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– Où est-il enfermé?

– Dans un cachot pratiqué dans l’une des anciennes oubliettes du château…

– Qui le garde?

– Un homme dont nous répondons comme de nous-mêmes.

– Demain, vous me conduirez près de mon ennemi…, ordonnait impérieusement la fille des Orsini qui ajouta d’une voix rauque tandis que ses yeux s’agrandissaient en une sorte d’hallucination mystique: Puisque vous avez été au-dessous de votre tâche, je veux venger moi-même votre père.

Et comme, terrifiés, Jacques et Roger gardaient le silence, elle reprit:

– J’espère que vous ne me refuserez pas la chambre qui m’est réservée dans cet appartement.

Sans attendre la réponse de ses fils, elle gagna le vestibule et se dirigea d’un pas automatique vers la porte de la pièce qu’occupait Jacqueline.

Mais Jacques l’avait devancée.

– Ma mère, fit-il, je vous en supplie… n’entrez pas ici.

– Pourquoi…

– Il y a quelqu’un…

– Qui donc?…

– La fille de Favraut.

– Elle!… Comment tu as osé l’amener près de toi! Le mal est donc plus grand encore que je ne le pensais?

– Mère, laissez-nous vous expliquer!

– Je veux la voir!… exigeait la Corse. Se retournant vers les deux frères qui la considéraient muets et consternés, elle fit d’une voix stridente:

– Je suppose que vous n’avez pas l’intention de me faire violence.

Et, le visage contracté de haine, elle ouvrit délibérément la porte.

Mais elle s’arrêta aussitôt.

Agenouillés sur le bord de leur lit, Jeannot et le môme Réglisse, en chemise de nuit, les mains jointes, répétaient d’une voix claire et les yeux levés au ciel la prière que Jacqueline, penchée vers eux leur soufflait avec ferveur:

Donnez-nous aujourd’hui notre pain quotidien.

Pardonnez-nous nos offenses

Comme nous pardonnons

À ceux qui nous ont offensés.

Ce spectacle était si délicieusement simple, si poétiquement émouvant, que, pour la première fois depuis de longues années, la Corse implacable sentit comme un souffle de douceur passer sur son front brûlant de fièvre…

Lorsque, la prière terminée, Jacqueline aperçut en se retournant cette femme en grand deuil qui la fixait d’un air étrange… elle eut vers Vallières un regard d’interrogation qui semblait dire:

– Quelle est cette dame… et pourquoi me regarde-t-elle ainsi?

Mais la comtesse de Trémeuse qui, tout de suite, avait lu dans le cœur de Jacqueline, s’approchait d’elle en disant d’une voix que ses fils ne lui connaissaient plus, tant elle leur semblait être redevenue tout à coup humaine:

– Je suis… la sœur de M. Vallières… Je suis venue à Paris pour quelques jours… Pardonnez-moi d’être entrée dans cette chambre.

Comme Jacqueline allait lui répondre, brusquement, elle s’en fut en disant à ses deux fils qui l’avaient rejointe dans l’antichambre:

– Laissez-moi… j’ai besoin d’être seule.

Et, dans le bureau de Judex, elle demeura plongée dans une profonde rêverie.

À l’acuité étrange de son regard, aux tressaillements nerveux de ses lèvres… aux soupirs douloureux qui s’échappaient de sa poitrine, il était évident qu’un combat violent se livrait en elle.

Ces deux enfants adorables et cette jeune femme toute rayonnante de bonté pure et de noblesse féminine… que soudain elle trouvait priant pour ceux qui les avaient offensés… ces paroles de miséricorde transmises de cœur de martyre à ces cœurs innocents… Ce «pardonnez-nous nos offenses» tombé de ces lèvres de tout-petits… tout cela semblait l’avoir fortement émue.

L’ange de la pitié allait-il l’emporter sur le dieu de la vengeance?

Non sans doute…

Quelque vision funèbre, une tragique évocation des heures terribles, irréparables, avait dû surgir devant la comtesse. Ses traits un instant détendus exprimèrent une résolution frénétique… inébranlable… tandis que ces mots lui échappaient:

– Il faut qu’il meure, oui, il le faut! Je le veux. Et c’est moi qui le frapperai!…

Mais voilà que deux chérubins apparaissent soudain dans l’entrebâillement de la porte qui s’est ouverte sans bruit.

Embarrassés dans leurs longues chemises blanches, Jeannot et le môme Réglisse, envoyés par Jacqueline, Vallières et Roger qui sont restés dans l’antichambre, s’avancent sur la pointe de leurs pieds nus… vers la femme en noir… toujours prostrée dans sa méditation funèbre.

Jeannot interloqué s’arrête, mais le môme Réglisse, qui discrètement s’est effacé, l’encourage d’un geste énergique. Les bras tendus, l’enfant s’avance de nouveau:

– Madame, fait-il de sa jolie voix si câline et si tendre. Madame…

Julia Orsini redresse la tête.

En apercevant ce chérubin blond qui lui sourit… elle tressaille… Elle lutte encore, se défendant contre la pitié qui, de nouveau, l’envahit.

Mais Jeannot insiste:

– Madame, dit-il, vous ne voulez pas m’embrasser?

Oh! alors, devant cette apostrophe adorable, en face de cette innocence qui ne veut encore savoir qu’aimer… émue par ce regard divin de tendresse et de douceur, Mme de Trémeuse se sent tout à coup transformée.

Comme la veille, deux larmes coulent sur ses joues… Ce ne sont point des larmes de colère… mais des larmes de bonté.

– Viens, mon petit, s’écrie-t-elle en attirant contre elle le fils de Jacqueline.

Le petit enfant a remporté une victoire qui eût semblé impossible au bon Dieu!

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