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– Ça, je n’en sais rien, mon ami…

– Pardaillan, qui a tué frère Timothée?…

– D’abord, êtes-vous bien sûr que le cadavre des fossés fût celui de ce digne moine?

– Parfaitement sûr, et vous-même, Pardaillan, l’avez reconnu, bien que vous n’ayez vu cet homme que peu d’instants…

– Oui, ce fut lui qui me conduisit à vous.

– Vous l’avez reconnu, n’est-ce pas?

– Ma foi… je n’en jurerais pas.

– Oui, mais moi, je l’ai parfaitement reconnu. C’était frère Timothée. Or, qui a eu intérêt à tuer frère Timothée? Et qu’est-ce qu’il venait faire à Blois?

– Eh! mort du diable, à quoi vous servirait de savoir cela! Frère Timothée est mort, qu’il aille en paix!

– Rien ne m’ôtera de l’idée, reprit Jacques Clément, que le frère portier courait après moi et avait des instructions à me donner. Qui sait si ce qui m’arrive aujourd’hui n’eût pas été évité si j’avais vu le moine avant sa mort…

– Puisque je vous dis que tout s’arrangera! fit Pardaillan avec un sourire.

– Tout peu s’arranger, en effet, dit Jacques Clément d’une voix morne, tout, excepté les désespoirs d’amour. Ah! si vous aviez vu de quel air de mépris elle m’a reçu!…

– La duchesse de Montpensier?

Jacques Clément ne parut pas avoir entendu. Il avait laissé tomber sa tête dans sa main et, le regard fixé sur le feu dont les reflets coloraient sa tête pâle, il songeait. Et, par moment, une sorte de contraction douloureuse venait donner à son visage une expression d’indicible souffrance. Ce fut d’une voix amère qu’il continua:

– On n’a plus besoin de moi, Pardaillan! J’ai hésité à frapper, et on me rejette comme une mauvaise gaine de cuir où on avait espéré trouver une bonne lame d’acier. Tout m’échappe donc à la fois: et l’amour et la vengeance…

– Je comprends que l’amour vous échappe, dit Pardaillan. D’après ce que vous m’avez raconté de votre visite, cette jolie diablesse que vous appelez un ange, vous a quelque peu malmené. Laissez-moi vous dire que vous n’y perdez pas grand-chose, si toutefois vous la perdez…

– Que voulez-vous dire? balbutia Jacques Clément.

– Que vous ne la perdez pas – malheureusement pour vous – qu’elle vous reviendra!…

– Oh! si cela était!… Si je pouvais revivre!… la revoir!… l’aimer encore!

– Et moi je vous dis que vous la reverrez, que vous l’aimerez, qu’elle vous aimera, enfin, bref, que vous connaîtrez jusqu’où peut aller l’humeur de la jolie duchesse. Mais à supposer que l’amour vous échappe, comme il vous plaît à dire, comment votre vengeance vous échappe-t-elle en même temps?…

– Ne vous ai-je pas raconté toute la scène à laquelle j’ai assisté? Henri III est condamné. Il va être frappé! Mais ce sera par un autre que moi. Et dès lors, que m’importe sa mort, si je ne puis me dresser devant la vieille Médicis et lui dire: «Vous avez tué ma mère, et moi je viens de vous poignarder au cœur en tuant votre fils…»

– Cher ami, répondit Pardaillan, sachez que ce soir, je reçois à dîner le brave Crillon.

– Oui, vous me l’avez déjà dit, et je crois entrevoir votre pensée. Vous voulez vous faire présenter au roi, et le prévenir de ce que les Guise trament contre lui…

– Allons! fit Pardaillan, que ce soit cela ou autre chose, prenez patience et espoir. Seulement il ne faut pas que Crillon nous voit ensemble. Vous aurez donc l’obligeance de vous retirer au plus tôt dans votre chambre, et d’y attendre que je vous y vienne chercher ou que je vous appelle.

Jacques Clément approuva d’un signe de tête. Les deux hommes déjeunèrent ensemble. Ou plutôt, Pardaillan mangea pour deux. Quant à Jacques Clément, il était plongé en des idées funèbres, et bientôt, selon ce qui avait été convenu, il se retira dans sa chambre.

Pardaillan s’assit près du feu et se mit à méditer profondément. Il prenait des notes sur un morceau de papier; il raturait; il recommençait. Quand enfin il eut fini ce singulier travail, il relut avec un sourire de complaisance et murmura:

– Je crois que ce ne sera pas trop mal ainsi.

Ce que Pardaillan venait de méditer avec tant d’attention, c’était le menu du dîner du soir. Il appela donc l’hôte et lui donna les instructions nécessaires pour que ce menu fût exécuté scrupuleusement. Aussi, lorsque Crillon apparut, la table était toute dressée et servie.

– Ah! ah! s’écria le brave Crillon, il paraît que vous me voulez traiter comme un prince.

– Non pas, dit Pardaillan, car alors je ne me fusse pas mis en frais… Mais dîner de prince ou de roi, ou de simple gourmand, il faut qu’il se mange. Asseyez-vous donc ici, mon cher sire, le dos au feu, et moi là, devant vous.

Crillon obéit en prenant la place que lui indiquait Pardaillan. Nous n’en suivrons pas les péripéties, nous contentant de noter l’entretien des deux convives. En effet, en même temps que Crillon, bon mangeur, bon buveur, attaquait les victuailles, Pardaillan attaquait son hôte par ces mots jetés froidement et tout à coup:

– À propos, messire, vous savez qu’on veut tuer le roi?…

Crillon, qui portait son verre à sa bouche, s’arrêta dans ce mouvement et considéra Pardaillan avec des yeux de stupeur et presque d’effroi.

– Bah! reprit le chevalier, on dirait que cela vous étonne, ce que je viens de vous dire…

– Cela ne m’étonne pas, mon digne ami; seulement, je dois vous prévenir que si on vous entend parler ainsi, et cette auberge est un nid d’espions, votre tête sera fort menacée…

– On ne nous entendra pas, dit Pardaillan qui sourit; je suis un vieux routier d’embuscades, et j’ai placé des sentinelles avancées; croyez-vous donc que sans de telles précautions, j’eusse proféré des paroles capables de compromettre un hôte?… Quant à moi, je ne crains rien…

Pardaillan parlait sincèrement. Il avait eu réellement le souci de ne pas compromettre Crillon. Mais il arriva que sa sincérité le servît, ainsi que cela arrive souvent, mieux qu’une ruse machiavélique. En effet Crillon, en vieux brave, s’indigna qu’on n’eût pris de précautions que pour lui.

– Mortbœuf, s’écria-t-il en vidant cette fois son verre de vin, croyez-vous donc que, par hasard, j’ai peur, moi?…

– Non, capitaine. On sait assez que vous n’avez pas peur. Sans quoi on ne vous appellerait pas le Brave Crillon. Je disais simplement que j’ai pris des mesures pour que nul ne puisse nous entendre, et ce parce que j’ai des choses fort graves à vous dire. Et la première, c’est celle-ci: on veut tuer le roi!

– Et comment le savez-vous? dit Crillon.

– Peu importe. Croyez-vous ce que je vous dis?…

– Certes!… Je ne le sais que trop, par la tête et le ventre!…

– Bon. Du moment que vous savez cela, je passe tout de suite à la deuxième chose grave que je voulais vous dire… chose plus grave peut-être que la première.

– Diable! Vous me faites frémir, dit Crillon. Et quelle est cette nouvelle plus grave que celle des complots qu’on fait pour la mort du roi?…

– La voici, dit Pardaillan: je ne veux pas que le roi soit tué…

Crillon considéra son hôte avec une stupéfaction grandissante… Dans l’unique occasion qu’il avait eue de parler au chevalier, en sortant de Paris, il lui avait entendu dire deux ou trois choses qui l’avaient étonné. Cette sorte d’étonnement continuait.

«Serait-il un peu fou?…»

Cette question que se posait le Brave Crillon devait se lire sans doute sur son visage, car le chevalier eut un sourire et reprit tranquillement:

– Il me semble pourtant que je n’ai dit jusqu’ici que des paroles très raisonnables; premièrement, qu’on veut tuer le roi; et secondement, que je ne veux pas, moi!

– Mais enfin, dit Crillon abasourdi, comment savez-vous qu’on veut tuer le roi?…

– Je vois qu’il faut satisfaire votre curiosité, car voilà la deuxième fois que vous me le demandez. Sachez donc que j’ai assisté à la dernière réunion des gens qui veulent tuer le roi…

– Qui sont ces gens? fit Crillon devenu pâle.

– Messire, si vous ne saviez pas leurs noms, je ne vous les dirais pas; mais comme vous les savez aussi bien que moi et qu’il s’agit seulement de vous prouver que je sais aussi, moi, parmi tant de noms, je vous en dirai un qui les résume: le duc de Guise…

– Et vous dites, reprit Crillon qui ne songeait plus ni à boire ni à manger, vous dites que ces gens se sont réunis?…

– Pour décider la mort du roi, oui!…

– Et que vous avez tout vu, tout entendu?…

– C’est uniquement pour cela que je vous ai cherché, mon cher monsieur de Crillon, et c’est aussi pour cela que je vous ai prié à dîner, outre le plaisir et l’honneur de vous avoir à ma table. Mais buvez donc… ou je croirai que vous trouvez le vin mauvais et mon dîner détestable.

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