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L’aubergiste cligna des yeux.

– Rien ne prouve que vous ne seriez pas mort de votre blessure, fit-il avec cette effroyable naïveté du bravo de l’époque.

Pardaillan demeura silencieux quelques minutes. Discuter avec cette brute lui parut œuvre inutile.

– Monseigneur, reprit timidement l’aubergiste, je pense que vous avez confiance dans ce que je vous ai dit?… Je vous vois réfléchir… et…

– Et tu crois que je me demande si je ne dois pas achever de t’étrangler? Eh bien, rassure-toi, je te donne vie sauve, à condition que tu me dises par où il est parti. Seulement, songe que si tu me trompes, tu me reverras, fût-ce dans six mois, et, que, même si tu n’es plus ici, je saurai te retrouver…

– Ma foi, s’écria l’aubergiste, vaille que vaille, je vous dirai la vérité. Car j’ai plus de sympathie pour vous que pour ce gentilhomme.

– Merci. Pourquoi?

– Parce que vous êtes l’homme le plus fort que j’aie jamais vu. Eh bien, il m’a chargé de vous dire, au cas où vous me rosseriez au lieu de vous laisser tuer… car il prévoit tout, lui!

– On voit qu’il a de l’esprit, hein?

– Il m’a donc chargé de vous dire qu’il file sur Tours par le grand chemin qui passe à ma porte.

– Tandis qu’au contraire?

Il a repris le sentier qui rejoint la route de Beaugency…

– Y a-t-il, à Beaugency, un pont sur la Loire?

– Il y a le bac, monseigneur.

C’est bien. Prépare-moi un lit, si c’est possible. Et demain matin, tu me réveilleras à l’aube.

L’aubergiste s’inclina et sortit. Dix minutes plus tard, il vint annoncer à Pardaillan que son lit était prêt. Le chevalier suivit l’homme et pénétra dans une chambre qu’il fut étonné de trouver assez propre.

L’aubergiste montra à Pardaillan qu’il y avait un fort verrou à la porte.

– Pourquoi faire? dit Pardaillan. Comment veux-tu me réveiller si je ne laisse pas la porte ouverte?…

L’aubergiste se retira ébahi.

«Décidément, pensa-t-il, sa force n’est pas dans son esprit, car je l’eusse aussi bien éveillé en cognant à la porte; mais il faut qu’il soit bien brave, car enfin, j’ai voulu le tuer… et qui lui prouve que je n’essaierai pas de prendre ma revanche pendant son sommeil?»

Il paraît que Pardaillan, si faible d’esprit qu’il eût semblé, connaissait tout de même les hommes et qu’il avait eu le temps d’étudier l’aubergiste. Car, bien qu’il eût laissé sa porte ouverte, non seulement cet homme ne fit aucune tentative contre lui, mais encore il monta la garde toute la nuit, de crainte que ses deux acolytes n’essayassent d’entrer. Pardaillan dormit donc tranquillement, sous la garde de l’homme que Maurevert avait payé pour l’assassiner. Vers sept heures du matin, il se remit en route, non sans avoir sondé une dernière fois l’aubergiste:

– Mais enfin, lui dit-il en le quittant, pourquoi, pour un peu d’argent, as-tu voulu tuer un homme qui ne t’a jamais fait aucun mal?

– Que voulez-vous, monseigneur, fit l’aubergiste, on ne mange pas tous les jours à sa faim; la misère est dure. Pillé par les huguenots, pillé par les catholiques, j’en suis tombé à essayer de tous les métiers.

– Y compris celui d’assassin à gages. Voici un écu pour toi, outre l’écot que je t’ai payé. Tâche, une autre fois, de bien regarder les gens à qui tu as affaire, et rappelle-toi que la vie d’un homme vaut qu’on la respecte. Cinq écus d’or, ajouta Pardaillan avec son sourire figue et raisin, cinq écus d’or, morbleu! ce n’était pas assez!

Et laissant l’aubergiste, perplexe, se demander à quel diable d’homme il avait eu affaire, Pardaillan prit d’un bon trot le sentier qui lui avait été indiqué.

Ce sentier coupait à travers les champs, en diagonale, et se dirigeait vers la Loire. Deux heures plus tard, Pardaillan retomba donc sur le chemin qu’il avait quitté la veille. Il piqua sur Beaugency, qu’il ne tarda pas à apercevoir de l’autre côté du fleuve.

Comme il passait près d’un gros bouquet de bouleaux et d’ormes qui semblait être un prolongement de la forêt de Russy, une détonation éclata soudain, sur sa droite, et la balle de l’arquebusade brisa une branche près de lui. Pardaillan sauta à terre et s’élança sous bois, dans la direction de la fumée, qui, à vingt pas de là, se dissipait lentement. Mais il eut beau battre les environs, il ne trouva personne; et, tout pensif, revint à son cheval, arrêté sur le chemin.

Qui avait tiré? Était-ce l’un de ces innombrables malandrins qui infestaient les routes? Maurevert avait-il payé et aposté l’un de ces brigands de grand chemin, en prévision que Pardaillan pût échapper à l’aubergiste et retrouver sa piste? C’est ce qu’il était impossible de savoir.

Il se remit donc en selle et se lança au galop jusqu’à ce qu’il se trouvât en face de Beaugency. Comme on le lui avait dit, il y avait un bac, à cet endroit, servant pour le passage des piétons, des chevaux et des voitures. Le passeur se trouvait justement sur la rive gauche de la Loire, c’est-à-dire sur la rive où était Pardaillan lui-même. Il n’eut donc qu’à embarquer. Et le passeur commença à haler sur la corde.

Pardaillan l’interrogea. Un cavalier avait-il, la veille au soir, franchi la Loire? Si oui, le passeur avait-il remarqué dans quelle direction se dirigeait ce cavalier? Le passeur répondit qu’aucun cavalier n’avait franchi le fleuve: mais que, se trouvant la veille au soir sur la rive gauche, il avait été interpellé par un gentilhomme fait comme celui dont on lui parlait; et que ce gentilhomme lui avait demandé si la route se prolongeait bien jusqu’à Orléans…

– Bon, pensa Pardaillan, je rejoindrai par la rive droite Orléans, tandis qu’il aura rejoint par la rive gauche.

Mais comme il songeait ainsi et qu’on se trouvait à ce moment au beau milieu de la Loire, le passeur imprima au bac un mouvement si maladroit que le cheval de Pardaillan fut précipité à l’eau.

Pardaillan était resté à cheval comme le faisaient les cavaliers pressés sur ces larges bateaux plats. En pensant que son cheval s’enfonçait, il se débarrassa vivement des étriers et s’accrocha à la crinière du cheval qui, libre de ses mouvements, se mit à nager vigoureusement vers la rive droite.

Il n’y avait personne en vue, le bac abordant un peu au-dessous de Beaugency. Pourtant, au moment où Pardaillan, ayant d’abord plongé, revint à la surface et s’accrocha à la crinière, deux coups d’arquebuse partirent de la rive droite, et le cheval, frappé à la tête, disparut sous les flots.

Pardaillan plongea. Il éprouvait une sorte de colère furieuse car, cette fois, il lui semblait manifeste que les arquebusiers avaient été apostés par Maurevert, et que le passeur était complice. Mais, malgré cette fureur, il conserva tout son sang-froid. L’essentiel, pour le moment, était d’échapper aux assassins. Ensuite, on verrait…

Pardaillan resta sous l’eau aussi longtemps qu’il put et, entraîné par un courant très rapide, ne reparut à la surface que cinquante pieds plus bas.

Un rapide regard jeté sur la rive la lui montra déserte comme précédemment. Dans ce même coup d’œil, il vit que le passeur s’était arrêté au milieu du fleuve et examinait cette scène sans manifester aucune intention de lui porter secours. La complicité du passeur était évidente.

– Toi, murmura Pardaillan entre ses dents serrées, toi, tu me payeras ta trahison!

Il nageait avec effort, gêné qu’il était par ses habits, mais suivant une diagonale allongée, il se rapprochait tout de même de la rive, lorsque deux nouveaux coups de feu éclatèrent… L’eau, frappée par les balles, rejaillit autour de Pardaillan. Alors, une rage s’empara de lui.

Il comprit qu’il fallait tout risquer et tenter d’aborder au plus tôt: sa vie ne tenait qu’à un coup de chance. Si l’un des invisibles tueurs était adroit, Pardaillan était un homme mort. Il se mit à nager furieusement, coupant, cette fois, le plus droit qu’il pouvait.

Une fois encore, après un temps pendant lequel les assassins avaient rechargé leurs armes, deux détonations éclatèrent, sans qu’il fût touché… Il touchait presque au rivage et en trois brasses, il prit pied. Alors, il s’élança, se secoua furieusement et regarda au loin dans la direction des coups de feu. Mais il ne vit personne!… Il se mit à courir, battit les environs et ne trouva rien. Alors, il se dirigea vers Beaugency, en grommelant:

– Ah ça! est-ce que je vais souvent être obligé de me baigner ainsi?…

Dans la première auberge qu’il rencontra, il entra tout mouillé et, s’étant fait donner une chambre, se déshabilla et fit sécher ses vêtements devant un grand feu… Lorsque Pardaillan se fut rhabillé, il sortit de la petite ville, non sans avoir vidé, pour combattre l’effet du bain, une bouteille de ce vin de Beaugency qui jouissait alors d’une excellente réputation.

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