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Elle était belle!… non plus de cette beauté tragique et fatale qui inspirait autant d’effroi que d’admiration, mais d’une beauté de douleur, d’espoir et d’amour qui la transfigurait. Elle rayonnait et palpitait. Pardaillan soupira et songea:

«Que de malheur va semer encore cet incomparable esprit de malfaisance!… Ô Loïse, ma pauvre petite Loïse! Tu n’étais pas habile aux sublimes discours, mais comme un seul regard de tes yeux bleus était plus sublime encore, puisqu’après tant d’années, c’est le souvenir de ton dernier regard qui me pénètre et me charme, tandis que la flamme de ces magnifiques yeux noirs ne me donne que malaise et frisson!…» Madame, reprit-il, que voulez-vous qu’un pauvre aventurier comme moi réponde aux choses admirables que vous me dites? Ma réponse, madame, est dépouillée de toute beauté, je ne puis l’envelopper de paroles magiques. Que puis-je donc vous dire, sinon ceci que vous savez déjà: j’aimais une enfant, une jolie petite fille d’amour qui s’appelait Loïse. Elle est morte…

Pardaillan pâlit. Un râle roula dans sa gorge, et avec une douceur où son être entier paraissait se fondre, il acheva:

– Elle est morte… et je l’aime toujours… et toujours l’aimerai…

Il baissa la tête.

Fausta, d’un geste lent et raide, ramena son capuchon sur son visage livide. Elle n’ajouta pas un mot et s’éloigna. Quand elle fut à quelques pas, elle se retourna et vit que Pardaillan pleurait… Alors une sorte de rage, une jalousie furieuse contre la morte éclata dans son cœur.

Oui, Pardaillan, sans s’en apercevoir, ayant oublié Fausta, Guise, Henri III et jusqu’à Maurevert, Pardaillan pleurait au fond de l’immense cathédrale. Peut-être par un phénomène de suggestion, l’amour de Fausta, ces étranges paroles qu’elle avait prononcées d’une voix brûlante, la situation où il se trouvait, les événements qui venaient de s’écouler, peut-être tout cela avait-il ébranlé son courage et rendu plus vivante, plus pénétrante l’exquise sensibilité de son pauvre cœur, si simple et si grand! Peut-être l’image de Loïse se présentait-elle à lui, dans cette minute que Fausta avait appelée unique, plus précise, plus vraie, mieux éveillée d’entre les morts… Il la voyait!… Et comme il savait qu’elle était morte, il pleurait… comme il avait pleuré jadis sur le lit de mort de la bien-aimée…

Lorsqu’il releva la tête, Pardaillan vit qu’il était seul et que Fausta s’en était allée. Il secoua la tête, et rapidement sortit à son tour.

Quant à Fausta, elle était rentrée dans le mystérieux hôtel qui, comme nous l’avons indiqué, se trouvait en face de l’auberge du Chant du Coq, c’est-à-dire cette petite auberge où Pardaillan et Charles d’Angoulême avaient pris leur logis.

Nul dans l’entourage de Fausta ne put se douter des émotions terribles qu’elle venait d’éprouver. Peut-être même, ces émotions, ne les éprouvait-elle plus, car rentrée dans la chambre qu’elle occupait, elle murmura froidement:

– Soit!… la lutte continue!… En fin de compte, la victoire doit me rester. Et pour commencer, frappons ce misérable moine qui a trahi!…

Elle saisit une plume et écrivit en hâte:

«Majesté, une amie dévouée du roi vous prévient qu’un moine de l’ordre des Jacobins, nommé Jacques Clément, est venu à Chartres pour tuer le roi. C’est un miracle du Seigneur Dieu que Sa Majesté n’ait pas été assassinée pendant la procession.»

Quelques minutes plus tard, un gentilhomme inconnu déposait cette lettre à l’hôtel de Cheverni et disparaissait aussitôt.

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