– Je n’ai jamais lu nulle part, se dit-il, que Fouché, le célèbre ministre de la Police de Napoléon, éprouvât la nécessité de se camoufler… ce qui, d’ailleurs ne l’a nullement empêché d’être le premier détective du monde. Hé bien, imitons-le!… faisons de la police à visage découvert. Ce sera plus chic, plus crâne, et plus français! Mais ce n’est pas une raison pour ne pas me munir de tous les engins de protection et d’attaque que la science moderne met à la disposition de tous ceux qui veulent affronter un péril.
Cocantin fit donc l’acquisition d’un plastron cuirasse destiné à le mettre à l’abri des balles et des coups de couteau de ses ennemis.
Il acheta également quatre brownings… un pour chacune des poches de son veston et de son pantalon… Il glissa dans sa ceinture un poignard à la lame triangulaire et affilée… Il se munit d’un coup-de-poing américain avec pointe et d’un casse-tête capable d’assommer un bœuf; et, véritable arsenal en marche, le col de son paletot relevé et les bords de son feutre rabattu sur les yeux, il repartit en guerre, après avoir juré au buste de Napoléon qu’il en reviendrait vainqueur… ou les pieds devant!…
Tout d’abord… il commença par «repérer» Diana et Amaury.
Cela lui fut facile…
Cette première formalité accomplie, Cocantin se trouva quelque peu embarrassé.
L’ère des difficultés s’ouvrait pour lui… Que devrait-il faire?
Une phrase banale à force d’être classique lui fournit bientôt une ligne de conduite:
– Le hasard est le dieu des policiers.
Prosper, qui jugeait cette formule d’autant plus excellente qu’il n’en avait pas trouvé d’autre, se dit avec beaucoup de philosophie:
– Attendons le hasard!
Mais, tout de suite, il décida fort sagement:
– Ne le laissons pas échapper!
Sans désemparer, prenant à peine le temps de dormir et de manger, il s’en vint rôder aux alentours de la maison où demeurait Diana, guettant l’occasion désirée qui allait lui permettre de faire à son tour œuvre de justice.
Elle n’allait pas trop le faire attendre.
En effet, une nuit que posté devant la fenêtre de l’aventurière, il cherchait à travers les persiennes qui laissaient filtrer une lueur atténuée, à découvrir quelque indice favorable, son cœur se mit à battre, tout à coup, avec une certaine émotion…
Une automobile, où se trouvaient trois hommes aux allures qu’il considéra immédiatement comme inquiétantes et patibulaires, s’était arrêtée à quelques pas de lui devant l’immeuble habité par Diana… et Amaury.
Il vit tout d’abord le wattman sauter à terre, entrer dans la maison… revenir au bout d’un bref instant, faire un signe mystérieux à ses compagnons, qui s’emparèrent d’un corps enveloppé d’une couverture autour de laquelle s’enroulait une corde étroitement serrée, le transportèrent vivement à l’intérieur de la maison.
– Ça y est…, se dit Cocantin, en proie à un «trac» que, vaillamment, il chercha aussitôt à surmonter… Ça y est… les grands événements vont commencer.
Dès que les deux hommes eurent disparu avec leur fardeau, et que la porte se fut refermée derrière eux… Cocantin, sortant de l’encoignure où il se dissimulait, se dirigea vers l’automobile à seule fin d’en prendre le numéro.
Tout à coup, il tressaillit.
Une main, qu’instantanément il devina vigoureuse entre toutes, venait de se poser sur son épaule.
Cocantin se retourna.
Un homme de haute stature, drapé dans une ample cape noire et coiffé d’un chapeau en feutre, se tenait devant lui, l’air grave, sévère, énigmatique.
– Ah ça! monsieur…, balbutia le directeur de l’Agence Céléritas, violemment décontenancé… Qui êtes-vous? et que me voulez-vous?
– Je suis Judex! répliqua simplement Jacques de Trémeuse.
V UNE MANŒUVRE HARDIE
À ces mots, Cocantin eut un sursaut, qui montrait toute l’influence qu’exerçait sur lui ce nom mystérieux.
Mais, tout de suite, au regard rempli de bienveillance que dirigeait vers lui l’énigmatique personnage, le détective se sentit d’autant plus rassuré qu’il avait la conscience absolument tranquille et que, par conséquent, il n’avait rien à redouter de son étrange et puissant interlocuteur.
Se ressaisissant aussitôt, il reprit d’une voix qui tremblait encore un peu, non plus de frayeur, mais d’émotion:
– Vous êtes monsieur Judex?… Eh bien! moi, je suis monsieur Cocantin.
– Je le savais.
– Croyez, monsieur Judex, que je suis enchanté de faire votre connaissance.
– Me permettrez-vous de vous serrer la main?
– Je n’osais vous le demander.
Et dans un mouvement spontané, le brave Prosper tendit les deux mains à Judex qui s’en empara en disant:
– J’ai su, monsieur, que vous aviez fort bien servi mes intérêts… je vous en remercie…
– J’ai agi suivant ma conscience.
– Je vous en félicite.
– Croyez que je vous suis et que je vous serai toujours entièrement acquis.
– En ce cas, reprenait Judex… Vous me mettez fort à mon aise pour vous demander ce que vous faites ici…
– Je travaille! murmura Cocantin, en prenant un air important et confidentiel…
Et tout de suite, il ajouta:
– Je me suis juré de démasquer Diana Monti et sa bande.
– Ce qui fait, soulignait Jacques, que nous poursuivons le même but.
– Et ce qui prouve, ajoutait Prosper, que les honnêtes gens sont faits pour se rencontrer!
Passant son bras sous celui du détective, Judex l’entraîna vers une auto qui stationnait dans l’ombre à quelques mètres de là:
– Vous déplairait-il, monsieur Cocantin, demanda-t-il, que, pour cette nuit du moins, nous mettions nos efforts en commun?
– Croyez, monsieur, que j’en serais très flatté et très enchanté.
– Alors… c’est une collaboration?
– Dont je suis profondément honoré.
Et, avec un accent de légitime amour-propre, Cocantin ajouta aussitôt:
– D’autant plus, monsieur Judex, que j’ai idée que je ne vous serai peut-être pas tout à fait inutile.
– J’en suis persuadé.
Le successeur du sieur Ribaudet, qui n’avait jamais vécu de pareilles minutes, reprit, avec un accent de gravité qui amusa beaucoup Jacques de Trémeuse: