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Après cette reconnaissance de la Papouasie, le Britannia alla se ravitailler au Callao, et il quitta ce port le 30 mai 1862, pour revenir en Europe par l’océan Indien et la route du Cap. Trois semaines après son départ, une tempête épouvantable désempara le navire. Il s’engagea. Il fallut couper la mâture. Une voie d’eau se déclara dans les fonds, qu’on ne parvint pas à aveugler. L’équipage fut bientôt exténué, à bout de forces. On ne put pas affranchir les pompes. Pendant huit jours, le Britannia fut le jouet des ouragans. Il avait six pieds d’eau dans sa cale. Il s’enfonçait peu à peu. Les embarcations avaient été enlevées pendant la tempête. Il fallait périr à bord, quand, dans la nuit du 27 juin, comme l’avait parfaitement compris Paganel, on eut connaissance du rivage oriental de l’Australie. Bientôt le navire fit côte. Un choc violent eut lieu. En ce moment, Ayrton enlevé par une vague, fut jeté au milieu des brisants et perdit connaissance. Quand il revint à lui, il était entre les mains des indigènes qui l’entraînèrent dans l’intérieur du continent. Depuis lors, il n’entendit plus parler du Britannia et supposa, non sans raison, qu’il avait péri corps et biens sur les dangereux récifs de Twofold-Bay. Ici se terminait le récit relatif au capitaine Grant. Il provoqua plus d’une fois de douloureuses exclamations. Le major n’aurait pu sans injustice douter de son authenticité. Mais, après l’histoire du Britannia, l’histoire particulière d’Ayrton devait présenter un intérêt plus actuel encore. En effet, Grant, on n’en doutait pas, grâce au document, avait survécu au naufrage avec deux de ses matelots, comme Ayrton lui-même. Du sort de l’un on pouvait raisonnablement conclure au sort de l’autre. Ayrton fut donc invité à faire le récit de ses aventures.

Il fut très simple et très court.

Le matelot naufragé, prisonnier d’une tribu indigène, se vit emmené dans ces régions intérieures arrosées par le Darling, c’est-à-dire à quatre cents milles au nord du trente-septième parallèle. Là, il vécut fort misérable, parce que la tribu était misérable elle-même, mais non maltraité. Ce furent deux longues années d’un pénible esclavage. Cependant, l’espoir de recouvrer sa liberté le tenait au cœur.

Il épiait la moindre occasion de se sauver, bien que sa fuite dût le jeter au milieu de dangers innombrables.

Une nuit d’octobre 1864, il trompa la vigilance des naturels et disparut dans la profondeur de forêts immenses. Pendant un mois, vivant de racines, de fougères comestibles, de gommes de mimosas, il erra au milieu de ces vastes solitudes, se guidant le jour sur le soleil, la nuit sur les étoiles, souvent abattu par le désespoir. Il traversa ainsi des marais, des rivières, des montagnes, toute cette portion inhabitée du continent que de rares voyageurs ont sillonnée de leurs hardis itinéraires. Enfin, mourant, épuisé, il arriva à l’habitation hospitalière de Paddy O’Moore, où il trouva une existence heureuse en échange de son travail.

«Et si Ayrton se loue de moi, dit le colon irlandais, quand ce récit fut achevé, je n’ai qu’à me louer de lui. C’est un homme intelligent, brave, un bon travailleur, et, s’il lui plaît, la demeure de Paddy O’Moore sera longtemps la sienne.»

Ayrton remercia l’irlandais d’un geste, et il attendit que de nouvelles questions lui fussent adressées. Il se disait, cependant, que la légitime curiosité de ses auditeurs devait être satisfaite. À quoi eût-il répondu désormais qui n’eût été cent fois dit déjà? Glenarvan allait donc ouvrir la discussion sur un nouveau plan à combiner, en profitant de la rencontre d’Ayrton et de ses renseignements, quand le major, s’adressant au matelot, lui dit:

«Vous étiez quartier-maître à bord du Britannia?

– Oui», répondit Ayrton sans hésiter.

Mais, comprenant qu’un certain sentiment de défiance, un doute, si léger qu’il fût, avait dicté cette demande au major, il ajouta:

«J’ai d’ailleurs sauvé du naufrage mon engagement à bord.»

Et il sortit immédiatement de la salle commune pour aller chercher cette pièce officielle. Son absence ne dura pas une minute. Mais Paddy O’Moore eut le temps de dire:

«Mylord, je vous donne Ayrton pour un honnête homme. Depuis deux mois qu’il est à mon service, je n’ai pas un seul reproche à lui faire. Je connaissais l’histoire de son naufrage et de sa captivité. C’est un homme loyal, digne de toute votre confiance.»

Glenarvan allait répondre qu’il n’avait jamais douté de la bonne foi d’Ayrton, quand celui-ci rentra et présenta son engagement en règle. C’était un papier signé des armateurs du Britannia et du capitaine Grant, dont Mary reconnut parfaitement l’écriture.

Il constatait que «Tom Ayrton, matelot de première classe, était engagé comme quartier-maître à bord du trois-mâts Britannia, de Glasgow.» il n’y avait donc plus de doute possible sur l’identité d’Ayrton, car il eût été difficile d’admettre que cet engagement fût entre ses mains et ne lui appartînt pas.

«Maintenant, dit Glenarvan, je fais appel aux conseils de tous, et je provoque une discussion immédiate sur ce qu’il convient de faire. Vos avis, Ayrton, nous seront particulièrement précieux, et je vous serai fort obligé de nous les donner.»

Ayrton réfléchit quelques instants, puis il répondit en ces termes:

«Je vous remercie, mylord, de la confiance que vous avez en moi, et j’espère m’en montrer digne. J’ai quelque connaissance de ce pays, des mœurs des indigènes, et si je puis vous être utile…

– Bien certainement, répondit Glenarvan.

– Je pense comme vous, répondit Ayrton, que le capitaine Grant et ses deux matelots ont été sauvés du naufrage; mais, puisqu’ils n’ont pas gagné les possessions anglaises, puisqu’ils n’ont pas reparu, je ne doute pas que leur sort n’ait été le mien, et qu’ils ne soient prisonniers d’une tribu de naturels.

– Vous répétez là, Ayrton, les arguments que j’ai déjà fait valoir, dit Paganel. Les naufragés sont évidemment prisonniers des indigènes, ainsi qu’ils le craignaient. Mais devons-nous penser que, comme vous, ils ont été entraînés au nord du trente-septième degré?

– C’est à supposer, monsieur, répondit Ayrton; les tribus ennemies ne demeurent guère dans le voisinage des districts soumis aux anglais.

– Voilà qui compliquera nos recherches, dit Glenarvan, assez déconcerté. Comment retrouver les traces des prisonniers dans l’intérieur d’un aussi vaste continent?»

Un silence prolongé accueillit cette observation.

Lady Helena interrogeait souvent du regard tous ses compagnons sans obtenir une réponse. Paganel lui-même restait muet, contre son habitude. Son ingéniosité ordinaire lui faisait défaut. John Mangles arpentait à grands pas la salle commune, comme s’il eût été sur le pont de son navire, et dans quelque embarras.

«Et vous, Monsieur Ayrton, dit alors lady Helena au matelot, que feriez-vous?

– Madame, répondit assez vivement Ayrton, je me rembarquerais à bord du Duncan, et j’irais droit au lieu du naufrage. Là, je prendrais conseil des circonstances, et peut-être des indices que le hasard pourrait fournir.

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