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La seconde: l’être aimé étendu dans son cabinet de travail… figé dans l’immobilité de la mort volontaire.

Et cela suffit pour chasser de son cœur toute velléité de compassion… toute idée de miséricorde.

Oui, le coupable expiera… Il demeurera là – bête féroce enchaînée – jusqu’à ce que l’autre justice, celle d’en haut, décide que le châtiment doit finir… et elle, la justicière d’ici-bas, viendra souvent… très souvent, se repaître de ce spectacle… assister à la lente agonie de son ennemi… compter, avec lui, les minutes de torture… recueillir, avec la plus âpre des ferveurs, les plaintes qui s’exhalent de ses lèvres… intarissable mélopée de détresse… écho inconscient de joies passées et à jamais flétries!…

Mme de Trémeuse se lève… Elle va retourner au miroir… Elle veut revoir Favraut… être bien sûre qu’il souffre encore, qu’il souffre toujours. Mais elle s’arrête… Il lui semble qu’un baiser très doux vient d’effleurer son front… et, dans la plus divine des hallucinations, elle a l’impression que l’enfant de la veille, le petit-fils de son ennemi, s’est encore approché d’elle, s’est jeté dans ses bras et qu’il approche sa bouche si tendre de son front brûlant de fièvre.

L’évocation de cette caresse enfantine, survenant au moment précis où elle ne pense plus qu’à se rassasier de sa vengeance, met en elle un trouble étrange… Cette maternité qu’elle n’avait jusqu’alors dirigée que vers la vengeance se réveille en une sorte de crise de mystique tendresse… Plus fort que la haine, un sentiment nouveau l’envahit… irrésistible et doux… Les beaux yeux clairs de Jeannot la poursuivent… Sa voix chante à son oreille: «Voulez-vous m’embrasser, madame?» Et ce baiser… elle l’a accepté… elle l’a rendu… N’était-ce pas déjà du pardon?… N’était-ce pas déjà une promesse… un pacte… entre elle et ce petit?… Des larmes montent à ses yeux, son cœur ne bat plus de la même manière… Malgré cela, elle retourne au miroir… elle regarde Favraut… qui maintenant semble bercer un tout-petit dans ses bras… Alors, vaincue, désarmée… elle s’en va vers Judex… et lui dit d’une voix que son fils ne lui connaissait plus:

– On ne peut laisser cet homme dans ce tombeau!

II L’ÉTERNELLE DALILA

Après un long et mystérieux conciliabule avec Kerjean, Judex avait quitté le Château-Rouge en compagnie de sa mère et de son frère.

L’ancien meunier des Sablons, après avoir apporté à son prisonnier sa nourriture quotidienne, rejoignit son fils qui l’attendait dans une chambre aménagée pour lui dans l’un des souterrains du château.

Depuis la scène terrible qui s’était déroulée au moulin tragique, Moralès, ou plutôt Robert Kerjean, n’avait cessé de manifester le plus sincère repentir.

Cependant, malgré le pardon de son père et l’accueil si favorable de Judex, il restait plongé dans une profonde mélancolie… Pendant de longs instants, il demeurait silencieux, la pensée perdue dans un rêve… la tête cachée entre les mains… Ce fut ainsi que le vieux Kerjean le trouva.

– Robert, fit-il, je suis inquiet de toi… cette tristesse que tu ne sembles pas pouvoir surmonter me cause une vive anxiété… J’ai peur que la confession que tu m’as faite ne soit pas aussi complète que j’étais en droit de l’espérer.

– Pourtant…, déclarait Moralès, je vous ai dit toute la vérité.

– Tu aurais tort de te défier de moi… Je t’ai pardonné de tout mon cœur; et Judex me disait hier encore qu’il était prêt à te procurer tous les moyens dont tu aurais besoin pour te refaire une existence de travail et de probité.

– Mon père, reprenait l’ancien amant de Diana Monti, jamais je n’oublierai la preuve d’admirable affection que vous m’avez donnée; et je resterai toujours reconnaissant envers Judex de ce qu’il a fait pour vous et de ce qu’il veut faire pour moi… Mais…

Et Robert Kerjean s’arrêta en proie à un trouble qu’il ne pouvait maîtriser davantage.

– Mais? reprenait l’ancien bagnard… Voyons, mon fils, parle… explique-toi.

Et comme Moralès gardait le silence, le vieux Kerjean reprit:

– Je crois comprendre… Cette femme… Tu l’aimes encore… n’est-ce pas?

Sans répondre à la question que lui posait son père, le jeune homme déclara d’une voix tremblante:

– Mon père, je ne puis pas rester davantage ici… Il faut que je m’éloigne, que je m’en aille loin… très loin, emporté dans une existence faite à la fois d’action et de devoir.

– Moi qui espérais tant te garder près de moi!

– Je vous répète qu’il faut que je m’en aille.

– Tu es donc plus atteint que je ne le pensais?

– Peut-être…, soupira Moralès.

Et, tendant à son père une lettre qu’il venait de terminer et qui portait l’adresse de Judex, il dit simplement:

– Lisez!

C’était un de ces billets laconiques… mais expressifs, qui paraissent avoir été dictés par la plus inébranlable résolution:

Pardonnez-moi de quitter le Château-Rouge sans vous prévenir. Mon père vous remettra cette lettre. Mon intention est de m’engager dans la Légion étrangère pour me réhabiliter. Laissez-moi vous remercier encore, et me dire à jamais votre dévoué serviteur.

ROBERT KERJEAN.

– Mon pauvre enfant! reprenait Kerjean, qui avait peine à retenir ses larmes… Je n’ai pas le droit de chercher à te faire revenir sur ta décision… Si tu l’as prise, c’est que tu l’as jugée indispensable.

– Oui, père.

– Eh bien! va… et tâche de revenir avant que moi je sois parti pour toujours. Mon seul désir, à présent, est que ce soit la main d’un honnête homme, la tienne, mon Robert, qui me ferme les yeux.

– Soyez tranquille, affirma Moralès… vous serez content et fier de moi…

– Alors, embrasse-moi, mon fils… au revoir, et bon courage!

Robert Kerjean avait donc regagné Paris…

Il était trop tard pour qu’il se rendît au bureau de recrutement où il devait contracter l’engagement qui allait faire de lui un nouvel homme; il avait remis cette formalité au lendemain… et, après avoir fait le choix d’un modeste hôtel, il était allé, pour tuer le temps, flâner sur le boulevard.

Bientôt, se sentant envahi par une lassitude physique et morale indéfinissable, il entrait dans un café, s’asseyait à une table, commandait un porto, et réclamait les illustrés… qu’il se mit à feuilleter, machinalement, sans intérêt… pour les abandonner presque aussitôt… comme s’il eût été entièrement absorbé par une pensée unique, prédominante.

Cet établissement où le hasard l’avait fait entrer, en évoquant en lui le plus brûlant des souvenirs, venait de raviver l’incendie qui, intérieurement, le dévorait.

Là, en effet, quelques jours auparavant, il s’était arrêté avec Diana.

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