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– Monsieur Vallières!

Un homme d’une soixantaine d’années s’approchait d’elle, son chapeau à la main en une attitude pleine de déférence affectueuse.

– Madame, fit-il, je vous demande pardon de vous aborder ainsi. Mais puisque j’ai l’avantage de vous rencontrer en ce lointain quartier où j’avais une course à faire, me sera-t-il permis de vous demander de vos nouvelles et de celles de votre cher petit Jean?

– Mon fils est à la campagne, chez les Bontemps, répliquait la maman du petit Jean. Quant à moi, je vais aussi bien que possible… Et vous, cher monsieur?

– J’ai eu la chance de trouver une situation, qui, sans valoir celle que j’occupais auprès de Monsieur votre père…

– Monsieur Vallières, interrompit la jeune femme en pâlissant… vous m’avez donné, récemment, dans de bien cruelles circonstances, une preuve d’amitié loyale que je n’ai pas oubliée!… Eh bien, laissez-moi vous dire que pour vous comme pour tous, Jacqueline Aubry, la fille du banquier Favraux, a cessé d’exister pour faire place à Mme Jeanne Bertin… professeur de piano et d’anglais… Vous voyez… je me suis tenu parole… je travaille… Et j’en suis toute fière et très heureuse…

– Vous êtes la plus noble femme que j’aie jamais connue… affirma Vallières en s’inclinant respectueusement devant Jacqueline qui reprit:

– Excusez-moi, monsieur Vallières… je suis attendue et je ne voudrais pas être en retard… Donnez-moi de temps en temps de vos nouvelles. Je demeure tout près d’ici, à Neuilly, 10, impasse Saint-Ferdinand… Mais pas un mot à personne, je vous en prie.

– Je vous le promets.

*
* *

La fille du banquier continua sa route. Absorbée par les souvenirs douloureux et angoissants que sa rencontre avec Vallières venait de réveiller en son cœur, elle n’avait pas remarqué que, depuis un moment, elle était suivie par un jeune homme à la silhouette élégante, aux allures aristocratiques, mais dont l’air de morgue et d’arrogance révélait à la fois le cerveau étroit et l’âme ingrate.

Au moment où Jacqueline atteignait l’avenue de Neuilly, l’inconnu accéléra le pas, comme s’il voulait dépasser Jacqueline. Mais il s’arrêta, songeant:

– Décidément, ce n’est pas une femme que l’on peut aborder dans la rue.

Et, contemplant d’un regard flambant de passion malsaine, l’exquise et frêle créature qui, toute à ses pensées, c’est-à-dire rien qu’à son devoir, traversait la chaussée pour se diriger vers la station du tramway à vapeur Saint-Germain-Porte-Maillot, il murmura, sur le ton de la plus insolente fatuité:

– Quelle adorable maîtresse je vais avoir!

Regagnant une auto fermée, très basse et très puissante, et qui stationnait à l’angle de la rue Saint-Pierre et de l’avenue, il lança impérieusement au wattman impeccable en sa livrée marron aux boutons d’or, où s’incrustait largement une couronne de marquis:

– Teddy, rue de Varennes, et très vite n’est-ce pas?

Puis, tout en s’installant sur les coussins gris perle de la voiture, il grommela:

– Quoi qu’il arrive, et quoi qu’il m’en coûte, cette femme sera à moi!

II LE «ROI DU COTILLON»

Celui qui venait ainsi de décréter avec tant de cynique désinvolture la conquête ou plutôt le déshonneur de Jacqueline n’était autre que le jeune marquis César de Birargues, vice-président du Polo-Club, trésorier du cercle des Sports et des Arts, champion de golf, prince du tennis et «roi du cotillon»!

Tous ces titres, d’ailleurs, ne l’empêchaient nullement d’être le snob le plus insupportable et le personnage le plus inutile de la terre.

Le duc, son père, excellent gentilhomme, avait en vain cherché à éveiller dans l’âme de son fils les sentiments d’honneur chevaleresque de tradition dans la famille. La duchesse, noble femme toute de vertu souriante et de charme captivant, avait dû, elle aussi, renoncer à lui prodiguer ses excellents conseils.

À sa majorité, quittant la somptueuse demeure que, depuis le XVIIe siècle, les Birargues occupaient au faubourg Saint-Germain, César s’était installé avenue Henri-Martin, dans un luxueux appartement de garçon… où il menait depuis près de deux ans… l’existence la plus désordonnée, ne rendant aux siens que des visites rapides et intéressées.

Aussi, grandes furent la surprise et la joie de sa sœur, la jolie et délicate Gisèle, lorsque, vers dix heures du matin, elle vit entrer le marquis dans le vaste salon où, depuis un moment déjà, elle s’exerçait sur un magnifique piano aux gammes chromatiques et aux arpèges les plus ardus.

– Bonjour, César! s’écria-t-elle en courant embrasser son frère qu’elle ne pouvait juger qu’à travers la limpidité de son cœur virginal.

– Bonjour, mignonne, répondit le champion de tennis… Tu es en train d’étudier… Aussi, je te laisse.

– Non, reste…, suppliait gentiment Gisèle. Les instants que tu nous consacres sont si rares que je m’en voudrais de te les disputer même pour Beethoven ou pour Mozart.

César ripostait, cherchant à se mettre à l’unisson:

– J’en suis d’autant plus charmé que tu adores la musique.

– C’est un art si admirable.

– Es-tu en progrès?

– Mme Bertin m’affirme que oui.

– Mme Bertin? questionnait le «roi du cotillon» avec l’hypocrisie d’un «roué».

– Mon nouveau professeur…, expliquait Gisèle. Je l’attends d’un moment à l’autre… et je suis persuadée qu’elle se fera un plaisir de te dire elle-même ce qu’elle pense de moi…

– Je suis très pressé…, affirmait César de Birargues.

– Oh! Reste un peu, insistait Gisèle, je tiens beaucoup à ce que tu voies Mme Bertin… C’est une personne très distinguée, très douce… qui a eu, paraît-il, de gros revers de fortune… Elle nous a été recommandée par M. l’abbé Villetot… le premier vicaire de Saint-Philippe-du-Roule. Si tu pouvais lui procurer quelques leçons, je t’assure que tu ferais une bonne action… car cette jeune femme est tout à fait intéressante.

– Oh! moi, les leçons de piano, ce n’est guère mon affaire, ripostait le «roi du cotillon» d’un air d’indifférence affectée… lorsqu’une porte s’ouvrit, livrant passage à une femme de chambre qui annonça:

– Mme Bertin.

Simplement… modestement… Jacqueline s’avançait, vite rejointe par Gisèle qui, gracieusement, présentait:

– Mon frère le marquis César de Birargues… Mme Bertin, mon professeur.

Saluant avec déférence, César fit aussitôt:

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