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Quelques instants après, Moralès était ficelé… aux lieu et place de Judex, qui avait eu la précaution de lui recouvrir également la tête avec le voile noir dont, par un raffinement de cruauté, Diana Monti l’avait affublé.

Et, après avoir compté les cartouches de son revolver, Judex fit, en s’adressant à Daisy Torp:

– Maintenant, mademoiselle… suivez-moi. À présent, grâce à votre intervention providentielle… c’est moi qui vais commander… à bord de l’Aiglon.

– Passez… mon capitaine…, fit aussitôt la jeune Américaine.

Et, tandis que Judex s’engageait à pas de loup dans l’escalier qui conduisait au pont du navire, la fiancée de Cocantin, enveloppée dans la veste en cuir du capitaine Martelli, murmura, tandis que son visage s’illuminait de la plus légitime des fiertés et de la plus douce des allégresses:

– Je crois que mon ami Prosper va avoir, comment dit-on déjà en France, un coin… oui… c’est cela… un coin de bouché!

IV LA REVANCHE DE L’HONNEUR…

Tandis que Moralès s’en allait exécuter ses ordres et tombait, à son tour, d’une façon aussi inattendue, dans le guet-apens si promptement et si merveilleusement organisé, Diana, accoudée contre le bastingage, et croyant enfin toucher au but qu’elle s’était assigné, se laissait aller à toute la joie perverse qui, en ce moment, faisait vibrer tout son être.

Maintenant, en effet, les millions de Favraut, objets de toute sa convoitise, ne lui apparaissaient pas comme un mirage lointain et fugitif dont l’incertaine conquête exigerait de multiples et formidables efforts tout en l’exposant aux pires dangers… Non… ils étaient là, tout près d’elle… elle n’avait plus que la main à étendre pour s’en emparer… Aucun obstacle ne se dressait plus entre elle et cette fortune colossale… tant et tant désirée.

Et tandis que l’Aiglon, dont les voiles s’étaient gonflées sous l’action de la brise, gagnait le large, elle se disait…

– Dans quelques instants, Judex aura à tout jamais disparu dans la mer… Demain, je me serai débarrassée de Jacqueline et de l’enfant, sans que ce demi-fou, que restera désormais Favraut, se doute de quelque chose. D’ailleurs, s’il le faut, je me chargerai bien de lui faire perdre le peu qui lui reste de tête. Quant à Moralès… malgré ses défaillances… il m’aura bien servie…

Et, avec une sorte de volupté perverse et qui ne connaissait pas de limites, elle songea, tandis qu’un sourire indéfinissable entrouvrait ses lèvres:

– Et puis… C’est bon de se sentir aimée à un tel point par un homme qui s’est fait aussi volontairement votre esclave et que l’on sent toujours prêt à risquer sa vie pour un de vos baisers.

Pendant qu’elle se livrait à ces réflexions, l’Aiglon continuait à gagner le large… et bientôt les feux de la côte n’apparurent plus au loin que comme des petites lueurs indécises et vacillantes.

Diana… après avoir contemplé longuement la mer dont elle croyait si bien, dans un instant, faire sa complice discrète… se dirigea vers le capitaine.

– Martelli?… fit-elle de sa voix impérieuse, le moment est venu d’exécuter entièrement le marché que vous avez conclu avec moi.

À ces mots, le forban de la Méditerranée eut un ricanement et, d’une voix canaille, il répliqua:

– Je suis prêt… Seulement…

– Seulement quoi?

– Ne croyez-vous pas que ce petit travail mérite une petite gratification supplémentaire?

– Moralès ne vous a donc pas remis?…

– Si… cinq cents francs tout à l’heure.

– Eh bien?

– Vous allez être très riche… Vous pourriez bien doubler la somme. D’autant plus que je vais être obligé de donner de fortes parts à mes hommes.

Et, comme l’aventurière le regardait avec un air de mépris sévère, Martelli ajouta:

– Dame… balancer un homme à la mer… c’est une besogne qui se paie… et cher, encore… dans tous les pays du monde.

Diana, qui avait hâte d’en finir ne voulut point marchander.

Elle tira de la poche de sa vareuse de laine une liasse de billets qu’elle remit au capitaine qui s’en empara… tout en disant:

– J’étais sûr que nous finirions par nous entendre. Je vous remercie tout de même.

– Où est Moralès? interrogeait l’ex-institutrice.

– Je l’ai vu regagner sa cabine…, déclarait Martelli. Voulez-vous que je l’appelle?

– Non, c’est inutile… il pourrait encore avoir une crise de sensibilité. Mieux vaut nous passer de lui. Et maintenant, agissons…

Comme s’il n’attendait que cet ordre, le capitaine fit entendre un sifflement aigu… prolongé.

Aussitôt, deux hommes, deux vrais écumeurs… qui descendaient certainement en ligne directe de ces féroces pirates qui, aux siècles passés, infestaient la Méditerranée, s’empressèrent d’accourir à l’appel de leur chef qui, en un patois spécial, leur ordonna:

– Allez me chercher l’homme en question… et faites vite, n’est-ce pas?

Silencieusement… mais avec une promptitude qui révélait une soumission parfaite, les deux matelots dégringolèrent l’escalier qui conduisait à la cabine où, une demi-heure auparavant, ils avaient ligoté eux-mêmes Judex au pied du pilier central.

Judex et Miss Daisy Torp, cachés dans l’alcôve-soupente et prêts à intervenir en cas de besoin, les virent pénétrer dans la cabine, s’approcher de Moralès qu’ils détachèrent du mât et remontèrent sur le pont, sans avoir enlevé le voile noir qui entourait son visage.

Diana et Martelli les attendaient.

Le capitaine n’eut qu’un geste, mais un geste effroyable dans sa laconique signification…

Il leur désigna la mer.

Alors, les deux gredins, sans la moindre hésitation, précipitèrent l’homme ligoté dans les flots…

Puis… ils s’éloignèrent accompagnés de leur patron avec l’air satisfait de gens qui viennent d’accomplir une besogne toute simple et toute naturelle.

Diana, demeurée seule, penchée au-dessus du bastingage, regardait avec une fixité d’hallucinée l’endroit où le corps avait disparu.

Avec une joie féroce elle grinçait:

– Bon voyage dans l’éternel, monsieur Judex… Tu as cru que tu serais plus fort que moi… mais c’est moi qui ai remporté la victoire.

Et, d’un ricanement sinistre, elle accompagna les derniers bouillonnements de l’onde… répétant avec un accent de haine effroyable, que rien ne pouvait désarmer:

– Bon voyage! Judex… Bon voyage!…

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