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Tandis que Favraux, haussant les épaules d’un air méprisant, s’éloignait de la grille, et que Vallières avec des paroles pleines de mansuétude et de pitié s’efforçait de calmer la colère du vieux Kerjean, celui-ci eut un dernier rugissement:

– Sois maudit, banquier Favraux, sois maudit à jamais!

Puis, ramassant son chapeau et remontant sa besace, il reprit sa route… tout en grinçant entre ses dents:

– Je me vengerai… oui… je me vengerai!

Cet effort l’avait brisé…

À peine eut-il parcouru un demi-kilomètre, qu’il dut s’arrêter… S’effondrant sur un tas de pierres, laissant tomber près de lui son sac et son bâton… la tête entre les mains, il se mit à pleurer, évoquant comme à travers un lointain brouillard les années heureuses… hélas… si vite envolées!

Tout à coup, Kerjean tressaillit…

Le grondement rapproché d’une automobile venait de lui faire redresser la tête.

Un cri rauque lui échappa:

– Favraux!

Sur le siège d’une luxueuse 40 HP, au volant, à cinquante mètres de lui, le vieux Kerjean venait de reconnaître son ennemi.

Alors, affolé de la haine la plus terrible qui eût jamais ulcéré un cœur, il s’élança vers la voiture, en clamant, les bras tendus en avant:

– Canaille! Canaille!

Le malheureux, happé par une des ailes du véhicule… tomba sous les roues… tandis que le banquier, qui n’avait même pas appuyé sur la pédale de frein… continuait son chemin, sans s’inquiéter le moindrement de celui qu’il venait d’écraser et qu’il laissait sur la route blanche, déserte, et bientôt tachée d’une mare de sang.

Presque aussitôt… le vieux Kerjean rouvrit les paupières.

Il eut encore la force de se soulever et d’apercevoir au loin, dans un nuage de poussière, l’auto qui emportait son bourreau, son assassin…

Le regard vitreux, la bouche tordue en un spasme suprême, il retomba en arrière, le visage tourné vers le ciel, et râlant en un cri d’agonie:

– Dieu te punira!… Dieu te punira!…

II LE MESSAGE MYSTÉRIEUX

Dans son merveilleux cabinet de travail du plus pur Empire qui occupait le rez-de-chaussée entier de l’aile principale du château des Sablons, le banquier Favraux, toujours matinal, était déjà depuis plus d’une heure au travail, lorsqu’on frappa discrètement à la grande porte à deux battants qui donnait dans l’antichambre.

– Entrez…, fit le banquier, sur un ton de légère impatience.

Mais aussitôt, son visage s’éclaira.

La jolie femme brune, avec laquelle il causait si intimement la veille, s’avançait, tenant à la main un adorable garçonnet de cinq ans, véritable ange blond, que l’on eût dit échappé d’une fresque du Dominiquin ou d’Andréa del Sarto…

L’enfant, tout de suite, se précipita vers le financier, et, sautant familièrement sur ses genoux, il s’écria:

– Bonjour, bon-papa!

– Bonjour… Jeannot! répondit Favraux qui, après avoir embrassé le petit, le posa à terre, tandis que ses yeux, brillants de désir, cherchaient ceux de l’institutrice.

Tandis que le bambin se précipitait vers une des larges fenêtres qui donnaient sur le parc, Favraux, avec l’accent de la passion la plus intense, murmura à la jeune femme qui semblait fort troublée:

– Marie, comme je vous aime!

– Monsieur…

– Je vous adore, et je veux… Oui, je veux que vous soyez à moi.

– Votre maîtresse, jamais!

– Et ma femme?

– Monsieur Favraux…

– Aussitôt après le mariage de ma fille…, murmurait le banquier.

Mais une voix féminine demandait doucement de l’autre côté de la porte:

– Puis-je entrer, père?

– Mais oui, maman chérie, répliqua spontanément le bambin en quittant la fenêtre.

Une jeune femme, radieusement jolie, au regard très doux, mais un peu triste, apparut sur le seuil, dans un seyant costume d’amazone qui faisait valoir ses lignes toutes de grâce harmonieuse et de frêle souplesse:

– Bonjour, Jacqueline, lança froidement Favraux.

– Bonjour, père…, répondit la fille du banquier, en s’avançant vers lui et en l’embrassant avec une visible expression de craintive déférence.

– Tu montes à cheval ce matin? interrogea Favraux.

– Oui…, répliqua Jacqueline… Je m’en vais faire un tour en forêt avec M. de la Rochefontaine.

À ce nom, le petit Jean qui s’était emparé de la main de sa mère interrogea naïvement:

– Dis, maman… c’est vrai que je m’en vais avoir un nouveau papa?

– Mais oui…, répondit la jeune femme, en rougissant légèrement.

– Comment faudra-t-il que je l’appelle?…

– Père…

– Est-ce qu’il est aussi riche que bon-papa Favraux?

Jacqueline, doucement, grondait:

– Mon chéri, ce sont des questions que ne doivent jamais poser les enfants bien élevés… Allons, va… mon petit… va prendre ta leçon avec Mlle Verdier; et tâche, surtout, d’être bien sage et bien obéissant.

– Oui, maman… je te le promets.

L’enfant s’en fut avec son institutrice, tandis que Jacqueline soupirait tout en le regardant s’éloigner, avec cette expression de tendresse divine et d’orgueil souriant qui n’appartient qu’aux mères:

– Cher petit ange… comme j’aurais voulu me garder toute à toi!

– Allons, bon! sursauta Favraux avec nervosité… Te voilà encore avec tes idées ridicules…

– Père… vous m’avez mal comprise… Laissez-moi vous expliquer…

– Tu ne sais pas ce que tu dis! Tu es stupide, ma fille… stupide!

À cette phrase lancée brutalement, Jacqueline avait baissé le front, tandis que la tristesse grandissait sur son visage.

C’est qu’au milieu de tout le luxe qui l’entourait, Jacqueline n’avait jamais été heureuse…

D’abord, elle avait perdu très tôt sa mère, personne timide, effacée, que Favraux avait épousée aux heures difficiles et qui était morte écrasée par la fortune comme d’autres sont vaincus par la misère.

Puis, au sortir du couvent, son père qui, dans son égoïsme féroce, avait froidement résolu de se servir de sa fille comme d’un nouvel instrument de fortune, la mariait à un jeune ingénieur, Jacques Aubry, dépourvu de tout argent mais dénué de tout scrupule et doué du véritable génie des affaires…

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