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C’est ce qui eut lieu, et le second, Tom Austin, Wilson, un vigoureux gaillard, et Mulrady, qui eût défié à la boxe Tom Sayers lui-même, n’eurent point à se plaindre de la chance.

Glenarvan avait déployé une extrême activité dans ses préparatifs. Il voulait être prêt au jour indiqué, et il le fut. Concurremment, John Mangles s’approvisionnait de charbon, de manière à pouvoir reprendre immédiatement la mer. Il tenait à devancer les voyageurs sur la côte argentine. De là, une véritable rivalité entre Glenarvan et le jeune capitaine, qui tourna au profit de tous.

En effet, le 14 octobre, à l’heure dite, chacun était prêt. Au moment du départ, les passagers du yacht se réunirent dans le carré. Le Duncan était en mesure d’appareiller, et les branches de son hélice troublaient déjà les eaux limpides de Talcahuano.

Glenarvan, Paganel, Mac Nabbs, Robert Grant, Tom Austin, Wilson, Mulrady, armés de carabines et de revolvers Colt, se préparèrent à quitter le bord. Guides et mulets les attendaient à l’extrémité de l’estacade.

«Il est temps, dit enfin lord Edward.

– Allez donc, mon ami!» répondit lady Helena en contenant son émotion.

Lord Glenarvan la pressa sur son cœur, tandis que Robert se jetait au cou de Mary Grant.

«Et maintenant, chers compagnons, dit Jacques Paganel, une dernière poignée de main qui nous dure jusqu’aux rivages de l’Atlantique!»

C’était beaucoup demander. Cependant il y eut là des étreintes capables de réaliser les vœux du digne savant.

On remonta sur le pont, et les sept voyageurs quittèrent le Duncan. Bientôt ils atteignirent le quai, dont le yacht en évoluant se rapprocha à moins d’une demi-encablure.

Lady Helena, du haut de la dunette, s’écria une dernière fois:

«Mes amis, Dieu vous aide!

– Et il nous aidera, madame, répondit Jacques Paganel, car je vous prie de le croire, nous nous aiderons nous-mêmes!

– En avant! cria John Mangles à son mécanicien.

– En route!» répondit lord Glenarvan.

Et à l’instant même où les voyageurs, rendant la bride à leurs montures, suivaient le chemin du rivage, le Duncan, sous l’action de son hélice, reprenait à toute vapeur la route de l’océan.

Chapitre XI Traversée du Chili

La troupe indigène organisée par Glenarvan se composait de trois hommes et d’un enfant. Le muletier-chef était un anglais naturalisé dans ce pays depuis vingt ans. Il faisait le métier de louer des mulets aux voyageurs et de les guider à travers les différents passages des cordillères.

Puis, il les remettait entre les mains d’un «baqueano», guide argentin, auquel le chemin des pampas était familier. Cet anglais n’avait pas tellement oublié sa langue maternelle dans la compagnie des mulets et des indiens qu’il ne pût s’entretenir avec les voyageurs. De là, une facilité pour la manifestation de ses volontés et l’exécution de ses ordres, dont Glenarvan s’empressa de profiter, puisque Jacques Paganel ne parvenait pas encore à se faire comprendre.

Ce muletier-chef, ce «catapaz», suivant la dénomination chilienne, était secondé par deux péons indigènes et un enfant de douze ans. Les péons surveillaient les mulets chargés du bagage de la troupe, et l’enfant conduisait la «madrina», petite jument qui, portant grelots et sonnette, marchait en avant et entraînait dix mules à sa suite. Les voyageurs en montaient sept, le catapaz une; les deux autres transportaient les vivres et quelques rouleaux d’étoffes destinés à assurer le bon vouloir des caciques de la plaine. Les péons allaient à pied, suivant leur habitude. Cette traversée de l’Amérique méridionale devait donc s’exécuter dans les conditions les meilleures, au point de vue de la sûreté et de la célérité.

Ce n’est pas un voyage ordinaire que ce passage à travers la chaîne des Andes. On ne peut l’entreprendre sans employer ces robustes mulets dont les plus estimés sont de provenance argentine. Ces excellentes bêtes ont acquis dans le pays un développement supérieur à celui de la race primitive. Elles sont peu difficiles sur la question de nourriture. Elles ne boivent qu’une seule fois par jour, font aisément dix lieues en huit heures, et portent sans se plaindre une charge de quatorze arrobes.

Il n’y a pas d’auberges sur cette route d’un océan à l’autre. On mange de la viande séchée, du riz assaisonné de piment, et le gibier qui consent à se laisser tuer en route. On boit l’eau des torrents dans la montagne, l’eau des ruisseaux dans la plaine, relevée de quelques gouttes de rhum, dont chacun a sa provision contenue dans une corne de bœuf appelée «chiffle». Il faut avoir soin, d’ailleurs, de ne pas abuser des boissons alcooliques, peu favorables dans une région où le système nerveux de l’homme est particulièrement exalté. Quant à la literie, elle est contenue tout entière dans la selle indigène nommée «recado». Cette selle est faite de «pelions», peaux de moutons tannées d’un côté et garnies de laine de l’autre, que maintiennent de larges sangles luxueusement brodées. Un voyageur roulé dans ces chaudes couvertures brave impunément les nuits humides et dort du meilleur sommeil.

Glenarvan en homme qui sait voyager et se conformer aux usages des divers pays, avait adopté le costume chilien pour lui et les siens. Paganel et Robert, deux enfants, – un grand et un petit, – ne se sentirent pas de joie, quand ils introduisirent leur tête à travers le puncho national, vaste tartan percé d’un trou à son centre, et leurs jambes dans des bottes de cuir faites de la patte de derrière d’un jeune cheval. Il fallait voir leur mule richement harnachée, ayant à la bouche le mors arable, la longue bride en cuir tressé servant de fouet, la têtière enjolivée d’ornements de métal, et les «alforjas», doubles sacs en toile de couleur éclatante qui contenaient les vivres du jour.

Paganel, toujours distrait, faillit recevoir trois ou quatre ruades de son excellente monture au moment de l’enfourcher. Une fois en selle, son inséparable longue-vue en bandoulière, les pieds cramponnés aux étriers, il se confia à la sagacité de sa bête et n’eut pas lieu de s’en repentir.

Quant au jeune Robert, il montra dès ses débuts de remarquables dispositions à devenir un excellent cavalier.

On partit. Le temps était superbe, le ciel d’une limpidité parfaite, et l’atmosphère suffisamment rafraîchie par les brises de la mer, malgré les ardeurs du soleil. La petite troupe suivit d’un pas rapide les sinueux rivages de la baie de Talcahuano, afin de gagner à trente milles au sud l’extrémité du parallèle. On marcha rapidement pendant cette première journée à travers les roseaux d’anciens marais desséchés, mais on parla peu. Les adieux du départ avaient laissé une vive impression dans l’esprit des voyageurs. Ils pouvaient voir encore la fumée du Duncan qui se perdait à l’horizon.

Tous se taisaient, à l’exception de Paganel; ce studieux géographe se posait à lui-même des questions en espagnol, et se répondait dans cette langue nouvelle.

Le catapaz, au surplus, était un homme assez taciturne, et que sa profession n’avait pas dû rendre bavard. Il parlait à peine à ses péons.

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