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Paganel était loin d’être insensible aux sentiments de miss Arabella; cependant, il n’osait se prononcer.

Ce fut le major qui s’entremit entre ces deux cœurs faits l’un pour l’autre. Il dit même à Paganel que le mariage était la» dernière distraction» qu’il pût se permettre.

Grand embarras de Paganel, qui, par une étrange singularité, ne se décidait pas à articuler le mot fatal.

«Est-ce que miss Arabella ne vous plaît pas? lui demandait sans cesse Mac Nabbs.

– Oh! Major, elle est charmante! s’écria Paganel, mille fois trop charmante, et, s’il faut tout vous dire, il me plairait davantage qu’elle le fût moins! Je lui voudrais un défaut.

– Soyez tranquille, répondit le major, elle en possède, et plus d’un. La femme la plus parfaite en a toujours son contingent. Ainsi, Paganel, est-ce décidé?

– Je n’ose, reprenait Paganel.

– Voyons, mon savant ami, pourquoi hésitez-vous?

– Je suis indigne de miss Arabella!» répondait invariablement le géographe.

Et il ne sortait pas de là.

Enfin, mis un jour au pied du mur par l’intraitable major, il finit par lui confier, sous le sceau du secret, une particularité qui devait faciliter son signalement, si jamais la police se mettait à ses trousses.

«Bah! s’écria le major.

– C’est comme je vous le dis, répliqua Paganel.

– Qu’importe? Mon digne ami.

– Vous croyez?

– Au contraire, vous n’en êtes que plus singulier. Cela ajoute à vos mérites personnels! Cela fait de vous l’homme sans pareil rêvé par Arabella!»

Et le major, gardant un imperturbable sérieux, laissa Paganel en proie aux plus poignantes inquiétudes.

Un court entretien eut lieu entre Mac Nabbs et miss Arabella.

Quinze jours après, un mariage se célébrait à grand fracas, dans la chapelle de Malcolm-Castle.

Paganel était magnifique, mais hermétiquement boutonné, et miss Arabella splendide.

Et ce secret du géographe fût toujours resté enseveli dans les abîmes de l’inconnu, si le major n’en eût parlé à Glenarvan, qui ne le cacha point à lady Helena, qui en dit un mot à mistress Mangles.

Bref, ce secret parvint aux oreilles de mistress Olbinett, et il éclata.

Jacques Paganel, pendant ses trois jours de captivité chez les maoris, avait été tatoué, mais tatoué des pieds aux épaules, et il portait sur sa poitrine l’image d’un kiwi héraldique, aux ailes éployées, qui lui mordait le cœur.

Ce fut la seule aventure de son grand voyage dont Paganel ne se consola jamais et qu’il ne pardonna pas à la Nouvelle-Zélande; ce fut aussi ce qui, malgré bien des sollicitations et malgré ses regrets, l’empêcha de retourner en France. Il eût craint d’exposer toute la société de géographie dans sa personne aux plaisanteries des caricaturistes et des petits journaux, en lui ramenant un secrétaire fraîchement tatoué.

Le retour du capitaine en écosse fut salué comme un événement national et Harry Grant devint l’homme le plus populaire de la vieille Calédonie.

Son fils Robert s’est fait marin comme lui, marin comme le capitaine John, et c’est sous les auspices de lord Glenarvan qu’il a repris le projet de fonder une colonie écossaise dans les mers du Pacifique.

(1868)

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