Dans le troisième, le plus petit, des gemmes: diamants, perles, saphirs, rubis, émeraudes, topazes… un étincellement… un éblouissement… un vertige!
La gorge sèche, les tempes mouillées, les yeux exorbités, l’esprit chaviré, Jehan contemplait les fabuleuses richesses entassées dans ce coffre de fer, tout simple. Et il demeurait sans mouvement, pétrifié, n’osant en croire ses yeux. Et une pensée unique fulgurait dans son esprit:
– Tout cela est à moi! si je veux! Allons, Jehan, voilà la fortune! tends quelques-unes de ces pierres seulement et te voilà riche! qui s’apercevra que le tas a été entamé?… qui saura jamais?…
Jehan le Brave avait trop présumé de ses forces. Il faut reconnaître que la tentation était par trop forte. Fatalement, il devait y succomber, et il y succomba.
En un grondement qui n’avait plus rien d’humain, tout haut, comme pour mieux s’exciter, il répéta:
– Qui le saura?… Quoi, je n’ai qu’à allonger la main pour saisir le bonheur avec la fortune et je serais assez fou pour ne pas le faire?… Pourquoi?… pour des sornettes, des mots creux! Allons donc!… À tous les diables les scrupules!…
Et, en un geste de folie, il plongea la main dans le compartiment des pierres précieuses et puisa à pleine poignée… Tant que la main en pouvait contenir.
Au-dessus de lui, l’étincelante physionomie de Pardaillan prit une expression indéfinissable. Puis, brusquement, ses traits se figèrent, son regard se durcit, toute son attitude se fit de glace. Il se redressa lentement et enjamba le trou pour se laisser tomber et prendre le voleur sur le fait.
LXVII
Il nous faut maintenant revenir à Saint-Julien, l’espion de la Galigaï. Nous n’oublions pas que nous avons promis de le montrer à l’œuvre, dans l’exécution des ordres mystérieux de la terrible épouse du Florentin, aux mains de laquelle il n’est qu’un instrument docile.
Ce même matin, qui était un mardi, à peu près vers le même moment que Jehan le Brave se décidait à s’assurer si le trésor existait réellement, c’est-à-dire de grand matin, Saint-Julien se dirigeait vers la carrière abandonnée par où on pénétrait dans les galeries souterraines qui aboutissaient au gibet.
Il était escorté de quatre individus à face patibulaire, enveloppés dans de vastes manteaux que relevaient les extrémités de formidables rapières. Parvenu à la carrière, Saint-Julien s’arrêta pour y entrer. Un homme se dressa soudain à son côté.
– Eh bien? demanda Saint-Julien à voix basse.
– L’homme est entré dans la carrière et il n’en est pas sorti. Maintenant il peut sortir… tout est prêt.
– Nous le tenons! gronda Saint-Julien dans une explosion de joie furieuse.
Il fit un signe aux quatre estafiers et, à grands pas, il se mit à grimper les flancs escarpés de la montagne.
Les quatre malandrins qui avaient des instructions préalables, suivirent l’homme qui venait de parler. Ils s’évanouirent, tous les cinq, comme par enchantement, terrés, tels de monstrueux cloportes, chacun dans un trou, aux alentours de l’entrée de la carrière.
Saint-Julien s’en fut droit à l’abbaye. Il n’y était sans doute pas attendu, car, malgré l’heure matinale, il fut admis séance tenante auprès de l’abbesse, Marie de Beauvilliers.
Lorsqu’il en sortit, il était en compagnie du bailli de l’abbesse, lequel était escorté de six gaillards, salade en tête, épée au côté, pique à la main. Et cela représentait tout à la fois, la justice, la police et la force armée des religieuses.
Saint-Julien laissa le bailli et ses six gardes à la chapelle, au bas de la butte. En revanche, il y trouva une dizaine de chenapans en tout pareils à ceux qui étaient restés à l’affût devant l’entrée de la carrière.
C’étaient ses hommes à lui, spécialement engagés pour cette expédition. Des hommes que ne connaissait pas Concini, cela va sans dire.
Il emmena sa troupe jusqu’à la maison de Perrette la Jolie et posta ses hommes en différents endroits qu’il avait préalablement repérés. Ces préparatifs étaient terminés avant l’heure de l’ouverture des portes de la ville.
Lorsque ces portes s’ouvrirent, Gringaille et Escargasse sortirent par la porte Montmartre, voisine de leur taudis. Ils allaient garder les deux jeunes filles, ainsi qu’ils faisaient chaque jour.
Dans le faubourg, parvenu à hauteur de la Grange-Batelière, Escargasse se sépara de Gringaille. À travers des terrains vagues et des marais, il se dirigea vers l’enclos de cette Grange-Batelière qui se trouvait un peu avant et sur les derrières de la maison de Perrette, laquelle avait de ce côté une porte dérobée.
L’égout coulait à découvert le long du mur de cette maison.
Des planches jetées de loin en loin sur cet égout établissaient la communication entre les terrains et les maisons situées au pied de la butte.
Escargasse venait garder la porte de derrière, par où Jehan et Pardaillan pénétraient quand ils venaient voir les deux jeunes filles. Gringaille allait garder celle de devant.
Escargasse allait dépasser le mur de clôture de la Grange-Batelière. À ce moment, il trébucha dans un obstacle dissimulé dans l’herbe. Il s’étala tout du long, non sans proférer force jurons. Il n’eut pas le temps de se relever. Quatre gaillards bondirent de derrière le mur et tombèrent sur lui comme la foudre. En un clin d’œil, il fut saisi, ficelé des pieds à la tête, bâillonné, emporté au pas de course et déposé dans un réduit obscur attenant à la chapelle du Martyr.
Dix minutes plus tard, comme il se livrait à des réflexions qui n’étaient pas précisément folâtres, on jeta près de lui, sans ménagement, un autre colis humain, aussi convenablement ligoté et bâillonné que lui-même. C’était Gringaille qui avait eu le même sort que son compagnon.
Saint-Julien, infatigable, après le double enlèvement si dextrement et si heureusement réussi, reprit ses jambes à son cou, laissant la maison étroitement assiégée par ses dix gaillards invisibles. Il retourna à la carrière.
Le même homme auquel il avait eu déjà affaire se dressa de nouveau devant lui. Comme la première fois, Saint-Julien interrogea:
– Eh bien?
– Rien encore, répondit laconiquement l’homme.
– Diable! gronda Saint-Julien, est-ce qu’il nous échapperait?
– Patience, mon gentilhomme, il faudra bien qu’il sorte!
– Êtes-vous sûr qu’il n’y a pas d’autre issue à cette carrière?
– Dame, depuis des années et des années que les travaux sont abandonnés, personne aujourd’hui n’est à même de dire jusqu’où et dans quelle direction les galeries souterraines ont été poussées. Les vieux qui y ont travaillé autrefois et qui pourraient nous renseigner sont tous morts. Cependant, je n’ai jamais entendu dire qu’il y eût une entrée autre que celle-ci.