’indignation s’alluma dans ses yeux. Saisissant la main de l’aventurière qui tenait le couteau dans ses doigts crispés, il s’écria:
– Diana, je ne tuerai pas cette femme… Surtout ici, dans cette maison où je suis né… dans cette chambre qui était celle de mes parents… où est morte ma mère…
– Alors…, rugit la misérable, laisse-moi faire la besogne moi-même.
– Non, non, tu m’entends… pas ici… je ne veux pas… je te le défends…, clamait Moralès, en resserrant son étreinte.
– Laisse-moi… laisse-moi…, grinçait Diana, l’écume aux lèvres.
– Lâche ce couteau.
– Non.
– Diana!
– Je n’ai pas peur de toi.
– C’est ce que nous allons voir.
Une lutte sauvage s’engagea entre les deux amants…
Tandis que Moralès s’efforçait de la désarmer… Diana, véritable furie déchaînée, cherchait à le mordre au poignet, au visage… et c’étaient des cris rauques, mêlés d’ignobles injures, véritable bataille de fauves, acharnée, atroce…
Les deux bandits qui s’étreignaient furieusement, roulèrent sur le plancher, lorsque la porte s’ouvrit toute grande livrant passage à un vieillard encore robuste… qui lança d’une voix éclatante, tout en séparant brusquement les deux combattants:
– Je suis l’ancien propriétaire de cette maison que vous ne souillerez pas d’un crime.
Et dominant Diana et Moralès qui, à cette intervention inattendue, s’étaient séparés et le considéraient avec stupeur, il ajouta:
– Je m’appelle Pierre Kerjean!
À cette révélation, tandis que la Monti courait s’enfermer dans le grenier voisin. Moralès, en proie à une indicible épouvante, murmurait d’une voix morte:
– Mon père!
IV LE PARDON DU FORÇAT
Tandis que Diana qui, pour la première fois peut-être de son existence mouvementée, avait senti le frisson de la peur lui glacer les veines, collait son oreille contre la cloison, Kerjean, sans perdre une seconde, poussa le puissant mais grossier verrou qui fermait la porte du réduit.
– Celle-là, je la tiens!… grommela-t-il… Maintenant, à l’autre!
Et revenant vers Moralès qui s’était relevé… il allait, se plaçant entre Jacqueline et lui, subir vaillamment le choc auquel il s’attendait, lorsque, à sa grande surprise, il se trouva en face d’un homme effondré, à l’attitude douloureuse… au visage bouleversé, au regard chargé de larmes…
Tout tremblant… n’osant lever les yeux… Moralès questionna… timidement… faiblement:
– Monsieur… vous êtes Pierre Kerjean?
– Oui!
Alors, après avoir hésité… l’amant de la Monti laissa échapper:
– Je suis votre fils!
– Toi… Robert! fit le vieux meunier en un cri de désespoir.
Puis, maîtrisant son indicible émotion, il poursuivit d’une voix sourde, haletante:
– C’était donc vrai… ce qu’on m’avait dit à la mairie du village? Mon fils! mon Robert!… Toi que je revois encore si doux, si aimant… toi pour qui ta mère et moi nous avions fait de si beaux rêves, je te retrouve ici, sur le point d’accomplir un crime abominable!
– Père! s’écria Moralès, avec un accent déchirant… Père, je vous en prie, pardonnez-moi.
Avec un accent de douleur poignante, Kerjean reprenait:
– Je n’ai pas le droit… mon fils… de t’adresser de reproche, car tu pourrais me répondre: «Si je suis devenu un bandit, c’est de votre faute; c’est vous qui m’avez montré le mauvais exemple… c’est vous qui, après avoir fait mourir de chagrin ma mère, m’avez laissé seul… sans appui, sans conseils… avec cette seule étiquette qui m’a poursuivi dans la vie: «Fils de faussaire… enfant de bagnard!»
«Certes, je pourrais te prouver que je n’ai pas été aussi misérable que tu peux le croire… et que, subissant l’influence d’un homme cent fois plus coupable que moi… de ce banquier Favraut dont tu as dû entendre prononcer le nom et que sa situation formidable mettait à l’abri, lui, des atteintes de la justice, j’ai été surtout la victime de mon ignorance et de ma crédulité.
«Mais mieux vaut nous éviter une explication aussi atroce. Je te dirai seulement que si j’ai supporté ma peine, si je ne me suis pas laissé aller aux idées de suicide qui me hantaient, depuis surtout que j’avais appris la mort de ta pauvre mère, c’était pour toi, rien que pour toi!… mon fils! car aussitôt ma peine terminée… je voulais revenir en France… pour te retrouver… J’espérais tant que tu étais resté un honnête homme… Tu le promettais si bien… et je me disais: Quand il verra son vieux père venir à lui… rongé de remords… quand il entendra sa défense… quand il connaîtra toutes les circonstances dans lesquelles il a été condamné, c’est-à-dire tous les pièges qu’on a tendus à sa faiblesse, toutes les tentations qu’on a fait miroiter à ses yeux, peut-être alors ne le repoussera-t-il pas tout à fait… peut-être consentira-t-il même à ce que de temps en temps, à l’insu de tous, il vienne s’asseoir à son foyer?