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Et Judex, avec un mystérieux sourire, ajouta:

– Je suis tranquille… Un quart d’heure d’entretien, et peut-être même moins, suffira pour mener à bien mon entreprise.

– Songe que tu vas avoir affaire à des gens qui ne reculeront devant rien pour faire triompher leurs plans abominables.

– Je suis fixé.

– As-tu des armes?

– Aucune.

– Jacques… tu m’effraies!… Je me demande à quoi tu penses… de t’exposer ainsi… Ton amour pour Jacqueline t’aurait-il fait perdre la tête?…

– Je n’ai jamais été en aussi parfaite possession de moi-même.

– Prends au moins mon revolver.

– J’ai à ma disposition mieux que le plus perfectionné des brownings.

– Quoi donc?

– Ceci.

Tirant de sa poche un carnet de chèques, Jacques le montra à Roger en disant:

– Voici un argument auquel des bandits de l’espèce de Diana Monti et de Moralès n’ont pas l’habitude de résister. Notre immense fortune nous permet de négocier royalement la rançon de Favraut. Sois sûr que je le ramènerai avec moi… dût-il m’en coûter un million, et peut-être davantage…

– Prends garde! fit simplement Roger, qui savait très bien qu’il était inutile de heurter son frère… et que lorsque Judex avait pris une décision, rien au monde n’aurait pu l’en détourner.

Les deux frères échangèrent une chaleureuse poignée de main… et tandis que Roger, qui était loin de se sentir rassuré, regagnait la villa, Jacques gagnait le port d’un pas rapide.

Or… il y avait été devancé par Cocantin qui, presque aussitôt après le dîner, prétextant une légère migraine, avait demandé à ses hôtes la permission de se retirer… pour prendre un peu l’air avant de se coucher.

Après avoir fait pendant quelque temps les cent pas dans le parc, il s’était subrepticement glissé au-dehors par une petite porte, le cœur battant la charge à la pensée de la radieuse créature, de la splendide déesse – c’est ainsi qu’il l’appelait – avec laquelle il avait rendez-vous.

Jamais Cocantin… pourtant si inflammable… ne s’était senti si enflammé.

Toute la journée, la vision de la jolie baigneuse qui lui était apparue, telle Amphitrite sortant de l’onde, n’avait cessé de l’envelopper de son gracieux mirage.

– Je ne la croyais pas aussi belle! se disait-il. Quel charme… quelle ligne… quel chic… quel galbe… quelle séduction!… Et elle m’aime! Car, si elle ne m’aimait pas… elle n’aurait jamais consenti, cette adorable Daisy, à m’accorder aussi facilement, aussi rapidement… ce bienheureux… ce divin rendez-vous!

Songeant au buste de Napoléon, qu’au cours de ses déplacements il emportait toujours dans sa valise et qu’il avait installé à la place d’honneur dans la chambre qu’il occupait à la villa de Trémeuse, le détective se prit à murmurer:

– Je suis sûr que le Maître lui-même n’a pas éprouvé une émotion plus suave lors de sa première entrevue avec Joséphine…

Ce fut dans ces excellentes dispositions que l’excellent Prosper arriva sur la jetée… qui semblait alors complètement déserte.

– Elle n’est pas encore là! fit-il avec un léger désappointement.

Mais, tirant sa montre, il constata qu’il n’était que dix heures moins un quart…

Comme tous les vrais amoureux… il était en avance.

S’installant sur un banc… tout en prenant une attitude rêveuse, énamourée, le directeur de l’Agence Céléritas résolut d’attendre sa bien-aimée avec toute la patience dont il était capable…

Mais les minutes lui paraissaient d’une longueur d’éternité… et à mesure qu’approchait l’heure tant désirée il se sentait en proie aux alternatives les plus ardentes de joie et d’espérance, marquant chaque seconde de cette question qui, en l’absence de toute autre parole, s’était emparée de son cerveau:

– Viendra-t-elle… ne viendra-t-elle pas?

Mais bientôt, une exclamation de bonheur lui échappa… Un bruit de pas léger lui fit dresser l’oreille… Il regarda… Une silhouette féminine apparaissait là-bas… toute nimbée de lumière astrale… C’était elle… c’était Daisy!

– Faut-il qu’elle soit amoureuse! se dit Cocantin qui, frétillant et frémissant, se précipita vers sa conquête tout en la saluant de la banale et classique apostrophe: Comme c’est gentil à vous d’être venue!

Daisy Torp répliqua aimablement:

– Moi aussi, j’avais hâte de vous voir… mon cher Cocantin.

Et, avec cette franchise toute spontanée qu’ont parfois les amoureux, elle ajouta, en guise de profession de foi:

– Vous n’êtes pas joli, joli…

– Je n’ai aucune prétention!

– Mais vous êtes si bon garçon…

– On fait ce qu’on peut.

– J’aime beaucoup les bons garçons… The good fellows.

– Et moi, répéta Prosper très satisfait de cette déclaration si franche, laissez-moi vous dire que votre good fellow… vous trouve très jolie… jolie… jolie… et qu’il aime beaucoup les jolies filles…

– The pretty girls!

– Alors… ma petite pretty girl… venez…

Et passant son bras autour de la taille souple… ondoyante… de la jolie baigneuse, Cocantin lui dit:

– Daisy! décidément, tu m’affoles! Je t’aime… Donne-moi un baiser!…

Mais un bruit de pas malencontreux retentit au loin…

– Zut! un raseur! s’écria Prosper.

Et, entraînant l’Américaine du côté opposé de la jetée, il lui dit:

– Allons jusqu’à la tour du petit phare… Là, nous pourrons échanger les propos les plus tendres en contemplant la mer…

Daisy Torp ne se fait nullement prier.

Elle a toujours eu pour Cocantin, si bon, si galant et si affable, une de ces bonnes et cordiales amitiés qui durent parfois plus longtemps que les passions violentes… Et puis, elle aussi, c’est une très brave fille… d’un caractère indépendant… parfois même intrépide… et qui lui a valu beaucoup de sympathies.

Tous deux s’en vont d’un pas rapide vers la tour… continuer leur flirt sous le regard des étoiles, se confier leurs mutuelles impressions devant la Méditerranée qui, cette nuit, a des reflets d’un argent éclatant… contrastant étrangement avec les ténèbres bleutées qui forment au-dessus d’eux comme un voile fluide… plein de charme et de mystère.

Derrière eux, le bruit de pas s’est rapproché… sonore… martelant énergiquement les dalles de la jetée.

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