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– Tais-toi!…

– Choisis!

Accablé, l’amant de Diana se laissa tomber sur un siège.

Alors, dans l’effroi de l’expiation d’une faute qui lourdement, pesait sur lui, dans la veulerie de son âme sans caractère, de son cœur sans ressaut, de sa volonté sans énergie, il murmura d’un air abattu.

– Eh bien, c’est dit! La fille de Favraut disparaîtra cette nuit.

*
* *

À la même heure, Judex, à cent lieues de soupçonner le nouveau danger qui menaçait Jacqueline, et laissant son prisonnier sous la garde du vieux Kerjean et de son frère, quittait le Château Rouge pour une destination inconnue.

VI LE GUET-APENS

En attendant l’heure du dîner, Jacqueline Aubry lisait avec une douce émotion la lettre de Gisèle de Birargues qu’elle avait reçue le matin…

Château des Aigles près Florac

Chère Madame et amie,

Aussitôt arrivée ici, après un long et pénible voyage, je m’empresse de vous donner de mes nouvelles.

Mon frère n’avait pas exagéré. Maman et moi, nous l’avons trouvé très changé… Il avait une forte fièvre… Le médecin, sans être absolument inquiet, déclare que son état demande de grands soins… Il m’a priée de vous dire qu’il s’inclinait bien bas devant votre admirable générosité…

Aussitôt qu’il sera guéri, il demandera à notre père l’autorisation de faire un grand voyage en Extrême-Orient…

Et vous, chère madame, que devenez-vous? Écrivez-moi… je serai si heureuse de vous lire… de passer quelques instants avec vous… Dès mon retour…

Jacqueline ne put continuer… On frappait à la porte… C’était la bonne madame Chapuis, qui, toute essoufflée et brandissant à la main un papier bleu, annonçait:

– Une dépêche pour vous, madame Bertin.

– Une dépêche! fit Jacqueline surprise.

Aussitôt un cri douloureux lui échappa; le télégramme était ainsi rédigé:

Venez vite, le petit’Jean est très gravement malade.

– Il ne me manquait plus que cette épreuve, s’écria Jacqueline en un sanglot. Mon Dieu, je vous avais donc remercié trop tôt!

Puis, dominant l’angoisse qui s’était emparée d’elle, elle décida:

– Il est six heures un quart… Il doit y avoir un train vers sept heures pour Loisy… J’ai encore le temps de le prendre… Dites, ma bonne madame Chapuis, pendant que je mets mon chapeau, voulez-vous m’envoyer chercher une voiture?

– Très volontiers, mon enfant! s’empressait l’hôtelière… Je regrette bien de ne pas pouvoir vous accompagner… Ce pauvre mignon, pourvu que ce ne soit pas grave.

Jacqueline, le cœur brisé, se demandait si cette dépêche laconique et brutale ne cachait pas une partie de la vérité… et si elle ne lui avait pas été adressée pour la préparer à une nouvelle encore plus mauvaise.

Tout en montant dans le taxi qui allait la conduire à la gare, elle songeait, rongée d’anxiété:

– Pourvu qu’il ne se soit pas livré à quelque nouvelle escapade, avec ce petit garçon, qui est habitué à rôder seul dans les rues… Pourtant, Marianne m’avait bien promis de les surveiller… Mais un accident est si vite arrivé… Ah! oui, maintenant, je le sens plus que jamais, si je perdais mon fils, ce serait mon arrêt de mort!

Tout en s’efforçant de refouler ses larmes, la fille du banquier murmurait, comme si elle parlait déjà à son enfant.

– Me voilà, mon ange…, oui, voilà ta maman, mon bien-aimé.

Oh! combien le trajet lui semble long… combien elle a hâte de le voir… d’entendre sa voix… d’être là près de lui… fixée… rassurée… Aussitôt le train arrêté, elle se précipite hors de la gare… Elle marche vite, très vite… Si elle osait, elle se mettrait à courir… La voici sur le pont qui traverse la Seine et qu’il lui faut franchir pour arriver jusqu’au village de Loisy… Le soir tombe… Tout est calme, silencieux en ce coin, généralement désert… D’ailleurs, c’est l’heure du dîner… Personne… Si… deux hommes qui s’avancent là-bas… les mains dans les poches, avec toutes les allures de tranquilles promeneurs… Ils se sont arrêtés au milieu du pont… Ils regardent avec une certaine insistance deux enfants qui pêchent à la ligne dans un bateau accroché à la rive.

– On y va tout de même, Crémard?

– Oui, Coltineur.

– Mais les gosses?

– Ils ne nous voient pas, et c’est toujours pas eux qui la tireront d’affaire.

Jacqueline, tout à la pensée de son fils, arrive à la hauteur des deux bandits… Elle va les dépasser, mais voilà qu’ils se jettent sur elle… Ils lui recouvrent la tête d’une sorte de voile noir… et avant que la malheureuse ait eu le temps de se défendre… ils la précipitent dans la Seine, par-dessus le parapet…

Tandis que la mère du petit Jean disparaît dans les flots, Crémard et Coltineur, leur audacieux et immonde exploit accompli, s’en vont vite rejoindre Diana et Moralès, qui, de l’autre côté du pont, les attendent anxieusement dans une rapide automobile.

*
* *

… Or, Jeannot ne s’était jamais si bien porté.

Devenu l’inséparable du môme Réglisse, il s’en allait chaque jour avec lui à l’école du village.

Les deux enfants étaient très sages… Si Jeannot avait profité de la leçon que lui avait donnée sa mère, le môme Réglisse se montrait lui-même très raisonnable… Pour rien au monde, il n’eût voulu se livrer à la moindre incartade qui eût compromis sa nouvelle situation dont il appréciait énormément les avantages… Bien couché, bien nourri, ayant troqué son fantaisiste costume pour des vêtements de petit paysan dans lesquels il se trouvait tout à fait à son aise, il éprouvait une vive reconnaissance envers son jeune ami auquel il devait tout ce bonheur. Cette gratitude s’était traduite en une affection et un dévouement qui ne demandaient que l’occasion de se manifester de toutes les manières.

Or, un samedi que Jean était revenu de l’école avec la croix et que le môme Réglisse avait rapporté lui-même une ample moisson de bons points, le père Bontemps et sa fille Marianne, occupés tous deux au jardin, et complètement rassurés sur l’état d’esprit de leurs deux pensionnaires, avaient cru pouvoir se départir quelque peu de leur surveillance habituelle et les autoriser à aller jouer une partie de cache-cache avec leurs petits camarades…

Sans doute, les deux bambins ruminaient-ils depuis quelque temps déjà un de ces complots enfantins qui font sourire les papas et trembler les mamans… Car après avoir échangé un rapide coup d’œil d’intelligence, tous deux, sans dire un mot, au lieu de se rendre sur la place de la Mairie, où avaient lieu les ébats ordinaires et extraordinaires de la jeunesse dorée de Loisy, se faufilèrent dans un chemin creux qui conduisait jusqu’à la Seine…, et, après avoir coupé dans une haie deux gaules de dimensions modestes, ils pénétraient dans une petite boutique en planches achalandée par les nombreux pêcheurs qui, le dimanche, s’en viennent de Paris se reposer de leurs fatigues en déclarant une guerre acharnée aux ablettes et aux goujons.

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