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– Messieurs, vous faites erreur, dit Pardaillan.

– Ah! ah! firent les spadassins désappointés.

– Sans doute!… Malgré tout le désir que j’ai de vous être agréables je ne puis vous rendre ce que je tiens de votre bonne foi, c’est-à-dire la vie et la liberté du Révérend.

– Mais vous nous conseillez de vous en débarrasser.

– C’est le meilleur conseil que je puisse vous donner. Écoutez, je prévois ce qui va arriver. Le roi, sachant que messire Clément n’est pas mort, va faire fermer les portes et commencer des recherches qui ne tarderont pas à aboutir. Vous serez alors dans l’alternative ou d’encourir la disgrâce du roi, c’est-à-dire la potence ou l’échafaud… ou de tuer mon hôte, ce qui fera de vous des félons et des parjures de la plus vile qualité, et ce qui ne se fera pas, d’ailleurs, sans que vous ayez à me passer sur le ventre.

– Et sans au préalable m’avoir tué moi-même, ajouta doucement le duc d’Angoulême.

– Tout cela est fort juste, s’écrièrent les trois. Nous ne voulons pas être félons, encore moins être pendus!…

– Voici donc ce que je vous propose, reprit Pardaillan. Procurez-nous trois bons chevaux. Conduisez-nous jusqu’à la première porte. Et comme vous avez sûrement le mot de passe, faites-nous ouvrir… Alors, nous disparaissons… le Révérend rentre dans son couvent, vous n’entendez plus parler de lui, et il vous est possible de dire au roi que vous l’avez débarrassé de Jacques Clément.

– Par Notre-Dame, comme dit Sa Majesté la reine, le conseil est excellent! s’écria Sainte-Maline. Qu’en dis-tu, Chalabre?

– Je dis qu’il faut l’exécuter à l’instant même. Montsery et moi, nous nous chargeons d’amener les chevaux. Il n’en manque pas dans les écuries du roi. Toi, Sainte-Maline, tu conduiras M. de Pardaillan.

L’œil de Pardaillan brilla d’un éclair malicieux.

– Ouf! songea-t-il, je crois que voilà de la diplomatie. Monsieur mon père me disait toujours qu’on gagne autant avec de bonnes paroles qu’avec une bonne rapière. Je vois bien maintenant qu’il avait raison…

Chalabre et Montsery vidèrent un dernier verre de beaugency et s’éloignèrent aussitôt. Sainte-Maline demeura avec Pardaillan, le duc d’Angoulême et Jacques Clément.

– C’est dommage, fit Sainte-Maline, que le digne père jacobin n’ait pas un habit de cavalier…

Pour toute réponse, Jacques Clément se défit de son froc, le roula et le jeta sous le lit. Il apparut alors en cavalier, mais sans épée. Seulement à sa ceinture était passé le poignard que lui avait donné l’ange… le poignard avec lequel il devait frapper Henri III. Il était ainsi méconnaissable, et plus d’un gentilhomme lui eût envié la naturelle élégance qui étonnait en ce moment Sainte-Maline et Pardaillan.

Charles d’Angoulême déposa sur la table un écu d’or en payement de la dépense qu’ils avaient faite. Puis tous les quatre descendirent sans faire de bruit. Quelques instants plus tard, ils se trouvaient dans la rue. Sainte-Maline marchait à quelques pas en avant.

– Voulez-vous que je vous dise? murmura le jeune duc à l’oreille de Pardaillan. Nous allons à un bon guet-apens. Les deux autres ont été chercher du renfort, et nous allons avoir tout à l’heure une vingtaine d’assaillants sur les bras.

– Vous faites injure à ces dignes gentilshommes, dit Pardaillan; ce sont des assassins au service du roi de France, mais s’ils sont parfaitement dressés à tuer, ils sont encore incapables de manquer à la parole donnée.

Charles hocha la tête d’un air de doute et continua de marcher la main à la garde de l’épée. Ils arrivèrent ainsi à vingt pas d’une porte et Sainte-Maline leur fit signe d’arrêter. Un quart d’heure se passa dans le silence et l’attente. Au bout de ce temps, deux cavaliers débouchèrent d’une rue voisine. Charles d’Angoulême tressaillit et murmura:

– Vous aviez pardieu raison! Ce sont eux!…

Chalabre et Montsery étaient à cheval. Montsery conduisait une troisième monture par la bride. Les deux spadassins mirent pied à terre. Pardaillan, Charles d’Angoulême et Jacques Clément enfourchèrent les trois bêtes. Alors Chalabre se détacha en avant et alla parlementer avec l’officier du poste qui gardait la porte. Une minute plus tard, on entendit le grincement des chaînes du pont-levis, et Chalabre, de loin, s’écria:

– Quand il vous plaira, messieurs!

Le cœur de Charles battait avec violence. Tout cela lui semblait exorbitant. Jacques Clément, tout insensible qu’il -fût, murmurait une prière. Pardaillan souriait:

– Messieurs, dit-il, jusqu’au plaisir de vous revoir…

– Tâchez que ce soit bientôt, dit Sainte-Maline. Tâchez que nous ayons vite achevé de vous payer notre dette. Vous n’avez pas idée, monsieur de Pardaillan, du plaisir que j’aurai alors à vous tuer… car avec un homme comme vous, il n’y a plus moyen de vivre.

– Nous en serions réduits à prier le roi de nous exiler, ajouta Montsery. Faites donc que nous puissions bientôt croiser le fer.

– J’y tâcherai, messieurs, dit Pardaillan.

Ils se saluèrent…

Les trois cavaliers passèrent sous la porte, et Chalabre leur fit un geste d’adieu ou de menace… Quelques instants après, Jacques Clément, escorté par Charles d’Angoulême et Pardaillan, galopait sur la route de Paris, après avoir été escorté jusqu’à la porte de Chartres par ceux-là mêmes qui avaient été chargés de l’assassiner.

Tant qu’il fit nuit, les trois cavaliers continuèrent à galoper en silence. À l’aube, ils s’arrêtèrent dans un bourg pour laisser souffler les chevaux, et entrèrent dans un bouchon.

– Je vous quitte ici, dit Jacques Clément qui n’avait pas ouvert la bouche depuis Chartres.

– Bon! Pourquoi nous quitter?… dit Pardaillan.

– Il faut que je rentre en mon couvent, dit le moine d’une voix sourde. Je n’en étais sorti que pour accomplir les ordres de Dieu…

– Et de la signora Fausta! grommela Pardaillan entre les dents.

– Il a plu au Tout-Puissant, continua Jacques Clément, de vous mettre sur ma route; c’est que l’heure de Valois n’est pas sonnée encore. Puisque entre le roi et moi s’est placé le seul homme qui pouvait d’un mot détourner cette arme qui ne me quitte pas, c’est que Dieu avait décidé de laisser vivre encore quelques jours Hérodes le tyran… Je rentre donc dans ma cellule, et j’y attendrai qu’un ordre nouveau me soit donné. Car je ne doute pas que l’ange ne revienne me voir…

– Tenez, fit Pardaillan ému, voulez-vous que je vous dise? Vous devriez quitter votre couvent, votre cellule, vos prières, vos macérations, votre solitude. C’est tout cela, ce sont ces jeûnes auxquels vous vous soumettez, ce sont ces visions nées de l’isolement qui vous mettent dans la tête ces pensées de tristesse et de désolation. Vous êtes jeune… vous pouvez aimer… être aimé…

Jacques Clément pâlit horriblement et de sa main crispée comprima son cœur.

– Vous seriez un brave et hardi cavalier… vous reprendriez plaisir à tout ce qui fait la joie de l’homme… restez avec moi, je vous guérirai…

– Pardaillan, dit le moine en secouant la tête, ma destinée doit s’accomplir. Je ne suis pas seulement l’envoyé de Dieu, chevalier! Si Dieu m’a choisi pour débarrasser le monde de ce monstre qu’on nomme Valois, c’est sans doute à l’intercession de celle qui a souffert, pleuré, qui est morte en maudissant Catherine de Médicis… Pardaillan, c’est la voix de ma mère qui me guide!…

Pardaillan demeura songeur.

– Allez donc, fit-il enfin. Je vois que rien ne saurait vous détourner de la voie étroite…

– Rien! dit le moine.

– Seulement, reprit le chevalier, puisque vous êtes décidé à frapper le roi de France… car vous êtes décidé plus que jamais?

– Il serait mort à cette heure si vous ne m’aviez dit: «J’ai besoin qu’il vive encore…» Valois vivra donc tant que vous aurez besoin de sa vie… Je suis patient… j’attendrai!

– Je vous l’ai dit et vous le répète: la vie du roi de France m’est indifférente. Seulement, je ne veux pas que sa mort puisse servir les intérêts de M. de Guise. Je vous l’ai expliqué cette nuit…

– Oui… Tant que Guise peut devenir roi par la mort de Valois, vous ne voulez pas que Valois meure!… Mais après, Pardaillan? Si le moment arrive où la mort du roi ne peut plus être utile au duc?

– Oh! alors… je vous assure bien que la mort ou la vie de Valois seront le dernier de mes soucis.

– Bien. Recevez donc mon serment, dit le moine d’une voix solennelle. Pardaillan, par la mémoire de ma mère, je vous jure que ce poignard ne sortira pas de sa gaine tant que votre main sera étendue sur la tête de Valois. Adieu!… S’il vous arrive de songer parfois au moine de l’auberge du Chant du Coq, priez pour lui!…

À ces mots, Jacques Clément sauta sur son cheval et s’éloigna rapidement dans la direction de Paris. Pardaillan le suivit des yeux tant qu’il put voir le nuage de poussière que soulevait le cheval lancé au galop.

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