Литмир - Электронная Библиотека
Содержание  
A
A

Glenarvan prit congé de l’inspecteur de la banque, après l’avoir remercié de sa complaisance, dont il avait largement usé. Puis, la visite des placers fut reprise.

Paganel, si détaché qu’il fût des biens de ce monde, ne faisait pas un pas sans fouiller du regard ce sol. C’était plus fort que lui, et les plaisanteries de ses compagnons n’y pouvaient rien.

À chaque instant, il se baissait, ramassait un caillou, un morceau de gangue, des débris de quartz; il les examinait avec attention et les rejetait bientôt avec mépris. Ce manège dura pendant toute la promenade.

«Ah çà! Paganel, lui demanda le major, est-ce que vous avez perdu quelque chose?

– Sans doute, répondit Paganel, on a toujours perdu ce qu’on n’a pas trouvé, dans ce pays d’or et de pierres précieuses. Je ne sais pas pourquoi j’aimerais à emporter une pépite pesant quelques onces, ou même une vingtaine de livres, pas davantage.

– Et qu’en feriez-vous, mon digne ami? dit Glenarvan.

– Oh! je ne serais pas embarrassé, répondit Paganel. J’en ferais hommage à mon pays! Je la déposerais à la banque de France…

– Qui l’accepterait?

– Sans doute, sous la forme d’obligations de chemins de fer!»

On félicita Paganel sur la façon dont il entendait offrir sa pépite «à son pays», et lady Helena lui souhaita de trouver le plus gros nugget du monde.

Tout en plaisantant, les voyageurs parcoururent la plus grande partie des terrains exploités. Partout le travail se faisait régulièrement, mécaniquement, mais sans animation.

Après deux heures de promenade, Paganel avisa une auberge fort décente, où il proposa de s’asseoir en attendant l’heure de rejoindre le chariot. Lady Helena y consentit, et comme l’auberge ne va pas sans rafraîchissements, Paganel demanda à l’aubergiste de servir quelque boisson du pays.

On apporta un «nobler» pour chaque personne. Or, le nobler, c’est tout bonnement le grog, mais le grog retourné. Au lieu de mettre un petit verre d’eau-de-vie dans un grand verre d’eau, on met un petit verre d’eau dans un grand verre d’eau-de-vie, on sucre et l’on boit. C’était un peu trop australien, et, au grand étonnement de l’aubergiste, le nobler, rafraîchi d’une grande carafe d’eau, redevint le grog britannique.

Puis, on causa mine et mineurs. C’était le cas ou jamais.

Paganel, très satisfait de ce qu’il venait de voir, avoua cependant que ce devait être plus curieux autrefois, pendant les premières années d’exploitation du mont Alexandre.

«La terre, dit-il, était alors criblée de trous et envahie par des légions de fourmis travailleuses, et quelles fourmis! Tous les émigrants en avaient l’ardeur, mais non la prévoyance! L’or s’en allait en folies. On le buvait, on le jouait, et cette auberge où nous sommes était un «enfer», comme on disait alors. Les coups de dés amenaient les coups de couteau. La police n’y pouvait rien, et maintes fois le gouverneur de la colonie fut obligé de marcher avec des troupes régulières contre les mineurs révoltés. Cependant, il parvint à les mettre à la raison, il imposa un droit de patente à chaque exploitant, il le fit percevoir non sans peine, et, en somme, les désordres furent ici moins grands qu’en Californie.

– Ce métier de mineur, demanda lady Helena, tout individu peut donc l’exercer?

– Oui, madame. Il n’est pas nécessaire d’être bachelier pour cela. De bons bras suffisent. Les aventuriers, chassés par la misère, arrivaient aux mines sans argent pour la plupart, les riches avec une pioche, les pauvres avec un couteau, et tous apportaient dans ce travail une rage qu’ils n’eussent pas mise à un métier d’honnête homme. C’était un singulier aspect que celui de ces terrains aurifères! Le sol était couvert de tentes, de prélarts, de cahutes, de baraques en terre, en planche, en feuillage. Au milieu, dominait la marquise du gouvernement, ornée du pavillon britannique, les tentes en coutil bleu de ses agents, et les établissements des changeurs, des marchands d’or, des trafiquants, qui spéculaient sur cet ensemble de richesse et de pauvreté. Ceux-là se sont enrichis à coup sûr. Il fallait voir ces diggers à longue barbe et en chemise de laine rouge, vivant dans l’eau et la boue. L’air était rempli du bruit continu des pioches, et d’émanations fétides provenant des carcasses d’animaux qui pourrissaient sur le sol. Une poussière étouffante enveloppait comme un nuage ces malheureux qui fournissaient à la mortalité une moyenne excessive, et certainement, dans un pays moins salubre, cette population eût été décimée par le typhus. Et encore, si tous ces aventuriers avaient réussi! Mais tant de misère n’était pas compensée, et, à bien compter, on verrait que, pour un mineur qui s’est enrichi, cent, deux cent mille peut-être, sont morts pauvres et désespérés.

– Pourriez-vous nous dire, Paganel, demanda Glenarvan, comment on procédait à l’extraction de l’or?

– Rien n’était plus simple, répondit Paganel. Les premiers mineurs faisaient le métier d’orpailleurs, tel qu’il est encore pratiqué dans quelques parties des Cévennes, en France. Aujourd’hui les compagnies procèdent autrement; elles remontent à la source même, au filon qui produit les lamelles, les paillettes et les pépites. Mais les orpailleurs se contentaient de laver les sables aurifères, voilà tout. Ils creusaient le sol, ils recueillaient les couches de terre qui leur semblaient productives, et ils les traitaient par l’eau pour en séparer le minerai précieux. Ce lavage s’opérait au moyen d’un instrument d’origine américaine, appelé «craddle» ou berceau. C’était une boîte longue de cinq à six pieds, une sorte de bière ouverte et divisée en deux compartiments. Le premier était muni d’un crible grossier, superposé à d’autres cribles à mailles plus serrées; le second était rétréci à sa partie inférieure. On mettait le sable sur le crible à une extrémité, on y versait de l’eau, et de la main on agitait, ou plutôt on berçait l’instrument. Les pierres restaient dans le premier crible, le minerai et le sable fin dans les autres, suivant leur grosseur, et la terre délayée s’en allait avec l’eau par l’extrémité inférieure. Voilà quelle était la machine généralement usitée.

– Mais encore fallait-il l’avoir, dit John Mangles.

– On l’achetait aux mineurs enrichis ou ruinés, suivant le cas, répondit Paganel, ou l’on s’en passait.

– Et comment la remplaçait-on? demanda Mary Grant.

– Par un plat, ma chère Mary, un simple plat de fer; on vannait la terre comme on vanne le blé; seulement, au lieu de grains de froment, on recueillait quelquefois des grains d’or. Pendant la première année plus d’un mineur a fait fortune sans autres frais. Voyez-vous, mes amis, c’était le bon temps, bien que les bottes valussent cent cinquante francs la paire, et qu’on payât dix shillings un verre de limonade! Les premiers arrivés ont toujours raison. L’or était partout, en abondance, à la surface du sol; les ruisseaux coulaient sur un lit de métal; on en trouvait jusque dans les rues de Melbourne; on macadamisait avec de la poudre d’or.

Aussi, du 26 janvier au 24 février 1852, le précieux métal transporté du mont Alexandre à Melbourne sous l’escorte du gouvernement s’est élevé à huit millions deux cent trente-huit mille sept cent cinquante francs. Cela fait une moyenne de cent soixante-quatre mille sept cent vingt-cinq francs par jour.

99
{"b":"125256","o":1}