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Fausta leva vers le ciel rayonnant un regard où il y avait une malédiction suprême, puis elle baissa la tête; et, immobile, dédaigneuse, redevenue la statue impassible, elle ne prononça plus un mot…

Toute cette scène, depuis l’instant où Pardaillan s’était laissé glisser du haut de la muraille, avait duré moins d’une minute… Lorsqu’il eut constaté la soudaine, l’inexplicable et fantastique volte-face des gardes qu’il s’apprêtait à charger, Pardaillan rengaina tranquillement sa rapière et grommela entre ses dents:

– Je veux qu’on m’étripe et qu’on me pende par les pieds comme le fut le pauvre Coligny si je comprends ce qui se passe ici… mais le sieur Picouic nous a affirmé que nous trouverions la jolie petite bohémienne…

En parlant ainsi, Pardaillan se retourna. Et ce moment, c’était à peu près celui où Charles d’Angoulême venait de jeter ce cri déchirant que nous avons signalé.

Pardaillan, d’un coup d’œil, embrassa le terrible spectacle qu’il avait sous les yeux; les deux cadavres enlacés dans la suprême étreinte; la croix fleurie; sur la croix, la jeune fille attachée par les poignets et par les chevilles: au pied de la croix, Charles agenouillé, écrasé, tombait à la renverse…

Pardaillan se rua sur la croix… Il l’enlaça de ses deux bras puissants, la secoua, cherchant à la soulever, à arracher le pied de son alvéole… La croix basculait, se balançait, comme si le souffle haletant de Pardaillan eût été l’orage qui courbait l’arbre du supplice… Et plus fort à ce moment où un vieillard apparaissait sur la scène, la dextre levée, plus violemment les cardinaux et les évêques prosternés tonnaient:

– Domine, salvum fac pontificem nostrum!

Fausta seule était debout. Ses regards se croisèrent avec ceux de Sixte-Quint…

– À genoux, fille d’orgueil! dit le pape en levant ses trois doigts… bénédiction ou malédiction.

– Fils de la trahison, répondit Fausta en se redressant, ce front d’orgueil ne se courbera que sous la hache de ton bourreau!

À ce moment, la croix frénétiquement secouée s’inclinait, arrachée de son alvéole. Pardaillan la soutenait dans ses bras, et doucement la posait sur le sol. En un instant, il eut coupé les cordes qui attachaient les poignets et les chevilles de Violetta. Il posa sa main sur le sein de la jeune fille…

À ce moment aussi, Charles d’Angoulême renaissait de son évanouissement et, hagard, à genoux, se traînait vers Violetta… Et comme il lui semblait qu’elle était morte et qu’il allait mourir là, comme l’angoisse des douleurs mortelles déjà noyait son regard, il eut soudain une secousse de joie furieuse, un bond, un cri d’extase… Pardaillan venait de lui jeter un mot. Et ce mot c’était:

– Vivante!…

Charles regarda autour de lui, et à ses pieds vit Léonore enveloppé dans son grand manteau de bohémienne. Il ne la reconnut pas. Dans cette minute, il n’eût pas reconnu sa propre mère… Mais se penchant sur la morte, il prit le manteau bariolé, parsemé de cuivreries et de médailles, et il en enveloppa son amante.

Alors, sans un mot, n’ayant plus en lui que cette idée: elle vit!… et cette volonté: fuir ce lieu maudit… oubliant jusqu’à Pardaillan, il souleva la jeune fille dans ses bras et se mit en marche, traversant le terrain de culture dans la direction des bâtiments de l’abbaye. Nul ne s’opposa à son départ.

Il marchait, les yeux fixés sur son visage pâle comme un lys, et il voyait distinctement qu’elle respirait. Peu à peu, le sein de Violetta se soulevait avec moins d’effort, et il lui semblait que lui-même respirait mieux, ce qui était vrai; car sa respiration se réglait sur celle de l’amante, sans qu’il en eût conscience, et il est probable qu’il fût mort de sa mort.

Lorsqu’il eut atteint la voûte qui aboutissait à la grande porte d’entrée, il comprit que ses forces allaient l’abandonner; un brouillard s’étendit sur ses yeux; ses mains se crispèrent pour soutenir encore la jeune fille, ses lèvres balbutièrent des paroles vagues, et il sentit que la terre manquait sous ses pas et qu’il tombait…

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