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Cette magnifique pièce de l’art Renaissance consistait en un fût de colonne supportant sept branches; le fût était vissé au tournant de rampe du palier; et Pardaillan, tandis qu’il parlait au capitaine, s’était mis à dévisser le monstre de bronze.

Au moment où Larchant achevait de ranger ses hommes, Pardaillan imprima une secousse violente au lampadaire qui tomba, s’abattit, pareil à un gigantesque oiseau de mort… et cette fois, ce fut effroyable… Larchant s’abattit, une jambe brisée, trois hommes s’affaissèrent, tués net, quatre autres, blessés, se mirent à hurler et les derniers, après un moment de stupeur épouvantée, reculèrent en désordre jusque dans la cour.

– Suivez-moi! dit Pardaillan d’un ton bref.

Il s’élança, la rapière au poing et Fausta derrière lui. En quelques secondes, ils furent dans la cour.

– Aux chevaux! cria Pardaillan à Fausta.

En même temps, il fonçait sur les dix ou douze gardes rassemblés dans la cour.

– Tue! tue! vociféra Larchant en essayant de se relever.

Fausta bondit jusqu’à l’écurie, en sortit deux chevaux et sauta sur l’un d’eux.

– À sac! à mort! hurlaient les gardes en tâchant d’entourer Pardaillan.

Celui-ci reculait jusqu’au cheval. Sa rapière voltigeait, cinglait, piquait… Tout à coup, il sauta en selle, et piquant des deux, bondit au milieu des gardes.

– La porte! fermez la porte! hurla le capitaine Larchant.

Mais déjà Pardaillan l’avait franchie, en assénant un dernier coup de pommeau à un garde qui saisissait la bride de son cheval. Il s’élança à fond de train, suivi de Fausta. À ce moment, une troupe de quarante hommes d’armes commandés par Crillon en personne et montés sur de solides chevaux apparaissait à un bout de la rue, tandis que Pardaillan et Fausta disparaissaient à l’autre bout.

Crillon, prévenu de la résistance désespérée qui était opposée aux gens du roi dans l’hôtel de Fausta, était accouru. Dans la cour, il vit le désordre des gardes effarés. Dans le vestibule de l’escalier, il vit les morts, les blessés; sur les marches, il vit les débris de marbre et de bronze.

– Un damné, gronda Larchant. Un démon! Un fou furieux! Je crois bien, monsieur de Crillon, que c’est votre protégé!…

– Pardaillan!…

– C’est cela même! Ah! l’infernal truand!… Courez!…

– En voyant ce massacre, dit Crillon, son nom m’est venu au bout de la langue. Voilà un tableau qui ne pouvait être que signé Pardaillan.

– Courez! Mais courez donc! fit Larchant furieux, oubliant qu’il parlait à son chef.

– Bah! fit Crillon, il est loin!…

– Monsieur, dit une voix près de lui.

Crillon se retourna et dit:

– Que vous plaît-il, Monsieur de Maineville?…

– Monsieur de Crillon, fit Maineville, nous sommes vos prisonniers, n’est-ce pas?

– Oui. Après?…

– Vous nous conduisez à Loches?

– Oui. Après?…

– Eh bien, monsieur!, voici M. de Bussi-Leclerc et moi, Maineville, qui avons déjà un vieux compte à régler avec le Pardaillan. Maintenant que notre seigneur le duc de Guise est mort, ce compte devient terrible…

– Après? fit Crillon.

– Laissez-moi courir après le Pardaillan. Nous vous engageons notre parole d’honneur de revenir nous rendre prisonniers et nous vous rapporterons la tête du truand…

– Crillon! Crillon! vociféra Larchant, laissez courir ces gentilshommes. Je me porte caution! Et s’ils ramènent le misérable, je m’engage à obtenir leur liberté du roi.

– Allez, messieurs! dit Crillon d’un ton goguenard, et tâchez de vaincre!

Maineville et Bussi-Leclerc s’élancèrent. Alors, Crillon se baissa vers Larchant.

– Il t’a donc mis à mal? fit-il en riant.

– Une jambe cassée, dit Larchant furieux. Mais en rase campagne, il ne pourra tenir contre ces deux gentilshommes.

– Bon! maintenant qu’ils sont partis, grâce à tes instances, veux-tu que je te dise ce que j’en pense?

– Dites…

– Eh bien, mon vieux compère, ils ne reviendront pas.

– Allons donc! Ils ont donné leur parole d’honneur.

– Oh! je ne doute pas de leur parole; mais s’ils ont le malheur de rejoindre Pardaillan, ils n’auront plus jamais occasion de la tenir… ou, du moins, s’ils reviennent, ils seront fort éclopés, et ne ramèneront qu’eux-mêmes.

– Ah çà! c’est donc un terrible, ce Pardaillan?

– Tu en sais quelque chose, mon camarade! Et maintenant, veux-tu que je te dise mieux encore?

– Parlez…

– Eh bien, si le hasard voulait qu’ils ramènent Pardaillan prisonnier, que comptes-tu en faire?

– Pardieu! le faire pendre haut et court aux créneaux du donjon!

– Diable! Tu veux faire pendre un connétable?

– Çà! devenez-vous fou… ou bien ai-je le délire?… Pardaillan connétable?…

– Oui. Toi, tu veux le pendre. Et le roi le fait chercher pour le créer connétable.

– Et pourquoi? rugit Larchant, dont la tête s’égarait.

– Parce que si le roi est vivant, si le roi est encore roi, c’est à Pardaillan qu’il le doit! Parce que c’est Pardaillan qui a tué le duc de Guise!…

Larchant poussa un rauque soupir comme s’il venait de recevoir sur la tête un lampadaire de bronze ou une Pallas de marbre, et cette fois, écrasé, il s’évanouit. Crillon se mit à rire et donna l’ordre de transporter le capitaine au château.

Cependant, Pardaillan suivi de Fausta s’était élancé vers la porte de la ville qu’il franchit sans obstacle et avait enfilé le pont de la Loire. Fausta, jusque-là, avait galopé en silence, les yeux fixés sur l’homme étrange qui la perdait et la sauvait.

Elle était sombre. Les diamants noirs de ses yeux jetaient des feux d’un insoutenable éclat. Dans le court trajet qu’elle venait d’accomplir, elle avait eu avec elle-même une longue discussion.

Longue parce qu’à certains moments l’esprit pense double… mais courte en réalité, puisque quelques minutes à peine venaient de s’écouler depuis le moment où elle était sortie de l’hôtel.

Quelle était cette discussion? Quelles orageuses et suprêmes pensées se déchaînaient dans l’âme de la terrible vierge? Et quel était cet avenir, qu’avec la prodigieuse activité de son imagination, elle combinait déjà?…

Cet avenir évoluait tout entier autour d’un homme… au sentiment qui fleurissait, comme une fleur somptueuse et sauvage sur les ruines de son passé… un nom qu’elle murmurait de ses lèvres enfiévrées… Pardaillan!

Elle ne vivait plus qu’en lui, elle transposait en lui sa vie… Et sa voix parut âpre, violente, amère, et douce, d’une vertigineuse douceur, lorsque s’arrêtant tout à coup, elle prononça:

– Avant d’aller plus loin, chevalier, écoutez-moi.

Pardaillan s’arrêta. Ils étaient au milieu du pont. Devant eux, de l’autre côté de la Loire, c’était l’espace libre. Derrière eux, la ville de Blois que dominait la masse du château, titan séculaire dont les proportions stupéfient le voyageur et font rêver le poète. Au-dessous deux, la Loire gonflée par les pluies d’hiver, la Loire débordée, fougueuse, fangeuse, roulait ses eaux grises en tourbillons plaintifs.

– Mais, madame, dit Pardaillan, il me semble que nous devons piquer au contraire. On peut nous poursuivre…

– Il faut que je parle avant d’aller plus loin, dit Fausta.

Pardaillan s’inclina, salua et répondit:

– Je suis donc prêt à vous entendre.

Fausta baissa un instant la tête. Sans doute l’instant était suprême pour elle, car Pardaillan la vit frissonner. Tout à coup, cette tête pâle si belle, si orgueilleuse, et en ce moment pleine d’une sorte de sérénité majestueuse, se redressa, et ses yeux noirs se fixèrent sur les yeux de Pardaillan.

– Chevalier, dit-elle, vous aviez préparé, m’avez-vous dit, deux chevaux pour ma fuite?…

– Oui, madame. Et ils vous attendent. Mais ils sont inutiles. Je les garderai donc pour moi.

– Un de ces deux chevaux, reprit Fausta, il y en avait un pour moi, n’est-ce pas?

– Certes, madame.

– Et l’autre? dit Fausta avec un étrange frémissement. L’autre, pour qui était-il, selon vos prévisions?…

– Mais, dit Pardaillan, pour un de vos serviteurs… je vous l’ai dit.

– Ainsi, reprit lentement Fausta, ce cheval n’était pas pour vous?…

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