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Et voici qu’au moment où le désordre régnait dans les groupes désemparés, une sorte de hurlement sauvage qui semblait jaillir des profondeurs de la terre, se fit entendre, soudain. Et cela, comme la voix jeune et vibrante là-haut, cela mugissait.

– Jehan le Brave, hardi!… Jehan le Brave, à la rescousse!…

Et la porte du gibet, s’ouvrant brusquement toute grande, trois êtres sans nom, trois diables dépenaillés, déguenillés, sordides, échevelés, fantastiques, semblables à une apparition de cauchemar, se ruaient, bondissaient, fonçaient, la rapière au poing, frappant d’estoc et de taille, hurlant à pleine gueule l’effrayant cri de bataille, achevant de jeter le désordre et la terreur parmi les assaillants, qui battirent précipitamment en retraite.

Et Jehan savait sans doute quels étaient ces diables d’enfer qui arrivaient si opportunément à son secours, car il avait sauté à terre, et, à leurs côtés, frappait à tour de bras, en criant:

– En avant!… Jehan le Brave, en avant!…

En un instant le gibet fut déblayé. Tous: Concini, gentilshommes, officiers, soldats et coupe-jarrets, tous s’étaient mis hors d’atteinte des quatre démons. Et cependant, vingt, trente corps, à droite, à gauche, dans le sang et la poussière, demeuraient étendus, immobiles à tout jamais.

Le capitaine était blême de fureur. Concini écumait. Roquetaille, Longval et Eynaus s’arrachaient les cheveux. Les soldats et les estafiers poussaient des jurons épouvantables.

Et là-bas, les quatre démons riaient d’un rire satanique, énorme, inextinguible.

Le capitaine s’était ressaisi… Un ordre bref… un rassemblement rapide, méthodique… un cliquetis d’armes… Un commandement sec:

– Feu!

Et aussitôt un jaillissement de flammes… un roulement de tonnerre… une rafale de plomb… un nuage de fumée… un silence lourd, angoissé.

Et tout à coup: le même quadruple éclat de rire diabolique… le même quadruple cri:

– Hardi! Jehan le Brave!

La fumée est dissipée… Tous regardent haletants.

Les quatre démons ont disparu… Et la porte du gibet est refermée.

XLVII

Jehan le Brave avait tout de suite reconnu ses trois bons compagnons: Carcagne, Escargasse et Gringaille. Il avait bondi à leur côté. Il avait foncé avec eux.

Le chemin déblayé, ils s’étaient arrêtés tous les quatre, d’un même mouvement. S’ils avaient continué de charger, ils eussent passé sans peine. Jehan y pensa un instant. Il se souvint à propos des chevaux. À quoi leur servirait de percer les lignes de l’ennemi?… Ils ne pourraient faire dix pas… les chevaux auraient tôt fait de les rattraper.

À regret, il dut renoncer à son idée. Mais Gringaille lui avait glissé quelques mots… Mais la griserie de la bataille s’était emparé de lui… Perdu, il l’était encore, malgré le secours inespéré qui lui était arrivé. Ils avaient mis une trentaine d’hommes hors de combat. C’était prodigieux… et ce n’était rien. Ils étaient encore plus de quatre-vingts qui leur barraient la route… et il pouvait leur arriver du renfort autant qu’il en faudrait.

– C’est la fin, songea Jehan, soit!… mais je veux partir dans une apothéose de feu et de sang!… Je veux une fin dont il sera parlé longtemps.

Ces réflexions, naturellement, avaient passé dans son esprit avec une foudroyante rapidité. Gringaille lui avait dit:

– Chef, nous pouvons soutenir un siège… Nous avons armes, munitions et provisions… Tout ce qu’il faut.

Ces paroles lui trottaient dans la tête. Savoir si Gringaille n’avait pas exagéré? Et s’il avait dit vrai?… Peut-être tout n’était pas dit encore. Pour savoir, c’était très simple: il n’avait qu’à aller y voir.

Il fit un signe. Ils se mirent en retraite à reculons, face à l’ennemi, plus terribles, plus menaçants peut-être que lorsqu’ils avaient chargé. Au bout de la place, les soldats se rassemblaient, préparaient les mousquets et les pistolets.

– Attention, murmura Jehan, ils vont tirer!…

– Compris!… – As pas peur!… – Va bien!… firent les trois en même temps.

Ils avaient compris en effet, et ils connaissaient la manœuvre. Le danger était effroyable. Ils risquaient leur peau. Et ils le savaient bien… Ils n’y songeaient pas. Ils étaient tout à la joie de l’avoir retrouvé et d’être arrivés si fort à propos.

Mais ils ne s’endormirent pas pour cela, et je vous réponds qu’ils n’avaient pas les yeux dans la poche. Ils ne perdaient pas un geste des soldats. Au moment où le commandement: «Feu!»… se fit entendre, au moment où les vingt détonations se confondirent en une seule et formidable détonation, ils furent tous les quatre à plat ventre, par terre.

Les balles passèrent en sifflant au-dessus d’eux et vinrent s’aplatir sur les murs du gibet. D’un bond, ils furent debout. Avant que la fumée ne fût dissipée, ils étaient sous le gibet, la porte poussée et verrouillée.

Sur la place, le capitaine constata que l’arquebusade avait manqué son but: les quatre rebelles avaient disparu. Séance tenante, il fit cerner le gibet et il s’accorda, ainsi qu’à ses hommes, un moment de répit. Il avait besoin de réfléchir.

Jamais, dans sa longue carrière de soldat, il n’avait vu événement aussi prodigieux: quatre hommes qui en tenaient cent vingt en échec et en mettaient trente hors de combat!… La stupeur, la fureur et l’admiration le transportaient tour à tour.

Le gibet étant gardé, toute tentative d’évasion impossible, il fit enlever les morts et les blessés. Il n’était pas pressé d’attaquer. Il était bien résolu à prendre les rebelles morts ou vifs, mais il voulait y sacrifier le moins de monde possible. Il trouvait que trente hommes hors de combat, c’était déjà beaucoup trop.

Jehan le Brave, lui, ne perdait pas son temps. Il commença par inspecter le caveau. Gringaille, Escargasse et Carcagne, autant par prudence que pour tuer le temps, avaient bouché avec des poutres la brèche par où ils étaient descendus. De ce côté-là maintenant, toute surprise était impossible. Les trous au ras du sol, par où se faufilaient les poules, furent bouchés à l’instant; les matériaux ne manquaient pas, heureusement. Quelques trous, des fentes, sur trois côtés, principalement sur le devant, furent laissés.

Ceci fait, il descendit dans la grotte. On lui montra triomphalement les armes, les munitions et les provisions. Il y avait une quinzaine d’arquebuses et autant de pistolets. Jehan laissa les armes blanches et s’empara des armes à feu… En un clin d’œil, elles furent chargées et montées dans le caveau. De la poudre et des balles suivirent… Il fallait bien recharger les armes au fur et à mesure.

À chaque trou, à chaque fissure, on glissa le canon d’une arquebuse. Ils pensaient bien que l’effort des assaillants se porterait sur la porte. Leur vigilance se concentra de préférence sur ce côté-là. Ils ne négligeaient pas les autres pour cela. Ils avaient trois côtés à garder. Celui où se dressait l’escalier était indemne. Le derrière, ensuite, était le moins endommagé: il n’avait que deux trous qui devinrent, comme les autres, des meurtrières.

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