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– Je compte si peu pour moi…, ripostait Favraux, que je voudrais mourir.

– Comme un lâche!… Pour fuir le châtiment… pour t’évader de ta douleur.

Kerjean, redressant encore sa haute taille, apostrophait le banquier:

– Moi aussi, j’ai été arraché à ce qui faisait mon bonheur à moi… c’est-à-dire à ma femme, à mon enfant… à ce vieux moulin, à ce coin de terre, à ce bord de rivière que je chérissais et que tu avais réussi à me dérober… Moi aussi j’ai été en prison… Mais moi je n’ai pas voulu mourir… non pas dans l’espoir de reconquérir ma liberté…, car, jamais, je le jure, je n’aurais cru que je pourrais supporter ces vingt années de bagne auxquelles j’avais été condamné… mais parce que j’avais compris la nécessité d’expier, non seulement pour les autres, mais pour moi-même…

«J’ai donc vécu dans le repentir de la faute commise… et quand, peu à peu, j’ai reconquis le sommeil que j’avais perdu…, pas un soir, tu m’entends, je ne me suis endormi sans avoir demandé pardon à Dieu et aux hommes!

«Aussi, lorsque j’ai été libéré… je me suis cru le droit de regarder le monde en face…, je me suis considéré comme purifié de mon crime…, j’étais redevenu un honnête homme!…

«Eh bien, pourquoi… seul en face de toi… dans l’isolement de cette cellule, à l’abri des tentations, délivré des appétits qui t’ont perdu, ne cherches-tu pas à te refaire une âme?… Oui pourquoi ne t’efforces-tu pas, en revenant à un sentiment meilleur, de ramener en ton cœur ulcéré un peu de repos et de bonté?

– C’est que toi tu avais l’espoir, la certitude d’être libre un jour, s’écria Favraux d’un accent désespéré. Tandis que moi!… Non, non, tu ne peux pas comparer tes souffrances aux miennes!

– Pas plus que tu ne peux comparer tes crimes à ma faute.

– Puisque je te supplie de me laisser mourir!

– Puisque nous ne voulons pas…

– Pitié!

Alors, Kerjean, superbe de colère légitime, reprit d’une voix éclatante:

– Est-ce que tu as eu pitié de moi, quand sciemment, et uniquement afin de t’emparer plus facilement des biens que je ne voulais pas te céder, tu as profité de mon ignorance pour m’entraîner dans des spéculations malhonnêtes?…

«Est-ce que tu as eu pitié de moi, lorsque toi, qui, d’un seul mot pouvais me faire absoudre par les juges, tu es venu m’accabler devant le tribunal, transformant le demi-faussaire que j’étais en un criminel de la plus vile espèce?

«Est-ce que tu as eu pitié de moi, quand je suis venu te supplier de m’aider à retrouver mon fils?

«Non!… alors pourquoi voudrais-tu que je pardonne… Car te laisser mourir, ce serait te pardonner. Tu vivras, banquier Favraux…; tu vivras…, misérable…, sous ma garde, encore… Judex a fait de moi ton geôlier… et tant que Kerjean sera là… jamais tu ne t’évaderas, ni dans la vie… ni dans la mort!

À ces mots, proférés d’une voix terrible, le banquier, comprenant que désormais il ne pourrait plus échapper à son supplice, s’effondra sur les dalles de sa cellule.

III LE CERCUEIL VIDE

Aussitôt après leur mésaventure de la villa Brossard, Diana et Moralès, désireux de mettre une certaine distance entre eux et la meute de Judex, avaient regagné Paris… dans un état de rage indescriptible… Somme toute, leur expédition était manquée…

Les cinq mille francs qu’ils avaient touchés d’avance du marquis de Birargues allaient à peine suffire à payer les dettes criardes de Moralès.

– Qu’allons-nous faire? demandait anxieusement le rasta à sa maîtresse qui, songeuse, s’était étendue sur un divan, et suivait d’un œil vague les volutes bleutées de la fumée de sa cigarette. Nous voilà dans de jolis draps! Qu’est-ce qui nous dit, à présent, que les Birargues ne vont pas porter une plainte contre nous?… Nous vois-tu dénoncés, arrêtés… envoyés en prison?… Moi surtout, avec ce que tu sais, je ne m’en tirerais pas à moins de dix ans, et peut-être davantage. Écoute-moi, Diana… Le moment n’est pas venu de rêver, mais d’agir… Je crois donc qu’il serait prudent, et même indispensable de mettre la frontière entre la police et nous… Profitons de ce que nous avons un peu d’argent pour filer sans bruit et sans retard. Préparons nos malles et, ce soir, nous filons… L’Espagne, l’Italie, le Maroc, l’Amérique, je m’en moque, pourvu que je sois avec toi.

– Imbécile! ricana la Monti en se relevant, et en lançant sa cigarette dans un cendrier.

Et, venant à Moralès, elle se campa devant lui, tout en disant:

– Tu as donc oublié que nous sommes en possession d’un document qui prouve que César est notre complice. Aussi, je suis persuadée qu’au lieu de porter plainte contre nous, il sera trop heureux de négocier avec nous le rachat de ce document si compromettant pour lui.

– C’est possible! mais cette jeune femme?…

– Jacqueline? Je ne pense pas que nous ayons à la craindre. En effet, si elle portait une plainte contre nous, il faudrait qu’elle avouât que Mme Bertin n’est autre que Mme Jacqueline Aubry, la fille du banquier Favraux… Or, elle a, en ce moment, de trop bonnes raisons de conserver rigoureusement son incognito pour s’amuser à nous créer des ennuis.

Et, avec un accent de menace terrible, Diana ajouta:

– D’ailleurs, je l’engage fortement à se tenir tranquille, sinon…

Puis, d’un air grave, préoccupé, l’aventurière formula:

– Il y a en ce moment quelque chose qui me préoccupe beaucoup plus que tout le reste.

– Quoi donc?

– C’est la lettre de Judex.

Et, tirant de son corsage le billet mystérieux que le caniche blanc avait apporté aux deux bandits, la Monti lut à haute voix, lentement, en scandant chaque mot:

Si vous ne voulez pas partager le sort du banquier Favraux, ne vous trouvez jamais sur le chemin de sa fille.

JUDEX.

– Eh bien! lança Moralès, il n’y a qu’à laisser cette femme tranquille.

– Relis attentivement la première phrase, insinuait l’aventurière.

Moralès, s’emparant du papier, répéta:

Si vous ne voulez pas partager le sort du banquier Favraux…

Il s’arrêta, songeur à son tour… puis il reprit:

– Je devine ta pensée. Selon toi, Favraux aurait été assassiné…

– N’allons pas si vite…, arrêtait la Monti. Maintenant, écoute-moi, avec la plus grande attention… sans m’interrompre… et avec calme, si toutefois cela t’est possible.

– Parle! invita le rasta, en s’installant sur le divan que venait de quitter sa maîtresse.

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