– Bien, dit Glenarvan; seulement, il faudra attendre que le Duncan soit réparé.
– Ah! vous avez éprouvé des avaries? demanda Ayrton.
– Oui, répondit John Mangles.
– Graves?
– Non, mais elles nécessitent un outillage que nous ne possédons pas à bord. Une des branches de l’hélice est faussée, et ne peut être réparée qu’à Melbourne.
– Ne pouvez-vous aller à la voile? demanda le quartier-maître.
– Si, mais, pour peu que les vents contrarient le Duncan, il mettrait un temps considérable à gagner Twofold-Bay, et, en tout cas, il faudra qu’il revienne à Melbourne.
– Eh bien, qu’il y aille, à Melbourne! s’écria Paganel, et allons sans lui à la baie Twofold.
– Et comment? demanda John Mangles.
– En traversant l’Australie comme nous avons traversé l’Amérique, en suivant le trente-septième parallèle.
– Mais le Duncan? reprit Ayrton, insistant d’une façon toute particulière.
– Le Duncan nous rejoindra, ou nous rejoindrons le Duncan, suivant le cas. Le capitaine Grant est-il retrouvé pendant notre traversée, nous revenons ensemble à Melbourne. Poursuivons-nous, au contraire, nos recherches jusqu’à la côte, le Duncan viendra nous y rejoindre. Qui a des objections à faire à ce plan? Est-ce le major?
– Non, répondit Mac Nabbs, si la traversée de l’Australie est praticable.
– Tellement praticable, répondit Paganel, que je propose à lady Helena et à miss Grant de nous accompagner.
– Parlez-vous sérieusement, Paganel? demanda Glenarvan.
– Très sérieusement, mon cher lord. C’est un voyage de trois cent cinquante milles, pas davantage! À douze milles par jour, il durera un mois à peine, c’est-à-dire le temps nécessaire aux réparations du Duncan. Ah! S’il s’agissait de traverser le continent australien sous une plus basse latitude, s’il fallait le couper dans sa plus grande largeur, passer ces immenses déserts où la chaleur est torride, faire enfin ce que n’ont pas encore tenté les plus hardis voyageurs, ce serait différent! Mais ce trente-septième parallèle coupe la province de Victoria, un pays anglais s’il en fut, avec des routes, des chemins de fer, et peuplé en grande partie sur ce parcours. C’est un voyage qui se fait en calèche, si l’on veut, ou en charrette, ce qui est encore préférable. C’est une promenade de Londres à Édimbourg. Ce n’est pas autre chose.
– Mais les animaux féroces? dit Glenarvan, qui voulait exposer toutes les objections possibles.
– Il n’y a pas d’animaux féroces en Australie.
– Mais les sauvages?
– Il n’y a pas de sauvages sous cette latitude, et en tout cas, ils n’ont pas la cruauté des nouveaux zélandais.
– Mais les convicts?
– Il n’y a pas de convicts dans les provinces méridionales de l’Australie, mais seulement dans les colonies de l’est. La province de Victoria les a non seulement repoussés, mais elle a fait une loi pour exclure de son territoire les condamnés libérés des autres provinces. Le gouvernement victorien a même, cette année, menacé la compagnie péninsulaire de lui retirer son subside, si ses navires continuaient à prendre du charbon dans les ports de l’Australie occidentale où les convicts sont admis. Comment! Vous ne savez pas cela, vous, un anglais!
– D’abord, je ne suis pas un anglais, répondit Glenarvan.
– Ce qu’a dit M Paganel est parfaitement juste, dit alors Paddy O’Moore. Non seulement la province de Victoria, mais l’Australie méridionale, le Queensland, la Tasmanie même, sont d’accord pour repousser les déportés de leur territoire. Depuis que j’habite cette ferme, je n’ai pas entendu parler d’un seul convict.
– Et pour mon compte, je n’en ai jamais rencontré, répondit Ayrton.
– Vous le voyez, mes amis, reprit Jacques Paganel, très peu de sauvages, pas de bêtes féroces, point de convicts, il n’y a pas beaucoup de contrées de l’Europe dont on pourrait en dire autant! Eh bien, est-ce convenu?
– Qu’en pensez-vous, Helena? demanda Glenarvan.
– Ce que nous pensons tous, mon cher Edward, répondit lady Helena, se tournant vers ses compagnons: en route! En route!»
Chapitre VIII
Le départ
Glenarvan n’avait pas l’habitude de perdre du temps entre l’adoption d’une idée et son exécution. La proposition de Paganel une fois admise, il donna immédiatement ses ordres afin que les préparatifs du voyage fussent achevés dans le plus bref délai. Le départ fut fixé au surlendemain 22 décembre.
Quels résultats devait produire cette traversée de l’Australie? La présence d’Harry Grant étant devenue un fait indiscutable, les conséquences de cette expédition pouvaient être grandes. Elle accroissait la somme des chances favorables. Nul ne se flattait de trouver le capitaine précisément sur cette ligne du trente-septième parallèle qui allait être rigoureusement suivie; mais peut-être coupait-elle ses traces, et en tout cas elle menait droit au théâtre de son naufrage. Là était le principal point.
De plus, si Ayrton consentait à se joindre aux voyageurs, à les guider à travers les forêts de la province Victoria, à les conduire jusqu’à la côte orientale, il y avait là une nouvelle chance de succès. Glenarvan le sentait bien; il tenait particulièrement à s’assurer l’utile concours du compagnon d’Harry Grant, et il demanda à son hôte s’il ne lui déplairait pas trop qu’il fît à Ayrton la proposition de l’accompagner.
Paddy O’Moore y consentit, non sans regretter de perdre cet excellent serviteur.
«Eh bien, nous suivrez-vous, Ayrton, dans cette expédition à la recherche des naufragés du Britannia?»
Ayrton ne répondit pas immédiatement à cette demande; il parut même hésiter pendant quelques instants; puis, toute réflexion faite, il dit:
«Oui, mylord, je vous suivrai, et si je ne vous mène pas sur les traces du capitaine Grant, au moins vous conduirai-je à l’endroit même où s’est brisé son navire.
– Merci, Ayrton, répondit Glenarvan.
– Une seule question, mylord.
– Faites, mon ami.
– Où retrouverez-vous le Duncan?
– À Melbourne, si nous ne traversons pas l’Australie d’un rivage à l’autre. À la côte orientale, si nos recherches se prolongent jusque-là.
– Mais alors son capitaine?…
– Son capitaine attendra mes instructions dans le port de Melbourne.
– Bien, mylord, dit Ayrton, comptez sur moi.