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– Oui! oui! Monsieur Paganel, dit Robert.

– Et que prouvera votre histoire? demanda le major.

– Ce que prouvent toutes les histoires, mon brave compagnon.

– Pas grand’chose alors, répondit Mac Nabbs. Enfin, allez toujours, Shéhérazade, et contez-nous un de ces contes que vous racontez si bien.

– Il y avait une fois, dit Paganel, un fils du grand Haroun-Al-Raschild qui n’était pas heureux. Il alla consulter un vieux derviche. Le sage vieillard lui répondit que le bonheur était chose difficile à trouver en ce monde. «cependant», ajouta-t-il, je connais un moyen infaillible de «vous procurer le bonheur. – Quel est-il?» demanda le jeune prince. – C’est, répondit le derviche, de «mettre sur vos épaules la chemise d’un homme «heureux!» – là-dessus, le prince embrassa le vieillard, et s’en fut à la recherche de son talisman. Le voilà parti. Il visite toutes les capitales de la terre! Il essaye des chemises de roi, des chemises d’empereurs, des chemises de princes, des chemises de seigneurs. Peine inutile. Il n’en est pas plus heureux! Il endosse alors des chemises d’artistes, des chemises de guerriers, des chemises de marchands. Pas davantage. Il fit ainsi bien du chemin sans trouver le bonheur. Enfin, désespéré d’avoir essayé tant de chemises, il revenait fort triste, un beau jour, au palais de son père, quand il avisa dans la campagne un brave laboureur, tout joyeux et tout chantant, qui poussait sa charrue. «Voilà pourtant un homme qui possède le bonheur, se dit-il, ou le bonheur n’existe pas sur terre.» Il va à lui. «Bonhomme, dit-il, es-tu heureux? – Oui! fait l’autre. – Tu ne désires rien? – Non. – Tu ne changerais pas ton sort pour celui d’un roi? – Jamais! – Eh bien, vends-moi ta chemise! – Ma chemise! Je n’en ai point!»

Chapitre XXXV Entre le feu et l’eau

L’histoire de Jacques Paganel eut un très grand succès. On l’applaudit fort, mais chacun garda son opinion, et le savant obtint ce résultat ordinaire à toute discussion, celui de ne convaincre personne.

Cependant, on demeura d’accord sur ce point, qu’il faut faire contre fortune bon cœur, et se contenter d’un arbre, quand on n’a ni palais ni chaumière.

Pendant ces discours et autres, le soir était venu.

Un bon sommeil pouvait seul terminer dignement cette émouvante journée. Les hôtes de l’ombu se sentaient non seulement fatigués des péripéties de l’inondation, mais surtout accablés par la chaleur du jour, qui avait été excessive. Leurs compagnons ailés donnaient déjà l’exemple du repos; les hilgueros, ces rossignols de la pampa, cessaient leurs mélodieuses roulades, et tous les oiseaux de l’arbre avaient disparu dans l’épaisseur du feuillage assombri. Le mieux était de les imiter.

Cependant, avant de se «mettre au nid», comme dit Paganel, Glenarvan, Robert et lui grimpèrent à l’observatoire pour examiner une dernière fois la plaine liquide. Il était neuf heures environ. Le soleil venait de se coucher dans les brumes étincelantes de l’horizon occidental. Toute cette moitié de la sphère céleste jusqu’au zénith se noyait dans une vapeur chaude. Les constellations si brillantes de l’hémisphère austral semblaient voilées d’une gaze légère et apparaissaient confusément. Néanmoins, on les distinguait assez pour les reconnaître, et Paganel fit observer à son ami Robert, au profit de son ami Glenarvan, cette zone circumpolaire où les étoiles sont splendides. Entre autres, il lui montra la croix du sud, groupe de quatre étoiles de première et de seconde grandeur, disposées en losange, à peu près à la hauteur du pôle; le Centaure, où brille l’étoile la plus rapprochée de la terre, à huit mille milliards de lieues seulement; les nuées de Magellan, deux vastes nébuleuses, dont la plus étendue couvre un espace deux cents fois grand comme la surface apparente de la lune; puis, enfin, ce «trou noir» où semble manquer absolument la matière stellaire.

À son grand regret, Orion, qui se laisse voir des deux hémisphères, n’apparaissait pas encore; mais Paganel apprit à ses deux élèves une particularité curieuse de la cosmographie patagone. Aux yeux de ces poétiques indiens, Orion représente un immense lazo et trois bolas lancées par la main du chasseur qui parcourt les célestes prairies. Toutes ces constellations, reflétées dans le miroir des eaux, provoquaient les admirations du regard en créant autour de lui comme un double ciel.

Pendant que le savant Paganel discourait ainsi, tout l’horizon de l’est prenait un aspect orageux.

Une barre épaisse et sombre, nettement tranchée, y montait peu à peu en éteignant les étoiles. Ce nuage, d’apparence sinistre, envahit bientôt une moitié de la voûte qu’il semblait combler. Sa force motrice devait résider en lui, car il n’y avait pas un souffle de vent. Les couches atmosphériques conservaient un calme absolu. Pas une feuille ne remuait à l’arbre, pas une ride ne plissait la surface des eaux. L’air même paraissait manquer, comme si queue vaste machine pneumatique l’eût raréfié. Une électricité à haute tension saturait l’atmosphère, et tout être vivant la sentait courir le long de ses nerfs.

Glenarvan, Paganel et Robert furent sensiblement impressionnés par ces ondes électriques.

«Nous allons avoir de l’orage, dit Paganel.

– Tu n’as pas peur du tonnerre? demanda Glenarvan au jeune garçon.

– Oh! Mylord, répondit Robert.

– Eh bien, tant mieux, car l’orage n’est pas loin.

– Et il sera fort, reprit Paganel, si j’en juge par l’état du ciel.

– Ce n’est pas l’orage qui m’inquiète, reprit Glenarvan, mais bien des torrents de pluie dont il sera accompagné. Nous serons trempés jusqu’à la moelle des os. Quoi que vous disiez, Paganel, un nid ne peut suffire à un homme, et vous l’apprendrez bientôt à vos dépens.

– Oh! avec de la philosophie! répondit le savant.

– La philosophie, ça n’empêche pas d’être mouillé!

– Non, mais ça réchauffe.

– Enfin, dit Glenarvan, rejoignons nos amis et engageons-les à s’envelopper de leur philosophie et de leurs ponchos le plus étroitement possible, et surtout à faire provision de patience, car nous en aurons besoin!»

Glenarvan jeta un dernier regard sur le ciel menaçant. La masse des nuages le couvrait alors tout entier. À peine une bande indécise vers le couchant s’éclairait-elle de lueurs crépusculaires.

L’eau revêtait une teinte sombre et ressemblait à un grand nuage inférieur prêt à se confondre avec les lourdes vapeurs. L’ombre même n’était plus visible. Les sensations de lumière ou de bruit n’arrivaient ni aux yeux ni aux oreilles. Le silence devenait aussi profond que l’obscurité.

«Descendons, dit Glenarvan, la foudre ne tardera pas à éclater!»

Ses deux amis et lui se laissèrent glisser sur les branches lisses, et furent assez surpris de rentrer dans une sorte de demi-clarté très surprenante; elle était produite par une myriade de points lumineux qui se croisaient en bourdonnant à la surface des eaux.

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