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«Ceux qui ont fait le coup, dit-il, sont des gens familiarisés avec l’usage de ce petit instrument.»

Et parlant ainsi, il montra une paire de «darbies», espèce de menottes faites d’un double anneau de fer muni d’une serrure.

«Avant peu, ajouta-t-il, j’aurai le plaisir de leur offrir ce bracelet comme cadeau du nouvel an.

– Mais alors vous soupçonnez?…

– Des gens qui ont «voyagé gratis sur les bâtiments de sa majesté.»

– Quoi! Des convicts! s’écria Paganel, qui connaissait cette métaphore employée dans les colonies australiennes.

– Je croyais, fit observer Glenarvan, que les transportés n’avaient pas droit de séjour dans la province de Victoria?

– Peuh! répliqua l’officier de police, s’ils n’ont pas ce droit ils le prennent! ça s’échappe quelquefois, les convicts, et je me trompe fort ou ceux-ci viennent en droite ligne de Perth. Eh bien, ils y retourneront, vous pouvez m’en croire.»

M Mitchell approuva d’un geste les paroles de l’officier de police. En ce moment, le chariot arrivait au passage à niveau de la voie ferrée.

Glenarvan voulut épargner aux voyageuses l’horrible spectacle de Camden-Bridge. Il salua le surveyor général, prit congé de lui, et fit signe à ses amis de le suivre.

«Ce n’est pas une raison, dit-il, pour interrompre notre voyage.»

Arrivé au chariot, Glenarvan parla simplement à lady Helena d’un accident de chemin de fer, sans dire la part que le crime avait prise à cette catastrophe; il ne mentionna pas non plus la présence dans le pays d’une bande de convicts, se réservant d’en instruire Ayrton en particulier. Puis, la petite troupe traversa le railway quelques centaines de toises au-dessus du pont, et reprit vers l’est sa route accoutumée.

Chapitre XIII

Un premier prix de géographie

Quelques collines découpaient à l’horizon leur profil allongé et terminaient la plaine à deux mille du railway. Le chariot ne tarda pas à s’engager au milieu de gorges étroites et capricieusement contournées. Elles aboutissaient à une contrée charmante, où de beaux arbres, non réunis en forêts, mais groupés par bouquets isolés, poussaient avec une exubérance toute tropicale. Entre les plus admirables se distinguaient les «casuarinas», qui semblent avoir emprunté au chêne la structure robuste de son tronc, à l’acacia ses gousses odorantes, et au pin la rudesse de ses feuilles un peu glauques. À leurs rameaux se mêlaient les cônes si curieux du «banksia latifolia», dont la maigreur est d’une suprême élégance. De grands arbustes à brindilles retombantes faisaient dans les massifs l’effet d’une eau verte débordant de vasques trop pleines. Le regard hésitait entre toutes ces merveilles naturelles, et ne savait où fixer son admiration.

La petite troupe s’était arrêtée un instant. Ayrton, sur l’ordre de lady Helena, avait retenu son attelage. Les gros disques du chariot cessaient de crier sur le sable quartzeux. De longs tapis verts s’étendaient sous les groupes d’arbres; seulement, quelques extumescences du sol, des renflements réguliers, les divisaient en cases encore assez apparentes, comme un vaste échiquier.

Paganel ne se trompa pas à la vue de ces verdoyantes solitudes, si poétiquement disposées pour l’éternel repos. Il reconnut ces carrés funéraires, dont l’herbe efface maintenant les dernières traces, et que le voyageur rencontre si rarement sur la terre australienne.

«Les bocages de la mort», dit-il.

En effet, un cimetière indigène était là, devant ses yeux, mais si frais, si ombragé, si égayé par de joyeuses volées d’oiseaux, si engageant, qu’il n’éveillait aucune idée triste. On l’eût pris volontiers pour un des jardins de l’Eden, alors que la mort était bannie de la terre. Il semblait fait pour les vivants. Mais ces tombes, que le sauvage entretenait avec un soin pieux, disparaissaient déjà sous une marée montante de verdure. La conquête avait chassé l’australien loin de la terre où reposaient ses ancêtres, et la colonisation allait bientôt livrer ces champs de la mort à la dent des troupeaux. Aussi ces bocages sont-ils devenus rares, et combien déjà sont foulés aux pieds du voyageur indifférent, qui recouvrent toute une génération récente!

Cependant Paganel et Robert, devançant leurs compagnons, suivaient entre les tumuli de petites allées ombreuses. Ils causaient et s’instruisaient l’un l’autre, car le géographe prétendait qu’il gagnait beaucoup à la conversation du jeune Grant. Mais ils n’avaient pas fait un quart de mille, que lord Glenarvan les vit s’arrêter, puis descendre de cheval, et enfin se pencher vers la terre. Ils paraissaient examiner un objet très curieux, à en croire leurs gestes expressifs.

Ayrton piqua son attelage, et le chariot ne tarda pas à rejoindre les deux amis. La cause de leur halte et de leur étonnement fut aussitôt reconnue. Un enfant indigène, un petit garçon de huit ans, vêtu d’habits européens, dormait d’un paisible sommeil à l’ombre d’un magnifique banksia. Il était difficile de se méprendre aux traits caractéristiques de sa race:

Ses cheveux crépus, son teint presque noir, son nez épaté, ses lèvres épaisses, une longueur peu ordinaire des bras, le classaient immédiatement parmi les naturels de l’intérieur. Mais une intelligente physionomie le distinguait, et certainement l’éducation avait déjà relevé ce jeune sauvage de sa basse origine.

Lady Helena, très intéressée à sa vue, mit pied à terre, et bientôt toute la troupe entoura le petit indigène, qui dormait profondément.

«Pauvre enfant, dit Mary Grant, est-il donc perdu dans ce désert?

– Je suppose, répondit lady Helena, qu’il est venu de loin pour visiter ces bocages de la mort! Ici reposent sans doute ceux qu’il aime!

– Mais il ne faut pas l’abandonner! dit Robert. Il est seul, et…»

La charitable phrase de Robert fut interrompue par un mouvement du jeune indigène, qui se retourna sans se réveiller; mais alors la surprise de chacun fut extrême de lui voir sur les épaules un écriteau et d’y lire l’inscription suivante: toliné, to be conducted to echuca,… Etc

«Voilà bien les anglais! s’écria Paganel. Ils expédient un enfant comme un colis! Ils l’enregistrent comme un paquet! on me l’avait bien dit, mais je ne voulais pas le croire.

– Pauvre petit! fit lady Helena. était-il dans ce train qui a déraillé à Camden-Bridge? Peut-être ses parents ont-ils péri, et le voilà seul au monde!

– Je ne crois pas, madame, répondit John Mangles. Cet écriteau indique, au contraire, qu’il voyageait seul.

– Il s’éveille», dit Mary Grant.

En effet, l’enfant se réveillait. Peu à peu ses yeux s’ouvrirent et se refermèrent aussitôt, blessés par l’éclat du jour. Mais lady Helena lui prit la main; il se leva et jeta un regard étonné au groupe des voyageurs.

Un sentiment de crainte altéra d’abord ses traits, mais la présence de lady Glenarvan le rassura.

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