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Et, pour achever de vaincre les dernières hésitations de l’aventurière, Judex posa, en baissant la voix:

– Un million pour vous… si vous acceptez tout de suite.

À ces mots, Diana eut une seconde de vertige.

– Un million…

Fascinée par l’appât de cette somme encore plus qu’entraînée par les arguments de Judex, elle allait accepter, lorsque, tout à coup, la lumière se fit dans son esprit, lui révélant instantanément toute la vérité.

– Je vois clair dans son jeu, se dit-elle… Il est amoureux de Jacqueline… Il n’y a pas à en douter un seul moment… Il veut lui rendre son père pour pouvoir l’épouser. Quant au million qu’il me propose, peut-être me le donnera-t-il pour en finir plus vite… quitte ensuite à me livrer à la justice ou plutôt à sa justice… et à me frapper implacablement.

Et tout de suite, elle songea:

– Pourquoi risquer une partie avec de pareils doutes… quand je le tiens, lui, et quand je peux m’en délivrer à tout jamais? Oui, au lieu de lui livrer le banquier, c’est moi qui vais le livrer à Favraut. Et nous verrons ensuite, si, comme il le prétend, Jacqueline et son enfant sont si bien invulnérables.

– Monsieur, reprit-elle après un bref silence, j’ai bien écouté tout ce que vous venez de me dire. Je ne vous cacherai pas que vous m’avez vivement impressionnée… Aussi suis-je toute prête à m’entendre avec vous… et à vous remettre Favraut en échange du million que vous m’avez promis. Mais à une condition.

– Laquelle?

– Je vous l’ai déjà dit, je ne suis pas seule.

– Il y a Moralès?

– Oui, il y a Moralès… il y a aussi Favraut… Avec le premier, il nous sera facile de nous entendre. Mais avec le second…

– Je ne saisis pas très bien.

– Vous n’ignorez pas qu’il a perdu la raison?

– Oui… je le sais!

– En ce moment, il est hanté par une idée fixe… revoir sa fille et son petit-fils.

– Eh bien?

– Tant qu’il ne les aura pas retrouvés, il refusera de quitter le navire où nous l’avons transporté, et si nous insistons trop vivement, je crains un scandale… des violences… Alors je ne sais que faire… Peut-être… si vous envoyiez chercher Mme Aubry… mais vous allez encore dire que je veux me venger, l’attirer dans un guet-apens…

Judex se taisait…

Une lueur étrange, sublime flambait dans son regard…

Sans doute son cœur d’amant venait-il de lui inspirer quelque sublime, et généreuse idée; car au bout d’un instant, tandis qu’un reflet d’incomparable noblesse illuminait ses traits, il fit d’une voix mâle et résolue:

– Voulez-vous me conduire auprès de Favraut?

– Comment cela? répliquait Diana toute interdite de tant d’audace…

– Je vous l’ai dit… je suis sans armes.

Et réprimant la joie sauvage… féroce qui s’était emparée d’elle à la vue de son ennemi qui se livrait ainsi à elle dans un but dont elle ne pouvait et ne voulait approfondir les raisons secrètes, elle fit d’une voix rauque, saccadée:

– Eh bien… suivez-moi!

Quelques instants après, la petite chaloupe s’éloignait du quai, emportant Jacques de Trémeuse… qui, resté debout au milieu de la barque, dominait de sa haute stature les bandits avec lesquels il venait d’engager la lutte suprême… tandis que la lune se voilait derrière les gros nuages qui, depuis un moment, s’amoncelaient à l’horizon.

*
* *

Tout doucement, Cocantin, qui venait d’avoir un long et mystérieux conciliabule avec Miss Daisy Torp… sortit de sa cachette… et, s’avançant vers le port, regarda avec une expression d’inquiétude la barque qui s’éloignait vers l’Aiglon, mouillé à quelque cents mètres du rivage.

D’une voix entrecoupée, il confiait à l’Américaine qui l’avait suivi:

– C’est elle… c’est la Monti… j’en suis sûre… je la connais… Et elle l’emmène. Elle a dû le rouler… comme elle m’avait roulé, moi! Ah! la gueuse! Daisy, je ne suis pas tranquille!… En voyant Judex monter à bord de ce canot, il me semble que j’assiste à l’embarquement de Napoléon pour Sainte-Hélène. Oui, j’ai le pressentiment qu’il va arriver malheur à mon ami.

«Et rien… ni bachot… ni youyou… pas même une périssoire… pas même une coquille de noix. Ah! si je savais nager, moi!

À ces mots, une expression de malice et d’audace se répandit sur la jolie figure de Miss Daisy Torp.

– Vous aimez beaucoup ce Judex? demanda-t-elle.

– C’est un grand cœur! fit sincèrement l’excellent Prosper.

– Eh bien, ne vous inquiétez pas! déclara l’intrépide Américaine. C’est moi qui irai à son secours. Laissez-moi faire, je sens que je réussirai.

Et la charmante créature se débarrassant en un tour de main de son chapeau, de son manteau, de sa robe, et de ses chaussures, apparut bientôt sur la jetée… en un maillot de soie noire qu’elle avait l’habitude de porter en guise de chemise, suivant la mode américaine.

– Daisy… Daisy, où allez-vous comme ça? questionnait le détective malgré lui.

– Au secours de Judex, lança la jolie nageuse, en exécutant un plongeon magistral dans la mer… et en gagnant entre deux eaux le brick-goélette où venait d’accoster Jacques de Trémeuse.

– Si elle le sauve, s’écria Cocantin dans un élan sublime, eh bien!… j’en ferai ma femme…

ONZIÈME ÉPISODE L’ondine

I À BORD DE L’AIGLON

Lorsque Judex mit le pied sur le brick-goélette l’Aiglon, il n’avait rien perdu de son calme admirable… On eût dit qu’il n’éprouvait aucune espèce d’inquiétude de s’être livré ainsi sans défense à ses ennemis…

Persuadé que, grâce à son argumentation aussi logique que sensée, il avait convaincu Diana Monti de la nécessité pour elle de lui rendre Favraut et ne doutant pas un seul instant qu’il viendrait facilement à bout du banquier dont il ignorait d’ailleurs le prompt retour à la raison, Jacques de Trémeuse n’éprouvait donc aucune crainte non seulement au sujet de sa propre sécurité, mais encore sur le résultat du plan qu’il avait si audacieusement conçu et si énergiquement exécuté.

Et puis, n’était-il pas soutenu par la pensée de Jacqueline… par l’amour profond, immense, que l’adorable créature lui avait inspiré et que, désormais, il savait partagé?

Cet amour avait déjà accompli un miracle que longtemps il avait cru lui-même impossible.

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