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Crillon demeura pensif quelques minutes.

– Voilà donc, reprit-il tout à coup, pourquoi vous voulez être présenté au roi?

– Fi! monsieur… je ne suis pas un prévôt pour aller raconter à Sa Majesté ce que j’ai pu entendre. M. de Guise veut tuer le roi. C’est son affaire… Et cela ne me regarde pas. Mais ce qui me regarde, c’est que je ne veux pas que le roi soit tué, et c’est pourquoi j’interviens…

– Je ne comprends pas, dit Crillon.

– Vous comprendrez sûrement un jour ou l’autre. L’essentiel est ici: croyez-vous qu’on veut tuer le roi?

– Oui! Car je le savais.

– Croyez-vous que, de bonne foi, je ne veux pas qu’on le tue?…

– Oui, puisque vous le dites!

– Merci, capitaine. Eh bien, si vous êtes croyant sur ces deux points, le reste ira tout seul.

– Le reste?…

– Mais oui: je veux vous persuader simplement que je puis et que je dois sauver Sa Majesté, si toutefois vous m’y aidez… et vous ne pouvez m’aider que d’une seule manière: en me présentant… non pas au roi, comme je le disais, mais chez le roi…

– En me cachant ou sans me cacher, peu importe. Seulement, il est certain que si le duc de Guise ou quelqu’un des siens me voit rôder autour des appartements royaux, cela pourra peut-être contrarier mon projet…

Crillon, pensif, examinait avec une sorte d’émotion la physionomie paisible de cet homme qui lui parlait aussi simplement d’aussi redoutables circonstances.

– Savez-vous, dit-il enfin, que c’est bien grave ce que vous me demandez là?

– J’ai commencé par proclamer moi-même la gravité de la chose… ainsi!…

– Savez-vous qu’en somme je ne vous connais pas beaucoup?

– Oui, mais moi, je vous connais, et c’est l’essentiel… Voyons, qu’avez-vous sur la conscience? Parlez sans crainte de me vexer…

– Je vais vous dire une chose que je ne pense pas, dit Crillon: donc elle ne peut vous blesser, et j’aimerais autant me traiter moi-même de félon que de porter contre vous une accusation.

– Dites toujours, fit le chevalier en souriant.

– Eh bien, mon cher, vous auriez envie de tuer le roi que vous n’agiriez pas autrement.

– Dame… c’est bien possible. Il est certain que la volonté de tuer et la volonté de sauver peuvent se traduire par des gestes à peu près semblables. Donc, je comprends et approuve votre doute…

– Vraiment? s’écria le brave Crillon rayonnant.

– Pourquoi pas? Seulement je vous préviens que si vous ne m’introduisez pas au château, je serai forcé d’y entrer tout de même et malgré vous. Or, dans une embuscade de ce genre, j’eusse préféré vous avoir comme ami…

– Et aussi le suis-je, par le mortbœuf! Voyons. Je me fie à vous entièrement. Que voulez-vous?

– Entrer au château le jour et l’heure qui seront nécessaires. Y entrer secrètement, et être placé de telle sorte que pour arriver au roi, il faille d’abord me rencontrer.

– Je m’y engage sur ma parole, dit Crillon. Seulement, comment serai-je prévenu de ce jour et de cette heure?…

– Je vous enverrai quelqu’un de confiance.

Ces mots une fois prononcés, les deux convives parlèrent d’autre chose. Crillon comprenait que c’était une résolution suprême qui venait de se prendre et que ce qui se préparait, c’était un de ces actes qui changent le sort des États. Pardaillan, de son côté, ayant la parole de Crillon, se garda d’insister. Enfin, comme sept heures approchaient, Crillon se leva en disant:

– Voici le moment d’aller établir le service de nuit… Si, avant de recevoir la visite de votre homme de confiance, j’avais besoin de vous voir ou de vous parler?…

– Ici, mon cher capitaine. Je n’en bouge pas. J’y suis reclus comme un moine en cellule.

Les deux hommes se serrèrent une dernière fois la main en s’assurant de leur mutuelle estime. Lorsque Crillon fut parti, Jacques Clément entra.

– Vous avez entendu? demanda Pardaillan.

– Tout, dit Jacques Clément. Entendu et compris.

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