Il ne voulait pas mourir. Du moins par son fait. Bertille était menacée, avait besoin de lui. Il n’avait pas le droit de s’abandonner; il devait se défendre comme il pourrait, jusqu’à ce qu’il tombât terrassé.
Il sauta au milieu du plateau. Il était temps. Il entendit le heurt sonore du fer contre le fer.
Debout, au centre du plateau, il respira fortement et fixa le monstre de fer, qui paraissait le guetter sournoisement, attendant l’attaque. Il savait qu’elle viendrait de là.
Des minutes effroyablement longues s’écoulèrent ainsi.
Le monstre demeurait replié, semblait-il, attendant pour bondir et l’écraser, la fatale seconde d’inattention.
Brusquement, il sentit le plateau s’ébranler sous ses pieds et se mettre à tourner en un mouvement de plus en plus précipité. Il faillit perdre l’équilibre. Il se rattrapa, Dieu sait comme, et se mit à courir. Et plus il courait, plus le mouvement de rotation s’accélérait, puisque c’était lui qui, maintenant, faisait tourner le diabolique plateau.
Il courait, mais il surveillait toujours le monstre.
Celui-ci semblait attendre que le plateau fût bien lancé. Lui aussi, il paraissait le guetter. Et jugeant le moment venu, brusquement il bondit et tomba avec un bruit étourdissant sur le plateau, où il se mit à tourner avec un grondement de tonnerre.
Alors, ce fut la poursuite acharnée, tenace, hallucinante, infernale.
Le monstre de fer sembla s’animer d’une vie intelligente. Il roulait, bondissait, sautait hors du plateau, y retombait avec fracas, pour rebondir de plus belle. Il semblait avoir des ruses à lui. Tantôt il tournait pareil à un tourbillon, tantôt il allait doucement, lentement, comme à bout de souffle. Puis, lorsque Jehan pouvait croire qu’il allait s’arrêter, s’encastrer dans un des godets, il repartait à nouveau en bonds gigantesques.
Jehan haletait, à bout de forces et de souffle. Plusieurs fois le monstre l’avait frôlé, avait bondi, passant comme une flèche au-dessus de sa tête. Jehan n’en pouvait plus, il voyait approcher l’instant fatal de la chute, suivie de l’écrasement final. Et cependant il courait toujours, n’ayant qu’une pensée bien nette:
– Si je m’arrête, si je tombe… c’en est fait de Bertille!…
LXXIII
Carcagne retourna à la maison de Perrette la Jolie. Mais il eut beau frapper à tour de bras aux deux portes, personne ne lui répondit. Ce que voyant, il s’en fut emprunter une échelle à la maison la plus proche et escalada le mur.
Il trouva Martine cachée sous un lit. Dès les premiers coups frappés par Carcagne, elle s’était glissée là, bien persuadée que c’était à elle qu’on en voulait. Carcagne eut bien de la peine à lui faire comprendre qu’elle pouvait être bien tranquille et que rien ne la menaçait. Il finit néanmoins par la rassurer. Et il se mit à l’interroger. Il n’en fut pas plus avancé.
Il passa et repassa aux endroits qu’ils avaient adoptés pour surveiller la maison. Il espérait toujours y voir Gringaille et Escargasse. Ceux-ci n’eurent garde de se montrer. Et pour cause.
Désespéré, il rentra en ville et se mit à battre tous les lieux qu’il fréquentait habituellement avec ses compagnons. Nulle part il ne les trouva. Nulle part on ne les avait vus.
Triste à en pleurer, la tête lourde à force de chercher, d’ailleurs sans le moindre succès, la bonne idée qui lui permettrait de retrouver ses amis et de délivrer les deux jeunes filles, il revint à son taudis de la rue du Bout-du-Monde et se jeta sur sa paillasse.
Le lendemain, mêmes recherches infructueuses. Messire Jehan, comme ses deux compagnons, demeurait introuvable. Il ne savait plus à quel saint se vouer. Le soir, vers six heures, comme il errait, âme en peine, dans la rue Montmartre, il se trouva brusquement en face de Gringaille et d’Escargasse.
Joie, embrassades, explications. Gringaille et Escargasse avaient été relâchés, comme ils avaient été saisis, sans la moindre explication. Ils ne s’étaient pas attardés à en demander davantage d’ailleurs et ils s’étaient empressés de tirer au large.
En passant, ils s’arrêtèrent chez Perrette. Ils apprirent son arrestation. Ils s’y attendaient. Quant à savoir qui avait fait le coup, Martine fut incapable de les mettre sur la voie. Ils pensèrent tout de suite à Concini. Carcagne les renseigna. Restait à élucider la disparition de Jehan.
– Es-tu allé voir à la grotte? demanda Gringaille.
– Tiens!… je n’y ai pas pensé! avoua Carcagne.
Gringaille était l’homme des résolutions promptes:
– Allez rue de la Heaumerie, ordonna-t-il, et surveillez la prison jusqu’à mon retour. Moi, je file à Montmartre.
Et il partit au pas de course. À l’entrée de la carrière, il vit le puits où Jehan était tombé. On avait négligé de le boucher.
– Ce puits n’existait pas la dernière fois que nous avons passé par ici, observa Gringaille.
Il étudia les lieux, chercha, fouilla de tous les côtés et trouva des poutres solides, des planches, un amas de terre fraîchement remuée. Et il expliqua, après s’être penché sur le puits:
– C’est un ancien puits qu’on a débouché récemment. Pourquoi?
Il eut beau se creuser la cervelle, il ne trouva pas une réponse satisfaisante. Il y renonça et pénétra dans la grotte. Naturellement, il n’y trouva pas celui qu’il cherchait. Il pensait toujours à ce puits, il se disait que la nuit, ce trou noir devait passer inaperçu, qu’on risquait de choir là-dedans et de se rompre les os.
De là à se demander si ce n’était pas ce qui était arrivé à Jehan, il n’y avait qu’un pas. Il sortit et s’en alla droit au moulin proche. Moyennant un écu qu’il leur donna d’avance, deux garçons, munis de longues et solides cordes, consentirent à l’accompagner jusque-là. Il se fit attacher et, une torche à la main, il descendit dans le trou.
Il y trouva une paire d’éperons, un poignard et une rapière. Il reconnut aussitôt l’épée de Jehan. Il était fixé maintenant. Le chef avait été victime d’un guet-apens. C’était un rusé matois que Gringaille; il se dit:
– Si le chef était trépassé, on ne se fût pas donné la peine de le tirer de là, en prenant la précaution de lui enlever jusqu’à ses éperons. Donc il est vivant. Reste à savoir où on l’a conduit. Peut-être bien au Savot. C’est ce qu’il faudra voir.
Emportant les objets trouvés, il revint à la grotte. Il déposa ces objets et s’en fut droit au coffre qui contenait les armes. Il fit un choix minutieux de ces armes, en fit un paquet qu’il chargea sur ses épaules et repartit.
Il retrouva Carcagne et Escargasse qui l’attendaient là où il les avait envoyés. Ils s’en furent chez un marchand de leur connaissance. Quand ils sortirent de la boutique, ils n’avaient plus le paquet emporté par Gringaille. En revanche, ils emportaient soixante belles pistoles.