Le chevalier semblait fort calme. Mais Charles connaissait bien cette physionomie. Et à certains signes, il vit que Pardaillan devait être bouleversé par quelque violente émotion, qu’il attribua à la scène de l’esplanade. Il se contenta donc de le mettre au courant de ce qui venait de se passer près de la source.
– Bien, dit Pardaillan, qui hocha la tête, vous n’avez plus, monseigneur, qu’à conduire votre fiancée à Orléans. Votre figure radieuse sous le mince bistre de tristesse qui la couvre, me dit assez que vous êtes au seuil du bonheur. Le bonheur, mon cher, est un fantastique palais où il faut se hâter d’entrer dès qu’on le peut. Si on hésite un instant, le palais s’effondre comme les nuages qu’on voit quelquefois, château maintenant, désert tout à l’heure… Rendez donc les derniers devoirs à ce malheureux, et partez avec Violetta…
– Et vous, cher ami?… Je vous préviens que je ne pars pas sans vous…
– Il le faut, dit Pardaillan. Vous partez, moi je reste. D’ailleurs, notre séparation ne sera pas longue. Dès que j’aurai terminé à Paris certaine affaire qui m’y retient, je viendrai vous chercher à Orléans. Mais, au nom du diable, n’hésitez pas…
Après une brève discussion, Charles dut se rendre à l’évidence. Il lui fallait, de toute nécessité, mettre Violetta en sûreté parfaite; et sur la promesse que le chevalier viendrait le chercher bientôt à Orléans, il se jeta dans ses bras pour lui faire ses adieux. Puis, non sans se retourner plusieurs fois vers le chevalier demeuré près du portail, il s’éloigna le cœur serré, des larmes aux yeux et, malgré toutes les promesses de Pardaillan, avec le triste pressentiment qu’il ne le reverrait plus…
Il regagna la chaumière où Violetta pleurait près du corps de Claude, tandis que Jeanne Fourcaud essayait en vain de la consoler.
Le duc d’Angoulême passa cette journée à se procurer une litière pour sa fiancée et un cheval pour lui. Le lendemain matin, au lever du soleil, maître Claude fut enterré. Sur le tumulus qui recouvrait son corps, Violetta agenouillée pleura longtemps. Enfin, Charles parvint à l’arracher à ce coin de terre et la fit monter dans la litière où Jeanne Fourcaud prit également place. Lui-même sauta en selle. Et la petite troupe se mit en route pour contourner Paris et rejoindre la route d’Orléans.
Comme la litière s’ébranlait, le duc d’Angoulême vit surgir près de son cheval deux grands diables qu’il reconnut aussitôt, surtout Picouic, grâce auquel il avait pu arriver à temps pour sauver Violetta.
Picouic, en effet, avait eu la pensée de se rendre à tout hasard à l’auberge de la Devinière , et étant entré dans Paris à l’ouverture des portes, il avait trouvé dans l’auberge Pardaillan et Charles qui s’apprêtaient déjà en vue du rendez-vous que Maurevert leur avait assigné pour ce jour-là même… Nos lecteurs devinent le reste.
Picouic et Croasse, donc, après la scène terrible qui s’était déroulée près du pavillon de l’abbaye, s’étaient rejoints, avaient vu le duc d’Angoulême dans ses allées et venues et avaient fait leur plan en conséquence. Ils assistèrent à l’enterrement de Claude, et lorsqu’ils virent le jeune duc prêt à partir, s’approchèrent de lui.
– Monseigneur, cria Picouic, ne nous abandonnez pas!…
Charles fut ému de pitié… et après tout, c’était à Picouic qu’il devait en partie son bonheur présent.
– Vous voulez donc venir avec moi?
– Au bout du monde! dit Picouic.
– Eh bien, dit Charles, qui avec un sourire leur jeta quelque argent, voici pour faire la route d’ici à Orléans. Une fois à Orléans, venez me trouver, et si mon service vous plaît, eh bien, vous resterez avec moi…
Les deux compagnons se confondirent en bénédictions et prirent d’un pas allègre le chemin que Charles suivait à cheval… La litière qui contenait Violetta et Jeanne Fourcaud arriva sans incident à Orléans, escortée par Charles, le soir du cinquième jour. Trois jours plus tard, les deux compagnons de misère y faisaient également leur entrée, et Picouic disait à Croasse:
– Je crois que cette fois, nous entrons vraiment dans la vie de cocagne…