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D’ailleurs, les placers s’épuisaient déjà. À force de les fouiller, on en trouvait le fond. Et comment n’eût-on pas tari ces trésors accumulés par la nature, puisque, de 1852 à 1858, les mineurs ont arraché au sol de Victoria soixante-trois millions cent sept mille quatre cent soixante-dix-huit livres sterling? Les émigrants ont donc diminué dans une proportion notable, et ils se sont jetés sur des contrées vierges encore. Aussi, les «gold fields», les champs d’or, nouvellement découverts à Otago et à Marlborough dans la Nouvelle Zélande, sont-ils actuellement percés à jour par des milliers de termites à deux pieds sans plumes.

Vers onze heures, on arriva au centre des exploitations. Là, s’élevait une véritable ville, avec usines, maison de banque, église, caserne, cottage et bureaux de journal. Les hôtels, les fermes, les villas, n’y manquaient point. Il y avait même un théâtre à dix shillings la place, et très suivi. On jouait avec un grand succès une pièce du cru intitulée Francis Obadiag, ou l’heureux digger. Le héros, au dénouement, donnait le dernier coup de pioche du désespoir, et trouvait un «nugget» d’un poids invraisemblable.

Glenarvan, curieux de visiter cette vaste exploitation du mont Alexandre, laissa le chariot marcher en avant sous la conduite d’Ayrton et de Mulrady. Il devait le rejoindre quelques heures plus tard. Paganel fut enchanté de cette détermination, et suivant son habitude, il se fit le guide et le cicerone de la petite troupe.

D’après son conseil, on se dirigea vers la banque. Les rues étaient larges, macadamisées et arrosées soigneusement.

De gigantesques affiches des golden company (limited), des digger’s general office, des nugget’s union, sollicitaient le regard.

L’association des bras et des capitaux s’était substituée à l’action isolée du mineur. Partout on entendait fonctionner les machines qui lavaient les sables et pulvérisaient le quartz précieux.

Au delà des habitations s’étendaient les placers, c’est-à-dire de vastes étendues de terrains livrés à l’exploitation. Là piochaient les mineurs engagés pour le compte des compagnies et fortement rétribués par elles.

L’œil n’aurait pu compter ces trous qui criblaient le sol. Le fer des bêches étincelait au soleil et jetait une incessante irradiation d’éclairs. Il y avait parmi ces travailleurs des types de toutes nations. Ils ne se querellaient point, et ils accomplissaient silencieusement leur tâche, en gens salariés.

«Il ne faudrait pas croire, cependant, dit Paganel, qu’il n’y a plus sur le sol australien un de ces fiévreux chercheurs qui viennent tenter la fortune au jeu des mines. Je sais bien que la plupart louent leurs bras aux compagnies, et il le faut, puisque les terrains aurifères sont tous vendus ou affermés par le gouvernement. Mais à celui qui n’a rien, qui ne peut ni louer ni acheter, il reste encore une chance de s’enrichir.

– Laquelle? demanda lady Helena.

– La chance d’exercer le «jumping», répondit Paganel. Ainsi, nous autres, qui n’avons aucun droit sur ces placers, nous pourrions cependant, – avec beaucoup de bonheur, s’entend, – faire fortune.

– Mais comment? demanda le major.

– Par le jumping, ainsi que j’ai eu l’honneur de vous le dire.

– Qu’est-ce que le jumping? Redemanda le major.

– C’est une convention admise entre les mineurs, qui amène souvent des violences et des désordres, mais que les autorités n’ont jamais pu abolir.

– Allez donc, Paganel, dit Mac Nabbs, vous nous mettez l’eau à la bouche.

– Eh bien, il est admis que toute terre du centre d’exploitation à laquelle on n’a pas travaillé pendant vingt-quatre heures, les grandes fêtes exceptées, tombe dans le domaine public. Quiconque s’en empare peut la creuser et s’enrichir, si le ciel lui vient en aide. Ainsi, Robert, mon garçon, tâche de découvrir un de ces trous délaissés, et il est à toi!

– Monsieur Paganel, dit Mary Grant, ne donnez pas à mon frère de semblables idées.

– Je plaisante, ma chère miss, répondit Paganel, et Robert le sait bien. Lui, mineur! Jamais! Creuser la terre, la retourner, la cultiver, puis l’ensemencer et lui demander toute une moisson pour ses peines, bon. Mais la fouiller à la façon des taupes, en aveugle comme elles, pour lui arracher un peu d’or, c’est un triste métier, et il faut être abandonné de Dieu et des hommes pour le faire!»

Après avoir visité le principal emplacement des mines et foulé un terrain de transport, composé en grande partie de quartz, de schiste argileux et de sable provenant de la désagrégation des roches, les voyageurs arrivèrent à la banque.

C’était un vaste édifice, portant à son faîte le pavillon national. Lord Glenarvan fut reçu par l’inspecteur général, qui fit les honneurs de son établissement.

C’est là que les compagnies déposent contre un reçu l’or arraché aux entrailles du sol. Il y avait loin du temps où le mineur des premiers jours était exploité par les marchands de la colonie. Ceux-ci lui payaient aux placers cinquante-trois shillings l’once qu’ils revendaient soixante-cinq à Melbourne! Le marchand, il est vrai, courait les risques du transport, et comme les spéculateurs de grande route pullulaient, l’escorte n’arrivait pas toujours à destination.

De curieux échantillons d’or furent montrés aux visiteurs, et l’inspecteur leur donna d’intéressants détails sur les divers modes d’exploitation de ce métal.

On le rencontre généralement sous deux formes, l’or roulé et l’or désagrégé. Il se trouve à l’état de minerai, mélangé avec les terres d’alluvion, ou renfermé dans sa gangue de quartz. Aussi, pour l’extraire, procède-t-on suivant la nature du terrain, par les fouilles de surface ou les fouilles de profondeur.

Quand c’est de l’or roulé, il gît au fond des torrents, des vallées et des ravins, étagé suivant sa grosseur, les grains d’abord, puis les lamelles, et enfin les paillettes.

Si c’est au contraire de l’or désagrégé, dont la gangue a été décomposée par l’action de l’air, il est concentré sur place, réuni en tas, et forme ce que les mineurs appellent des «pochettes». Il y a de ces pochettes qui renferment une fortune.

Au mont Alexandre, l’or se recueille plus spécialement dans les couches argileuses et dans l’interstice des roches ardoisiennes. Là, sont les nids à pépites; là, le mineur heureux a souvent mis la main sur le gros lot des placers.

Les visiteurs, après avoir examiné les divers spécimens d’or, parcoururent le musée minéralogique de la banque. Ils virent, étiquetés et classés, tous les produits dont est formé le sol australien. L’or ne fait pas sa seule richesse, et il peut passer à juste titre pour un vaste écrin où la nature renferme ses bijoux précieux. Sous les vitrines étincelaient la topaze blanche, rivale des topazes brésiliennes, le grenat almadin, l’épidote, sorte de silicate d’un beau vert, le rubis balais, représenté par des spinelles écarlates et par une variété rose de la plus grande beauté, des saphirs bleu clair et bleu foncé, tels que le corindon, et aussi recherchés que celui du Malabar ou du Tibet, des rutiles brillants, et enfin un petit cristal de diamant qui fut trouvé sur les bords du Turon. Rien ne manquait à cette resplendissante collection de pierres fines, et il ne fallait pas aller chercher loin l’or nécessaire à les enchâsser. À moins de les vouloir toutes montées, on ne pouvait en demander davantage.

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