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– J’y compte, Ayrton», répondit Glenarvan.

Le contremaître du Britannia fut vivement remercié par les passagers du Duncan. Les enfants de son capitaine lui prodiguèrent leurs meilleures caresses. Tous étaient heureux de sa décision, sauf l’irlandais, qui perdait en lui un aide intelligent et fidèle. Mais Paddy comprit l’importance que Glenarvan devait attacher à la présence du quartier-maître, et il se résigna.

Glenarvan le chargea de lui fournir des moyens de transport pour ce voyage à travers l’Australie, et, cette affaire conclue, les passagers revinrent à bord, après avoir pris rendez-vous avec Ayrton.

Le retour se fit joyeusement. Tout était changé.

Toute hésitation disparaissait. Les courageux chercheurs ne devaient plus aller en aveugles sur cette ligne du trente-septième parallèle. Harry Grant, on ne pouvait en douter, avait trouvé refuge sur le continent, et chacun se sentait le cœur plein de cette satisfaction que donne la certitude après le doute.

Dans deux mois, si les circonstances le favorisaient, le Duncan débarquerait Harry Grant sur les rivages d’écosse!

Quand John Mangles appuya la proposition de tenter avec les passagers la traversée de l’Australie, il supposait bien que, cette fois, il accompagnerait l’expédition. Aussi en conféra-t-il avec Glenarvan.

Il fit valoir toutes sortes d’arguments en sa faveur, son dévouement pour lady Helena, pour son honneur lui-même, son utilité comme organisateur de la caravane, et son inutilité comme capitaine à bord du Duncan, enfin mille excellentes raisons, excepté la meilleure, dont Glenarvan n’avait pas besoin pour être convaincu.

«Une seule question, John, dit Glenarvan. Vous avez une confiance absolue dans votre second?

– Absolue, répondit John Mangles. Tom Austin est un bon marin. Il conduira le Duncan à sa destination, il le réparera habilement et le ramènera au jour dit. Tom est un homme esclave du devoir et de la discipline. Jamais il ne prendra sur lui de modifier ou de retarder l’exécution d’un ordre. Votre honneur peut donc compter sur lui comme sur moi-même.

– C’est entendu, John, répondit Glenarvan, vous nous accompagnerez; car il sera bon, ajouta-t-il en souriant, que vous soyez là quand nous retrouverons le père de Mary Grant.

– Oh! Votre honneur!…» murmura John Mangles.

Ce fut tout ce qu’il put dire. Il pâlit un instant et saisit la main que lui tendait lord Glenarvan.

Le lendemain, John Mangles, accompagné du charpentier et de matelots chargés de vivres, retourna à l’établissement de Paddy O’Moore. Il devait organiser les moyens de transport de concert avec l’irlandais.

Toute la famille l’attendait, prête à travailler sous ses ordres. Ayrton était là et ne ménagea pas les conseils que lui fournit son expérience.

Paddy et lui furent d’accord sur ce point: que les voyageuses devaient faire la route en charrette à bœufs, et les voyageurs à cheval. Paddy était en mesure de procurer les bêtes et le véhicule.

Le véhicule était un de ces chariots longs de vingt pieds et recouverts d’une bâche que supportent quatre roues pleines, sans rayons, sans jantes, sans cerclure de fer, de simples disques de bois, en un mot. Le train de devant, fort éloigné du train de derrière, se rattachait par un mécanisme rudimentaire qui ne permettait pas de tourner court.

À ce train était fixé un timon de trente-cinq pieds, le long duquel six bœufs accouplés devaient prendre place. Ces animaux, ainsi disposés, tiraient de la tête et du cou par la double combinaison d’un joug attaché sur leur nuque et d’un collier fixé au joug par une clavette de fer. Il fallait une grande adresse pour conduire cette machine étroite, longue, oscillante, prompte aux déviations, et pour guider cet attelage au moyen de l’aiguillon. Mais Ayrton avait fait son apprentissage à la ferme irlandaise, et Paddy répondait de son habileté. À lui donc fut dévolu le rôle de conducteur.

Le véhicule, dépourvu de ressorts, n’offrait aucun confort; mais tel il était, tel il le fallait prendre. John Mangles, ne pouvant rien changer à sa construction grossière, le fit disposer à l’intérieur de la plus convenable façon. Tout d’abord, on le divisa en deux compartiments au moyen d’une cloison en planches. L’arrière fut destiné à recevoir les vivres, les bagages, et la cuisine portative de Mr Olbinett. L’avant dut appartenir entièrement aux voyageuses. Sous la main du charpentier, ce premier compartiment se transforma en une chambre commode, couverte d’un épais tapis, munie d’une toilette et de deux couchettes réservées à lady Helena et à Mary Grant. D’épais rideaux de cuir fermaient, au besoin, ce premier compartiment et le défendaient contre la fraîcheur des nuits. À la rigueur, les hommes pourraient y trouver un refuge pendant les grandes pluies; mais une tente devait habituellement les abriter à l’heure du campement.

John Mangles s’ingénia à réunir dans un étroit espace tous les objets nécessaires à deux femmes, et il y réussit.

Lady Helena et Mary Grant ne devaient pas trop regretter dans cette chambre roulante les confortables cabines du Duncan.

Quant aux voyageurs, ce fut plus simple: sept chevaux vigoureux étaient destinés à lord Glenarvan, Paganel, Robert Grant, Mac Nabbs, John Mangles, et les deux marins Wilson et Mulrady qui accompagnaient leur maître dans cette nouvelle expédition. Ayrton avait sa place naturelle sur le siège du chariot, et Mr Olbinett que l’équitation ne tentait guère, s’arrangerait très bien de voyager dans le compartiment aux bagages.

Chevaux et bœufs paissaient dans les prairies de l’habitation, et pouvaient être facilement rassemblés au moment du départ.

Ses dispositions prises et ses ordres donnés au maître charpentier, John Mangles revint à bord avec la famille irlandaise, qui voulut rendre visite à lord Glenarvan. Ayrton avait jugé convenable de se joindre à eux, et, vers quatre heures, John et ses compagnons franchissaient la coupée du Duncan.

Ils furent reçus à bras ouverts. Glenarvan leur offrit de dîner à son bord. Il ne voulait pas être en reste de politesse, et ses hôtes acceptèrent volontiers la revanche de leur hospitalité australienne dans le carré du yacht.

Paddy O’Moore fut émerveillé. L’ameublement des cabines, les tentures, les tapisseries, tout l’accastillage d’érable et de palissandre excita son admiration. Ayrton, au contraire, ne donna qu’une approbation modérée à ces superfluités coûteuses.

Mais, en revanche, le quartier-maître du Britannia examina le yacht à un point de vue plus marin; il le visita jusqu’à fond de cale; il descendit à la chambre de l’hélice; il observa la machine, s’enquit de sa force effective, de sa consommation; il explora les soutes au charbon, la cambuse, l’approvisionnement de poudre; il s’intéressa particulièrement au magasin d’armes, au canon monté sur le gaillard d’avant, à sa portée.

Glenarvan avait affaire à un homme qui s’y connaissait; il le vit bien aux demandes spéciales d’Ayrton. Enfin, celui-ci termina sa tournée par l’inspection de la mâture et du gréement.

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