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– Et tu as reconnu cette voix?

– Si j’ai reconnu sa voix, mylord! Oh! oui! Je vous le jure! Ma sœur l’a entendue, elle l’a reconnue comme moi! Comment voulez-vous que nous nous soyons trompés tous les deux? Mylord, allons au secours de mon père! Un canot! Un canot!»

Glenarvan vit bien qu’il ne pourrait détromper le pauvre enfant. Néanmoins, il fit une dernière tentative et appela l’homme de barre.

«Hawkins, lui demanda-t-il, vous étiez au gouvernail au moment où miss Mary a été si singulièrement frappée?

– Oui, votre honneur, répondit Hawkins.

– Et vous n’avez rien vu, rien entendu?

– Rien.

– Tu le vois, Robert.

– Si c’eût été le père d’Hawkins, répondit le jeune enfant avec une indomptable énergie, Hawkins ne dirait pas qu’il n’a rien entendu. C’était mon père, mylord! Mon père! Mon père!…»

La voix de Robert s’éteignit dans un sanglot. Pâle et muet, à son tour, il perdit connaissance.

Glenarvan fit porter Robert dans son lit, et l’enfant, brisé par l’émotion, tomba dans un profond assoupissement.

«Pauvres orphelins! dit John Mangles, Dieu les éprouve d’une terrible façon!

– Oui, répondit Glenarvan, l’excès de la douleur aura produit chez tous les deux, et au même moment, une hallucination pareille.

– Chez tous les deux! Murmura Paganel, c’est étrange! La science pure ne l’admettrait pas.»

Puis, se penchant à son tour sur la mer et prêtant l’oreille, Paganel, après avoir fait signe à chacun de se taire, écouta. Le silence était profond partout. Paganel héla d’une voix forte. Rien ne lui répondit.

«C’est étrange! répétait le géographe, en regagnant sa cabine. Une intime sympathie de pensées et de douleurs ne suffit pas à expliquer un phénomène!»

Le lendemain, 8 mars, à cinq heures du matin, dès l’aube, les passagers, Robert et Mary parmi eux, car il avait été impossible de les retenir, étaient réunis sur le pont du Duncan. Chacun voulait examiner cette terre à peine entrevue la veille.

Les lunettes se promenèrent avidement sur les points principaux de l’île. Le yacht en prolongeait les rivages à la distance d’un mille. Le regard pouvait saisir leurs moindres détails. Un cri poussé par Robert s’éleva soudain. L’enfant prétendait voir deux hommes qui couraient et gesticulaient, pendant qu’un troisième agitait un pavillon.

«Le pavillon d’Angleterre, s’écria John Mangles qui avait saisi sa lunette.

– C’est vrai! s’écria Paganel, en se retournant vivement vers Robert.

– Mylord, dit Robert tremblant d’émotion, mylord, si vous ne voulez pas que je gagne l’île à la nage, vous ferez mettre à la mer une embarcation. Ah! mylord! Je vous demande à genoux d’être le premier à prendre terre!»

Personne n’osait parler à bord. Quoi! Sur cet îlot traversé par ce trente-septième parallèle, trois hommes, des naufragés, des anglais! Et chacun, revenant sur les événements de la veille pensait à cette voix entendue dans la nuit par Robert et Mary!… Les enfants ne s’étaient abusés peut-être que sur un point: une voix avait pu venir jusqu’à eux, mais cette voix pouvait-elle être celle de leur père? Non, mille fois non, hélas! Et chacun, pensant à l’horrible déception qui les attendait, tremblait que cette nouvelle épreuve ne dépassât leurs forces! Mais comment les arrêter? Lord Glenarvan n’en eut pas le courage.

«Au canot!» s’écria-t-il.

En une minute, l’embarcation fut mise à la mer. Les deux enfants du capitaine, Glenarvan, John Mangles, Paganel, s’y précipitèrent, et elle déborda rapidement sous l’impulsion de six matelots qui nageaient avec rage.

À dix toises du rivage, Mary poussa un cri déchirant.

«Mon père!»

Un homme se tenait sur la côte, entre deux autres hommes. Sa taille grande et forte, sa physionomie à la fois douce et hardie, offrait un mélange expressif des traits de Mary et de Robert Grant.

C’était bien l’homme qu’avaient si souvent dépeint les deux enfants. Leur cœur ne les avait pas trompés. C’était leur père, c’était le capitaine Grant!

Le capitaine entendit le cri de Mary, ouvrit les bras, et tomba sur le sable, comme foudroyé.

Chapitre XXI L’île Tabor

On ne meurt pas de joie, car le père et les enfants revinrent à la vie avant même qu’on les eût recueillis sur le yacht. Comment peindre cette scène? Les mots n’y suffiraient pas. Tout l’équipage pleurait en voyant ces trois êtres confondus dans une muette étreinte. Harry Grant, arrivé sur le pont, fléchit le genou. Le pieux écossais voulut, en touchant ce qui était pour lui le sol de la patrie, remercier, avant tous, Dieu de sa délivrance.

Puis, se tournant vers lady Helena, vers lord Glenarvan et ses compagnons, il leur rendit grâces d’une voix brisée par l’émotion. En quelques mots, ses enfants, dans la courte traversée de l’îlot au yacht venaient de lui apprendre toute l’histoire du Duncan.

Quelle immense dette il avait contractée envers cette noble femme et ses compagnons! Depuis lord Glenarvan jusqu’au dernier des matelots, tous n’avaient-ils pas lutté et souffert pour lui?

Harry Grant exprima les sentiments de gratitude qui inondaient son cœur avec tant de simplicité et de noblesse, son mâle visage était illuminé d’une émotion si pure et si douce, que tout l’équipage se sentit récompensé et au delà des épreuves subies. L’impassible major lui-même avait l’œil humide d’une larme qu’il n’était pas en son pouvoir de retenir. Quant au digne Paganel, il pleurait comme un enfant qui ne pense pas à cacher ses larmes.

Harry Grant ne se lassait pas de regarder sa fille. Il la trouvait belle, charmante! Il le lui disait et redisait tout haut, prenant lady Helena à témoin, comme pour certifier que son amour paternel ne l’abusait pas.

Puis, se tournant vers son fils:

«Comme il a grandi! C’est un homme!» s’écriait-il avec ravissement.

Et il prodiguait à ces deux êtres si chers les mille baisers amassés dans son cœur pendant deux ans d’absence.

Robert lui présenta successivement tous ses amis, et trouva le moyen de varier ses formules, quoiqu’il eût à dire de chacun la même chose! C’est que, l’un comme l’autre, tout le monde avait été parfait pour les deux orphelins. Quand arriva le tour de John Mangles d’être présenté, le capitaine rougit comme une jeune fille et sa voix tremblait en répondant au père de Mary.

Lady Helena fit alors au capitaine Grant le récit du voyage, et elle le rendit fier de son fils, fier de sa fille.

Harry Grant apprit les exploits du jeune héros, et comment cet enfant avait déjà payé à lord Glenarvan une partie de la dette paternelle. Puis, à son tour, John Mangles parla de Mary en des termes tels, que Harry Grant, instruit par quelques mots de lady Helena, mit la main de sa fille dans la vaillante main du jeune capitaine, et, se tournant vers lord et lady Glenarvan:

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