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– Voilà donc, dit amèrement Maurevert, à quoi auront abouti dix ans de bons services. Je suis obligé de fuir comme un vrai félon, comme un traître!

– Je me charge de ta rentrée en grâce, dit Maineville avec vivacité. Je prouverai ton innocence. Et le danger écarté, tu reviendras. Est-ce dit?… Pars-tu?…

– Il le faut bien, mort du diable!

– C’est bien. Dans vingt minutes, tu as les deux cents pistoles.

– Cent me suffisent. Je n’irai pas loin. J’irai… tiens: j’irai à Chambord, et je t’attendrai là.

– À merveille, dit Maineville qui s’éloigna aussitôt.

Maurevert s’habilla aussitôt, serra précieusement sur lui divers papiers et notamment le bon de cinq cent mille livres payable le lendemain de la mort de Guise. Bientôt Maineville reparut. Il apportait les deux cents pistoles. Maurevert en prit cent. Les deux amis s’embrassèrent, puis descendirent ensemble.

– As-tu le mot de passe pour te faire ouvrir la porte? demanda Maineville.

– Non… je ne me souviens même pas de ceux que tu me donnas dans la matinée.

– Catherine et Coutras. Et maintenant, adieu. Si par hasard il t’arrivait un accident avant d’atteindre la porte, songe que tu ne m’as pas vu…

Là-dessus, Maineville jeta un regard inquiet dans la rue pleine de ténèbres, et ayant serré une dernière fois la main de Maurevert, s’éloigna rapidement en se glissant le long des murailles.

Maurevert demeura immobile jusqu’à ce qu’il fût bien sûr que son ami s’était réellement éloigné. Alors, à son tour il se mit en route. Seulement, ce ne fut pas vers les portes de la ville qu’il se dirigea, mais vers le château. Il n’avait pas fait dix pas qu’il se frappa le front et revint en grommelant:

– Imbécile! si je laisse mon cheval, Maineville saura que je ne suis pas parti. Et s’il va demander demain matin si quelqu’un a franchi la porte pendant la nuit?

Il sella et brida son cheval, sortit, et marcha à pied jusqu’au château, en traînant la bête par la bride. Un quart d’heure plus tard, il se trouvait dans l’oratoire de la reine. Catherine de Médicis, réveillée sur son ordre (car maintenant on lui obéissait d’après un mot convenu), ne tarda pas à se montrer et l’interrogea du regard.

– Madame, dit Maurevert, je sais le jour et l’heure et comment la chose doit se faire.

Catherine eut un tremblement d’émotion. Pour elle aussi, la minute était terrible d’angoisse. Et pourtant il y en avait eu de plus terribles dans sa vie!

– Parlez, dit-elle, dévorant du regard celui qui portait une telle nouvelle.

– Avant tout, fit Maurevert, je prierai Votre Majesté de faire sortir de Blois dès cet instant même un officier quelconque qui devra monter le cheval que j’ai laissé dans la cour carrée et se couvrir de ce manteau. Il est essentiel pour moi que cet homme, quel qu’il soit, parte bientôt.

– Larchant! appela la reine.

Le capitaine entra, tandis que Maurevert se rejetait dans un coin d’ombre.

– Larchant, dit Catherine, j’apprends qu’il y a des rassemblements de huguenots du côté de Tours. Envoyez à l’instant même quelqu’un de sûr pour voir ce qu’il en est et surveiller le pays une bonne huitaine. Votre messager trouvera un cheval tout sellé dans la cour carrée… et voici un manteau pour lui… Que dans cinq minutes il soit parti.

Larchant prit le manteau jeté sur un fauteuil et sortit passivement, sans un mot.

– Maintenant, reprit Maurevert, maintenant que je sors de Blois et que je fuis, il faut que Votre Majesté m’assure pour quelques jours l’hospitalité dans le château.

– Ruggieri! appela la reine, décidée à donner entière satisfaction à Maurevert.

Une minute s’écoula, et déjà Catherine fronçait le sourcil lorsque l’astrologue parut en disant:

– On vient de m’éveiller, et j’accours, Majesté.

En effet, une fois pour toutes, la reine avait donné ordre que Ruggieri fût aussitôt appelé dès qu’il survenait un messager pour elle, jour ou nuit.

– Ruggieri, dit-elle, où es-tu logé?

– Mais, fit l’astrologue étonné, dans les combles, c’est-à-dire le plus loin possible de la terre et le plus près possible des étoiles.

– Es-tu souvent espionné là-haut? Ruggieri sourit:

– Nul n’y vient qu’en tremblant; nul n’y vient s’il n’y est forcé. Vous savez que je passe pour un esprit malfaisant, capable de jeter un mauvais sort.

– En effet, dit Catherine avec conviction, ces pauvres ignorants ne peuvent savoir quelle haute utilité on peut tirer de la fréquentation d’Haniel, Haciel, Élubel et Asmodel [15] … Mon bon Ruggieri, tu cacheras ce gentilhomme dans tes appartements et il y sera mieux à l’abri de la curiosité que dans l’appartement du roi.

Ruggieri fit un signe pour dire qu’il avait compris. À ce moment la reine pâlit et s’affaissa dans un fauteuil. Ses yeux se révulsèrent. Un tremblement mortel agita ses mains. Ruggieri s’élança vers elle, sortit vivement un flacon de son aumônière et laissa tomber quelques gouttes de son contenu sur les lèvres de Catherine. Bientôt, celle-ci respira plus librement.

– Tu vois! fit-elle avec un morne désespoir, c’est la fin qui approche…

Maurevert contemplait cette scène avec une sombre curiosité. Ce mal qui saisissait la vieille reine, juste à ce moment où d’effroyables tragédies étaient dans l’air, où sur la ville de Blois endormie parmi les brouillards les fantômes de meurtre et les génies de bataille éployaient leurs ailes silencieuses, cette scène imprévue était faite pour frapper.

La reine, peu à peu, revenait à elle et reprenait cette énergie de vitalité qui étonnait chez cette femme aussi usée par plus d’un demi-siècle de luttes terribles, renouvelées chaque jour avec, de distance en distance, des coups de tonnerre, comme la mort d’Henri II, la Saint-Barthélémy, la mort de Charles IX, la fuite d’Henri III…

– Ruggieri, dit-elle, est-ce que je vais mourir? Dis-le sans crainte…

– Non! fit l’astrologue. Non, madame, rassurez-vous. La mort n’est pas encore dans ce château…

– As-tu consulté les astres, comme je t’avais prié de le faire?

– Je vous affirme que vous n’êtes pas à la fin, dit Ruggieri. Votre horoscope est formel là-dessus.

– Je te crois, reprit la reine, qui sentait la vie lui revenir. Ce n’est encore qu’une alerte. Mais je suis bien faible. Ce cordial que tu devais me composer et pour lequel tu m’as demandé la septième pierre de mon talisman?

– Vous l’aurez demain, ma reine, demain à la première heure.

Catherine se tourna alors vers Maurevert, qui pendant toute cette scène était demeuré immobile et silencieux.

– Eh bien, monsieur, dit-elle, vous pouvez parler maintenant…

Maurevert commença son rapport qui dura une heure environ et que Catherine écouta la tête dans les deux mains, sans donner le moindre signe d’étonnement ou d’émotion. Quand Maurevert se tut, elle releva lentement la tête et dit:

– Ruggieri, es-tu sûr que je puis vivre encore jusqu’au 23 décembre?

– Je jure à Votre Majesté que cette année-ci mourra avant elle, dit l’astrologue.

– Bon! fit-elle avec un pâle sourire, tu me donnes huit jours de plus que je ne demandais… Allez, monsieur de Maurevert, suivez Ruggieri. Vous serez bien caché là où il vous mettra, et vous y resterez autant que vous croirez devoir le faire. Quand vous vous en irez, ne partez pas sans me revoir.

La reine rentra dans sa chambre et se remit au lit avec les premiers symptômes de la fièvre. Maurevert suivit Ruggieri qui lui fit monter des escaliers interminables et parvint enfin dans les combles. L’astrologue conduisit son compagnon jusqu’à une chambre fort spacieuse et fort bien meublée.

– On vous apportera vos repas ici, dit-il. Voici sur ce rayon des livres, dans cette armoire quelques flacons de bon vin. Le jour, vous aurez encore pour vous distraire cette fenêtre d’où l’on voit la Loire et le Cosson, les bois de Chaumont et Riessy et la forêt de Boulogne. Mais faites attention que qui regarde peut être regardé…

Maurevert remercia son hôte, l’assura que les paysages le laissaient indifférent, qu’il ne toucherait pas aux livres, et qu’il se contenterait de tenir compagnie aux flacons de bon vin. C’est ainsi que Maurevert fut installé dans l’appartement de Ruggieri.

Le lendemain, l’astrologue descendit pour prendre des nouvelles de la reine, qui ne se ressentait plus, en apparence du moins, de sa crise nocturne. En remontant chez lui, Ruggieri rencontra Crillon qui l’aborda poliment, le salua, et lui dit:

– Monsieur le nécroman, vous souvient-il, soit dit sans vous les reprocher, de quelques menus services que je fus heureux de vous rendre en diverses occasions?…

[15] Haniel, Élubel et Asmodel: personnalités diaboliques qui figurent dans le livre de Tobie comme démons des plaisirs impurs.


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