Литмир - Электронная Библиотека
Содержание  
A
A

Les sauvages faisaient un feu roulant, et les balles pleuvaient autour de la pirogue. En ce moment, une forte détonation éclata, et un boulet, lancé par le canon du yacht, passa sur la tête des fugitifs. Ceux-ci, pris entre deux feux, demeurèrent immobiles entre le Duncan et les canots indigènes.

John Mangles, fou de désespoir, saisit sa hache. Il allait saborder la pirogue, la submerger avec ses infortunés compagnons, quand un cri de Robert l’arrêta.

«Tom Austin! Tom Austin! disait l’enfant. Il est à bord! Je le vois! Il nous a reconnus! Il agite son chapeau!»

La hache resta suspendue au bras de John.

Un second boulet siffla sur sa tête et vint couper en deux la plus rapprochée des trois pirogues, tandis qu’un hurrah éclatait à bord du Duncan. Les sauvages, épouvantés, fuyaient et regagnaient la côte.

«À nous! à nous, Tom!» avait crié John Mangles d’une voix éclatante.

Et, quelques instants après, les dix fugitifs, sans savoir comment, sans y rien comprendre, étaient tous en sûreté à bord du Duncan.

Chapitre XVII Pourquoi le «Duncan» croisait sur la côte est de la Nouvelle-Zélande

Il faut renoncer à peindre les sentiments de Glenarvan et de ses amis, quand résonnèrent à leurs oreilles les chants de la vieille écosse. Au moment où ils mettaient le pied sur le pont du Duncan, le bag-piper, gonflant sa cornemuse, attaquait le pibroch national du clan de Malcolm, et de vigoureux hurrahs saluaient le retour du laird à son bord.

Glenarvan, John Mangles, Paganel, Robert, le major lui-même, tous pleuraient et s’embrassaient.

Ce fut d’abord de la joie, du délire. Le géographe était absolument fou; il gambadait et mettait en joue avec son inséparable longue-vue, les dernières pirogues qui regagnaient la côte.

Mais, à la vue de Glenarvan, de ses compagnons, les vêtements en lambeaux, les traits hâves et portant la marque de souffrances horribles, l’équipage du yacht interrompit ses démonstrations. C’étaient des spectres qui revenaient à bord, et non ces voyageurs hardis et brillants, que, trois mois auparavant, l’espoir entraînait sur les traces des naufragés. Le hasard, le hasard seul les ramenait à ce navire qu’ils ne s’attendaient plus à revoir! Et dans quel triste état de consomption et de faiblesse!

Mais, avant de songer à la fatigue, aux impérieux besoins de la faim et de la soif, Glenarvan interrogea Tom Austin sur sa présence dans ces parages.

Pourquoi le Duncan se trouvait-il sur la côte orientale de la Nouvelle-Zélande? Comment n’était-il pas entre les mains de Ben Joyce? Par quelle providentielle fatalité Dieu l’avait-il amené sur la route des fugitifs?

Pourquoi? Comment? À quel propos? Ainsi débutaient les questions simultanées qui venaient frapper Tom Austin à bout portant. Le vieux marin ne savait auquel entendre. Il prit donc le parti de n’écouter que lord Glenarvan et de ne répondre qu’à lui.

«Mais les convicts? demanda Glenarvan, qu’avez-vous fait des convicts?

– Les convicts?… Répondit Tom Austin du ton d’un homme qui ne comprend rien à une question.

– Oui! Les misérables qui ont attaqué le yacht?

– Quel yacht? dit Tom Austin, le yacht de votre honneur?

– Mais oui! Tom! Le Duncan, et ce Ben Joyce qui est venu à bord?

– Je ne connais pas ce Ben Joyce, je ne l’ai jamais vu, répondit Austin.

– Jamais! s’écria Glenarvan stupéfait des réponses du vieux marin. Alors, me direz-vous, Tom, pourquoi le Duncan croise en ce moment sur les côtes de la Nouvelle-Zélande?»

Si Glenarvan, lady Helena, miss Grant, Paganel, le major, Robert, John Mangles, Olbinett, Mulrady, Wilson, ne comprenaient rien aux étonnements du vieux marin, quelle fut leur stupéfaction, quand Tom répondit d’une voix calme:

«Mais le Duncan croise ici par ordre de votre honneur.

– Par mes ordres! s’écria Glenarvan.

– Oui, mylord. Je n’ai fait que me conformer à vos instructions contenues dans votre lettre du 14 janvier.

– Ma lettre! Ma lettre!» s’écria Glenarvan.

En ce moment, les dix voyageurs entouraient Tom Austin et le dévoraient du regard. La lettre datée de Snowy-River était donc parvenue au Duncan?

«Voyons, reprit Glenarvan, expliquons-nous, car je crois rêver. Vous avez reçu une lettre, Tom?

– Oui, une lettre de votre honneur.

– À Melbourne?

– À Melbourne, au moment où j’achevais de réparer mes avaries.

– Et cette lettre?

– Elle n’était pas écrite de votre main, mais signée de vous, mylord.

– C’est cela même. Ma lettre vous a été apportée par un convict nommé Ben Joyce.

– Non, par un matelot appelé Ayrton, quartier-maître du Britannia.

– Oui! Ayrton, Ben Joyce, c’est le même individu. Eh bien! Que disait cette lettre?

– Elle me donnait l’ordre de quitter Melbourne sans retard, et de venir croiser sur les côtes orientales de…

– De l’Australie! s’écria Glenarvan avec une véhémence qui déconcerta le vieux marin.

– De l’Australie? répéta Tom en ouvrant les yeux, mais non! De la Nouvelle-Zélande!

– De l’Australie! Tom! De l’Australie!» répondirent d’une seule voix les compagnons de Glenarvan.

En ce moment, Austin eut une sorte d’éblouissement.

Glenarvan lui parlait avec une telle assurance, qu’il craignit de s’être trompé en lisant cette lettre. Lui, le fidèle et exact marin, aurait-il commis une pareille erreur? Il rougit, il se troubla.

«Remettez-vous, Tom, dit lady Helena, la providence a voulu…

– Mais non, madame, pardonnez-moi, reprit le vieux Tom. Non! Ce n’est pas possible! Je ne me suis pas trompé! Ayrton a lu la lettre comme moi, et c’est lui, lui, qui voulait, au contraire, me ramener à la côte australienne!

– Ayrton? s’écria Glenarvan.

– Lui-même! Il m’a soutenu que c’était une erreur, que vous me donniez rendez-vous à la baie Twofold!

– Avez-vous la lettre, Tom? demanda le major, intrigué au plus haut point.

– Oui, Monsieur Mac Nabbs, répondit Austin. Je vais la chercher.»

Austin courut à sa cabine du gaillard d’avant.

Pendant la minute que dura son absence, on se regardait, on se taisait, sauf le major, qui, l’œil fixé sur Paganel, dit en se croisant les bras:

166
{"b":"125256","o":1}